www.claudereichman.com


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme

A la une

27/2/12 Philipp Bagus
              La zone euro file un mauvais coton !

Les problèmes de la zone euro sont dus à de mauvais investissements. En Grèce, ces jours-ci, la lutte continue au sujet de savoir qui finira par payer la facture de ces mauvais investissements. Au début de la décennie 2000, une politique monétaire expansionniste a réduit artificiellement les taux d'intérêt. Les entrepreneurs faisaient des investissements qui n’étaient rentables qu’en raison des faibles taux d'intérêt mais qui n'étaient pas soutenus par une épargne réelle de l’économie. Des bulles immobilières et une hausse effrénée de la consommation se sont développées à la périphérie de la zone euro.

En 2007, les bulles ont commencé à éclater. Les prix des logements ont commencé à stagner et même à tomber. Les propriétaires et les constructeurs ont commencé à faire défaut sur leurs prêts. Comme les banques ont financé et parfois investi dans ces mauvais investissements, elles ont subi des pertes importantes. Après l'effondrement de la banque d'investissement Lehman Brothers, les prêts interbancaires se sont effondrés et les gouvernements sont intervenus pour renflouer les banques et ont, par conséquent, pris en charge les pertes du système bancaire résultant de ces mauvais investissements.

Comme les pertes de ces mauvais investissements ont été socialisées, les dettes publiques ont grimpé dans la zone euro. En outre, les recettes fiscales se sont effondrées en raison de la crise. Dans le même temps, les gouvernements ont subventionné des secteurs industriels (1) et les indemnités de chômage ont été rallongées.

Par ailleurs, même avant la crise, les gouvernements ont accumulé des mauvais investissements en raison des excès de leur Etat-providence. Deux causes ont incité à une augmentation considérable des dépenses sociales dans la zone périphérique.

La première cause est le faible taux d'intérêt causé par une politique monétaire expansionniste de la Banque centrale européenne (B.C.E.) et par la monnaie unique elle-même.

La zone euro a été perçue comme une zone sans risque. Les marchés ont fait le pari que les Etats forts renfloueraient, quoi qu’il arrive, les plus faibles afin de sauver le projet politique de l'euro qui leur est cher. Les taux d'intérêt que les Italiens, les Espagnols, les Portugais et les Grecs avaient coutume de payer ont fortement baissé lorsque ces pays ont été admis dans la zone euro. Ces faibles taux d'intérêt ont donné à ces pays de grandes marges de manœuvre pour leurs dépenses et pour leurs déficits.

La deuxième cause est que l'euro est une tragédie de l’externalisation des biens publics, comme je l'explique dans mon livre « La tragédie de l'euro. »

Dans la zone euro, plusieurs gouvernements ont eu recours à la banque centrale pour financer leurs déficits. Les coûts de ces déficits peuvent être partiellement externalisés, sous la forme de prix plus élevés pour les autres. Prenons l'exemple suivant. Le gouvernement grec dépense plus qu'il ne reçoit en impôts. Pour la différence, le gouvernement grec imprime des obligations. Le système bancaire achète ces obligations parce que les banques peuvent les utiliser comme collatéral pour de nouveaux prêts accordés par la B.C.E. Quand les banques invoquent que les obligations du gouvernement grec sont garanties auprès de la B.C.E., elles reçoivent en retour de l’argent frais de la banque centrale. Les banques peuvent ensuite utiliser ces nouvelles réserves pour augmenter leur crédit. L’augmentation de la masse monétaire entraîne à son tour une hausse des prix. Le déficit est ainsi indirectement monétisé, et les utilisateurs de la monnaie unique sont spoliés.

Les prix augmentent non seulement en Grèce mais aussi partout dans la zone euro. De cette façon, une partie des coûts du déficit est externalisée à des étrangers. Non seulement le gouvernement grec, mais tous les gouvernements peuvent externaliser les coûts de leurs déficits de cette manière, ce qui entraîne des effets pervers. Si vous avez des déficits plus élevés que les autres pays de la zone euro, vous pouvez ainsi externaliser les coûts de vos déficits sur les autres pays. Plus votre déficit sera élevé par rapport aux autres Etats membres, mieux vous vous porterez. (2)

