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10/5/09 Marc Mennessier
       Procès AZF : les jeux sont faits

Il n’aura fallu que trois petits jours au tribunal correctionnel de Toulouse pour évacuer en trois petits tours l’hypothèse dite de l’acte intentionnel, autrement dit la malveillance ou l’attentat. Un dénouement sans surprise. Dans leur ordonnance de renvoi, en juillet 2007, les juges d’instruction n'avaient-ils pas déjà écarté en trois petites pages l’implication éventuelle du principal suspect, Hassan J, cet ouvrier intérimaire retrouvé mort sur le site d’AZF, habillé de plusieurs sous-vêtements, à la manière de certains terroristes islamistes qui se prépareraient ainsi à retrouver les fameuses vierges du paradis d’Allah ?

En fait, ce qui surprend c’est la manière. C’est cette façon qu’a la justice de prendre - et de faire prendre - des vessies pour des lanternes, d’escamoter certains faits, de glisser sur des contradictions pourtant flagrantes, de ne pas entendre voire de vilipender des témoins gênants. C’est cette façon qu’ont les associations de sinistrés, parties civiles à ce procès, de tirer à vue sur toutes les tentatives d’explications qui n’embrassent pas leur « juste » cause : obtenir au final la condamnation de l’industriel décrété responsable de cet épouvantable drame qui a fait, rappelons-le, 31 morts et des milliers de blessés, le 21 septembre 2001.

C’est aussi et surtout le suivisme, le parti pris et le manque de curiosité de la presse, incroyablement absente de ce procès qu’elle présentait pourtant, juste avant son ouverture, le 23 février dernier (près de deux mois et demi déjà…), comme étant celui du siècle. Toujours cette emphase…

D’ailleurs vous en entendez parler, du procès AZF dans les journaux, les radios ou les télés ? Mis à part Le Figaro qui envoie assez régulièrement l’un de ses chroniqueurs judiciaires et Le Nouvel Observateur qui laisse un certain Chiquelin déverser sur son site Internet des torrents d’injures et de haine boueuses, c’est le vide sidéral. La plupart font appel à leur correspondant ou à de vagues pigistes. La semaine dernière un confrère de TF1 a fait quelques apparitions, mais c’était parce que le procès Viguier se tenait en même temps aux assises de Toulouse…

Pourtant il y a parfois du spectacle dans la salle Jean Mermoz, transformée pour l’occasion en tribunal, où il est prévu que le procès AZF s’éternise encore jusqu’à la fin du mois de juin. Comme ce 29 avril, lorsque Joël Bouchité, l’ancien patron des Renseignements généraux de Toulouse est venu faire son petit numéro. La célèbre note blanche que son service a transmise à Paris le 3 octobre 2001 ? De simples « renseignements » qui n’ont aucune valeur judiciaire. « A aucun moment nous n’avons tiré de conclusions sur l’origine de l’explosion de l’usine », assure celui qui est aujourd’hui préfet « sécurité-défense » dans la région Nord après avoir occupé le fauteuil du sulfureux Yves Bertrand à la Direction centrale des renseignements généraux, entre 2006 et 2008.

L’étrange tenue vestimentaire de Hassan J. constatée par la médecin légiste lors de son examen de corps, son recrutement par la mouvance islamiste « afghane » de Toulouse, la présence de fondamentalistes à son enterrement, ses violentes altercations avec des chauffeurs le matin de l’explosion, la découverte de bidons ayant pu servir à la fabrication d’une bombe artisanale dans un local de la mairie proche du site AZF ? A l’entendre, tout ça c’était du bidon… « Je n’ai aucun état d’âme à ce que l’on invalide ces informations, cela ne me gêne pas » affirme à la barre le beau Joël. D’ailleurs il est catégorique : la piste criminelle, qu’il s’agisse du terrorisme, de la malveillance ou du « djihad isolé » est exclue. « Au départ l’accoutrement de Hassan J. nous a paru très troublant mais après vérification, l’explication s’est révélée tristement banale : la PJ a établi que c’était pour des raisons propres à sa morphologie. »

Là, c’est dur de ne pas se lever pour dire : « stop ! » Car au moment de sa mort, le jeune homme n’avait plus, de toute évidence, cette « maigreur obsédante » invoquée par sa famille et ses proches pour justifier le port de ses multiples caleçons. Je l’ai écrit dans mon livre et je le redis aujourd’hui : cette pseudo-explication reprise en boucle depuis plus de sept ans par la presse, la justice et les grands chefs de la police, qui feignent encore de s’en convaincre, est fausse. Les photos, prises lors de l’autopsie et jointes au dossier d’instruction, en attestent sans ambiguïté.

En outre, et cela a tout de même été rappelé, mais mezzo voce, par le président du tribunal, Thierry Le Monnyer, les médecins légistes ont noté dans leur rapport qu’Hassan J. avait une « corpulence normale ». L’explication de son étrange tenue est donc à chercher ailleurs.

