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15/5/09 Marc Mennessier
  On en apprend de belles sur les méthodes de la               police et de la justice toulousaines.

En entendant plusieurs salariés d’AZF venus témoigner ces derniers jours à la barre, on en apprend de belles sur les méthodes de la police et de la justice toulousaines. Hier après-midi, Richard Mole, qui supervisait le travail des sous-traitants dans l’atelier ACD où étaient fabriqués les fameux produits chlorés, suspectés par l’accusation d’avoir été mélangés au nitrate d’ammonium, a laissé éclater sa colère après une remarque superflue du procureur qui lui rappelait que la catastrophe avait fait 30 morts :

« J'ai été mis en examen, et je ne sais pas pourquoi. Ne me mettez pas les morts en face, ce n'est pas le moment! On a été accusé d'assassins ! Au lieu de nous cracher dessus, on aurait dû nous donner une médaille! On a sauvé des milliers de gens. Le 21 septembre, ça a explosé, dix minutes après, dans mon atelier, on était dehors, on a fermé des vannes, on a isolé des choses. Et croyez bien, il y en a beaucoup qui ne l'auraient pas fait. Après, on nous met en examen et on nous dit : « Vous avez tué des gens ». Non. On a sauvé des gens. (…) Un jour, on m'a appelé, on m'a dit que j'étais convoqué. J'y suis allé. Le commissaire Saby m'a (…) crié dessus. Il m'a dit : "Dites-le que c'est Total !" Il m'a dit des choses que je ne répèterai pas. Voilà comment a commencé la procédure. Après, on m'a mis en bas. On m'a laissé 26 heures dans une cellule. On m'a pris en photo. On m'a mis une bouteille d'eau dégueulasse, on a enlevé mes chaussures... Au bout de 26 heures, on m'a fait sortir le dernier. Et on m'a fait rentrer dans une voiture d'inspecteur. La police, encore, a roulé à une vitesse inimaginable. On est allé voir le juge qui m'a traité comme un moins que rien, que j'avais fait un homicide involontaire. Vous croyez que je n'ai pas souffert ? Je n'ai pas de leçon à recevoir. Je suis persuadé que la catastrophe n'est pas due à un mélange de chlore et de nitrate. J'ai travaillé pendant 25 ans, là-dedans. J'ai monté tous les échelons. Il n'y a jamais eu de mélange de nitrate et de chlore. Ce n'est pas possible, parce que nous étions tous des professionnels. A la fin de ce procès, il n'y aura rien de plus qu'aujourd'hui. Si on avait voulu savoir, on aurait dû s'y prendre autrement... "

Comme l’a fait remarquer au tribunal, Me Jacques Monferran, avocat de la société Grande Paroisse : "Il fallait une enquête. Mais il n'était pas besoin d'interroger M. Mole comme on l'a fait, de le menacer comme on l'a fait".

Son cas n’est malheureusement pas isolé. La veille, Jean-Claude Panel, ancien chef du service expéditions dont dépendait le fameux hangar 221, a raconté lui aussi au tribunal les conditions scandaleuses dans lesquelles s’est déroulée sa première audition dès le lendemain de la catastrophe.

« Je voudrais vous parler de ce qui me tient à coeur, parce que cela a été douloureux. Vous savez sans doute que j'étais dans le bureau de M. Maillot au moment de l'explosion. J'ai eu la chance d'avoir tourné le dos à la fenêtre. J'ai été blessé. J'ai été pris en charge par les pompiers, qui m'ont amené à Croix-de-Pierre. Ils m'ont agrafé. Le soir, j'ai pu rentrer chez moi, et j'ai fait venir le médecin. Le lendemain, je suis retourné à l'usine sur la demande de M. Maillot. Il voulait me faire voir le cratère; j'ai compris que le lieu de l'explosion faisait partie d'un bâtiment dont j'avais la charge. Et aussitôt, il m'a mis entre les mains d'un expert et d'un officier de police judiciaire. J'étais un témoin privilégié. J'ai essayé de leur expliquer ce qu'était ce bâtiment. Dans un premier temps, cela s'est bien passé. Puis le policier m'a dit de venir avec lui pour faire la déposition. Je l'ai accompagné en voiture et je me suis retrouvé au fond de l'hôpital Marchant, dans une maisonnette, isolé. Là, l'interrogatoire a commencé. Je n'étais pas en très bon état. Ce qui s'est passé ne m'a pas amélioré. Le policier s'est installé, il a posé son pistolet, il m'a interdit de téléphoner, il n'a pas été question de médecin. L'interrogatoire a commencé. Cela s'est envenimé. Je n'avais pas le droit de réfléchir avant de répondre, au prétexte que j'aurais pu dissimuler. J'ai répondu à toutes les questions. Pour certaines réponses, elles étaient irréfléchies, parfois aberrantes. L'interrogatoire s'est terminé à 23 heures, il avait commencé à 11 heures. J'ai eu l'impression d'avoir été libéré... Il fallait que je le dise. »

Rappelons que c’est en grande partie sur cette audition contestable que la police et le parquet de Toulouse se sont appuyés pour imposer la thèse accidentelle du hangar poubelle et de la soupe chimique qui explose au bout de quatre-vingts ans…

Autre témoignage, celui de M. Paillas, qui était contremaître au service expéditions d’AZF. Bien qu’étant sous morphine suite à la pause de 17 agrafes sur ses plaies, il a dû endurer lui aussi, pendant toute la journée du 22 septembre 2001, le feu roulant des questions. « Les policiers m'ont téléphoné. Je me suis rendu boulevard de l'Embouchure. Ils m'ont auditionné longuement. Vers 13h30 mes enfants sont venus me porter des médicaments. Les policiers ont refusé (…). Après, on m'a amené sur le site, où MM. Saby, Malon (commissaires de police), Van Schendel (expert), Mme Viaud (vice- procureure) m'attendaient. Ils ont saisi mes affaires dans mon bureau (…). On m'a dit : "Il faut choisir votre camp". J'étais sidéré. Le mardi, M. Saby et trois autres commissaires sont venus à la maison, ils avaient oublié de me faire signer le procès-verbal. Ils étaient un peu gênés parce que la maison était détruite. Mon épouse a dit qu'elle avait entendu deux explosions. Depuis, elle est décédée des suites de l'explosion".

Que valent des témoignages recueillis dans de telles conditions, indignes d’une démocratie comme la France ? Pas étonnant que ces personnes, profondément choquées par la catastrophe et par les avanies que leur ont fait subir après coup la police et la justice, reviennent aujourd’hui sur leur déposition. Il faut faire preuve d’une mauvaise foi sans nom pour insinuer, comme l’a fait hier Me Alain Lévy, avocat de la partie civile, qu’ils étaient « en mission télécommandée », selon des propos rapportés par l'AFP. Rappelons tout de même que MM Mole et Paillas ont bénéficié en 2003 et en 2005 d’un non-lieu confirmé par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Toulouse. Comme d’ailleurs dix autres de leurs collègues. Tout ça pour ça...

(Les propos de MM Mole, Paillas et Panel ont été recueillis par Sabine Bernède, La Dépêche du Midi).

Marc Mennessier

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