Notons au passage que l’hypothèse susurrée à la barre par Frédéric Malon, l’ancien directeur de la division criminelle du SRPJ de Toulouse, selon laquelle cette pratique permet d’avoir des sous-vêtements de rechange lors d’une éventuelle garde-à-vue, est purement fantaisiste. Impossible de marcher normalement et encore moins de courir en étant affublé de la sorte ! Et puis à en croire le SRPJ, Hassan J. n’était plus un délinquant au moment de l’explosion d’AZF…

Ensuite, mais ça je suis l’un des rares journalistes à le savoir, Joël Bouchité n’a pas toujours tenu ce langage. Combien de fois n’a-t-il pas déploré devant Anne-Marie Casteret ou moi-même le peu d’empressement mis par la PJ toulousaine à vérifier les informations contenues dans sa fameuse note, que l’enquête avait été « plantée » dès le départ et que c’était irrattrapable ? De fait, des vérifications essentielles n’ont été effectuées que des années après, en 2003 et jusqu’en 2005, à la demande expresse de Serge Biechlin, le directeur de l’usine sinistrée, aujourd’hui sur le banc des prévenus, et de ses avocats. A un moment où il était évidemment trop tard pour aboutir à quoi que ce soit.

Lorsqu’ils étaient en veine de confidence, Joël Bouchité et son adjoint Christian Ballé-Andhuys, aujourd’hui directeur régional du renseignement intérieur à Toulouse, privilégiaient non pas la piste d’Al Qaïda, que personne n’a d’ailleurs sérieusement envisagée, mais celle… d’un acte de malveillance ou… d’un djihad isolé. Autrement dit l’hypothèse que l’ami Bouchité réfute aujourd’hui sous serment mais sans apporter la moindre justification. Si ce n’est un vague travail de renseignement et d’écoutes téléphoniques qui, à l’en croire, n’auraient rien donné. Mais on est prié là encore de le croire sur parole. Mis à part la défense, en la personne de Me Simon Foreman, personne dans la salle n’a songé à lui demander des explications. Une chose est sûre, maintenant qu’il s’est rangé du bon côté (celui de l’accident) l’ancien RG toulousain ne risque plus de se faire traiter, comme il y a sept ans, lui et son service, « d’aspirateur à ragots ». C’est tellement plus commode, au fond, de dire aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre…

La vérité est que l’on ne saura jamais la vérité et qu’il faut dès à présent en faire le deuil. S’il est impossible aujourd’hui aussi bien d’innocenter que d’accabler Hassan J. , la faute en revient non pas aux journalistes « obsessionnels » (dixit Bouchité) qui ont révélé les lacunes de l’enquête judiciaire, mais aux responsables de l’enquête eux-mêmes. Que ces derniers se rassurent, ils ne risquent absolument rien.

Mardi 28 avril les trois officiers de police judiciaire, Alain Cohen, Jean-Louis Burles et Jacky Elbez venus témoigner devant le tribunal des difficultés qu’ils ont rencontrées pour enquêter sur la piste criminelle sitôt après l’explosion, comme je le relate dans le second chapitre de mon livre, "La piste interdite", vont se faire littéralement agresser par le procureur Patrice Michel sans que le président du tribunal n’intervienne, comme il le fait d’habitude, pour tempérer ses ardeurs.

Quand Alain Cohen lit à la barre le rapport sur « les dysfonctionnements de l’enquête AZF » (refus d’audition de témoin, obligation de « faire court » pour respecter le deuil de la famille d’Hassan, perquisition retardée de plusieurs jours...), qu’il a voulu transmettre le 4 octobre 2001 à sa hiérarchie, qui l’a gardé sous le coude, Patrice Michel reproche vertement au policier de ne pas avoir directement « alerté le parquet ou le juge d’instruction ». Jouer les héros en somme... Surtout qu'à l'époque le parquet était dirigé par... Michel Bréard, l'homme qui avait décrété trois jours après que la catastrophe était à "99%" d'origine accidentelle et qui m'avait téléphoniquement menacé de "faire partie de la liste des victimes"! Justement parce que je m'intéressais un peu trop, à son goût, à la piste criminelle. On imagine aisément l'accueil que Bréard aurait réservé à Cohen...

« Et pourquoi pas avertir le président de la République ou donner une conférence de presse tant qu’on y est ? » ironise Me Daniel Soulez-Larivière , défenseur de Grande Paroisse et de Serge Biechlin.

Pire. Dans un grand numéro de colère feinte, le procureur accuse ensuite Alain Cohen d’avoir commis… « une faute professionnelle. » Si, si ! Il reproche à cet ancien commandant fonctionnel, adjoint au directeur de la division criminelle du SRPJ de Toulouse, de n’avoir pas pris l’initiative de se rendre illico chez les parents de Hassan, lorsqu’il apprend que la compagne de ce dernier a donné tous les documents à sa famille. Nous sommes le 28 septembre 2001, Alain Cohen et « l’équipe du 1% » viennent de constater que l’appartement où vivait le jeune couple a été, comme on le sait, débarrassé de toutes les affaires ayant appartenu au défunt.

« J’étais à deux mois de la retraite, lâche-t-il. Dans la mesure où la hiérarchie vous fait comprendre qu’on est là pour prouver l’origine accidentelle de la catastrophe, je me suis résigné. » De fait, Alain Cohen, qui sera écarté de l’enquête le 1er octobre, révèle qu’un canevas de 45 questions a été remis, trois jours après le drame, aux policiers qui vont procéder aux auditions : une seule concerne la piste intentionnelle…

Alain Cohen et Jean-Louis Burles confirment également que, peu de temps après la catastrophe, le commissaire Marcel Dumas, qui dirigeait à l’époque le SRPJ, est rentré d’une réunion à la préfecture en déclarant : « A Paris, ils veulent un accident, ils auront un accident !» Frédéric Malon ne se souvient pas et croit bon fanfaronner en déclarant à la barre que même si c’était vrai, il serait passé outre. On aimerait pouvoir le prendre au mot. Quand à Dumas, il a nié, le 19 mars dernier avoir tenu de tels propos. Parole contre parole…

Le plus incroyable, c’est que Nadia M., la compagne de Hassan, expliquera par la suite devant le tribunal qu’elle a remis les documents non pas à la famille de son compagnon mais… «à deux policiers qui sont venus (la) chercher le lundi qui a suivi la mort de monsieur J.». Malaise : « cela ne ressort pas dans le dossier » fait remarquer le président Le Monnyer, un peu gêné aux entournures. Et pour cause : Nadia n’a été auditionnée que le mardi et la perquisition à son domicile n’a eu lieu que le vendredi. Une deuxième équipe de policiers s’est-elle intéressée de près à la piste J. à l’insu d’Alain Cohen ? Y a-t-il eu non pas une mais deux perquisitions ? Personne ne soulèvera la question ! Personne ne demandera non plus à Nadia pourquoi elle a réclamé à Réjane Boucly, la secrétaire de TMG, le tee-shirt de Hassan qui se trouvait dans le coffre de sa voiture, alors qu’elle a redit à la barre s’être débarrassée de ses vêtements « pour faire le deuil tout de suite ». Ni pourquoi elle a demandé en 2006 au juge d’instruction de récupérer le même tee-shirt qui, entre temps, avait été placé sous scellés.

Ainsi va ce procès : toutes les pistes sont abordées mais uniquement pour la forme. Pour bien montrer qu’on en a parlé mais sans plus. Pas question qu’un élément inattendu ne vienne perturber en quoi que ce soit l’ordre du jour. On l’a vu avec l’intérimaire « fantôme » qui faisait équipe avec Hassan J. et avec qui le chauffeur Karim Ben Driss a eu maille à partir le matin de l’explosion sur le quai de chargement de l’usine. Au cours de l’enquête, les policiers ne feront rien pour chercher à l’identifier, et le tribunal sept ans après les faits, n’en fera pas d’avantage. Karim a livré un témoignage précis, courageux, émouvant de sincérité : on l’a écouté. Et puis c’est tout.

Dans le même registre, on peut citer la première explosion entendue par des milliers de Toulousains ou l’hélicoptère militaire Puma qui volait à proximité du site quinze secondes seulement après la détonation meurtrière. Silence, on glisse. Vers quoi au juste ? L’accident, pardi ! Car ces dix semaines de procès n’ont été que des préliminaires. Les parties civiles, Me Alain Levy en tête avec ses airs de vieux sage et sa grosse voix d’ours mal léché, vont enfin pouvoir s’attaquer maintenant à l’ogre Total, ce léviathan pétrochimique, coupable d’avoir par négligence et appât du gain laissé l’usine AZF de Toulouse se transformer en « poubelle » jusqu’à l’explosion fatale. Ils risquent d’être déçus. La thèse du mélange accidentel entre le nitrate d’ammonium et le dérivé chloré déversé par erreur dans le box du hangar 221, vingt minutes avant la détonation, ne tient pas la route. Inutile d’y revenir. Je le démontre abondamment dans mon livre.

Or comme l’a rappelé le président Thierry Le Monnyer le 24 avril, étant donné qu’il n’y a pas eu d’incendie, seule une onde de choc puissante a pu faire exploser le nitrate stocké dans le bâtiment 221. Cette dernière peut provenir soit d’un engin explosif, donc d’un acte malveillant, soit du trichlorure d’azote généré par le mélange nitrate-chlore. Mais dans les faits ce mélange n’a même pas eu lieu. Et il manque plusieurs maillons essentiels à la « chaîne pyrotechnique » montée de toutes pièces par les experts judiciaires.

Du coup, le scénario de ce procès qualifié d’historique mais qui, d’un strict point de vue juridique, n’aurait jamais dû se tenir compte tenu de l’extrême fragilité du dossier d’instruction, semble quasiment écrit à l’avance. Le directeur de l’usine Serge Biechlin sera relaxé car aucune charge ne pèse véritablement sur lui et l’entreprise sera sans doute condamnée à une amende dont le montant sera de toute façon indolore pour la maison mère Total qui a déjà déboursé plus de 2 milliards au titre des réparations. Personne ne fera appel, car personne, mis à part certaines parties civiles aveuglées par leurs préjugés, ne voudra recommencer tout ce cirque. Pas étonnant que le public, y compris à Toulouse, se désintéresse du sujet. Quant à la vérité…

Marc Mennessier
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