Il ya une redistribution monétaire malsaine en faveur des pays laxistes. Ces incitations étaient connues dès le début de l'euro. L'idée était de limiter ces incitations avec un déficit budgétaire limité à 3 % du P.I.B. par le biais du Pacte de stabilité et de croissance (P.S.C). Pourtant, le P.S.C. a été un échec total. En dépit de nombreuses infractions, aucune sanction n'a jamais été imposée. (3) Le principal problème est que les gouvernements sont juges et parties. Jusqu'à présent, ils ont toujours décidé qu'aucune sanction n’était nécessaire…

Les dettes publiques dans certains pays sont si élevées qu'elles ne seront jamais remboursées. Les gouvernements refusent de l’admettre. S’ils augmentent les taux d'imposition, leur économie s'effondre et les déficits s’envolent. S’ils réduisent leurs dépenses, il peut y avoir des troubles sociaux. Dans les deux cas, ils perdent de leur influence sur les électeurs.

Les mauvais investissements signifient que les ressources limitées de la société ont été gaspillées. La richesse réelle a été perdue pour financer l’Etat-providence et pour renflouer les industries en déclin. Mais il n’est toujours pas établi qui va payer les pertes causées par ces Etats-providence insoutenables.

Jusqu'au début de la crise de la dette souveraine, l’addition a été payée par les principaux contributeurs nets que sont les citoyens dans les pays fiscalement responsables comme l'Allemagne en garantissant implicitement les dépenses effrénées dans la périphérie. Les plans de sauvetage de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal ont rendu ces transferts de richesse visibles alors qu’ils ne l’étaient pas auparavant. Les incitations pour sauver un gouvernement irresponsable sont maintenant évidentes pour tout le monde. Les Allemands ne veulent plus payer les gabegies des cigales.

La question de savoir qui va payer la facture pour ces mauvais investissements a surgi de nouveau avec la crise de la dette souveraine. La réponse à cette question va décider de l'avenir de l'euro. Il existe plusieurs possibilités en théorie.

A) Les gouvernements de la périphérie payent eux-mêmes pour leur comportement irresponsable. Ils réduisent leurs dépenses et privatisent les services publics. De cette façon, ils sont assurés de perdre les prochaines élections.

B) Les gouvernements dans le noyau dur (l'Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas et l'Autriche) payent et privatisent leurs services publics.

C) Les contribuables de la périphérie règlent la facture à travers une fiscalité plus élevée.

D) Les contribuables dans le noyau dur payent la facture. Cela pourrait se réaliser à travers une union fiscale. Dans une union fiscale, les plus riches paieront en permanence pour les plus pauvres. Alternativement, les transferts pourraient être réalisés par le biais des euro-obligations. Dans cette variante, les pays périphériques lèvent des euro-bonds qui sont garantis par tous les gouvernements de la zone euro. Les contribuables dans le noyau dur payent indirectement par le biais de taux d'intérêt plus élevés sur leurs dettes publiques. Le Fonds européen de stabilité financière est une autre variante de cette option. La différence est que les principaux pays du F.E.S.F. ont plus de contrôle sur l'émission d'obligations pour renflouer les gouvernements périphériques et il y a encore des taux d'intérêt différents selon les pays.

E) Les utilisateurs de la monnaie unique payent l’addition par l'inflation des prix. La B.C.E. monétise les dettes des gouvernements. Elle peut le faire de plusieurs façons. Elle pourrait acheter davantage d’obligations des pays périphériques ou continuer à apporter sa garantie aux obligations des pays périphériques. Elle pourrait également contribuer à financer le F.E.S.F. ou les euro-obligations indirectement en monétisant davantage les dettes publiques du noyau dur.

F) Le système bancaire paie. Les gouvernements surendettés font défaut sur leurs dettes. Parce que le système bancaire a financé les dépenses publiques excessives des pays périphériques et qu’il est interconnecté, une crise bancaire surgira inévitablement. (4)

La périphérie et le gouvernement français préfèrent une combinaison d'options D et E, avec une union fiscale et une monétisation de la dette. La B.C.E. préfère une union budgétaire. Le gouvernement allemand, cependant, s'oppose à ces deux options, car il craint l'inflation et ses électeurs en colère qui en ont marre de renflouer la périphérie. L'Allemagne veut une P.S.C. réformée avec des sanctions automatiques et plus de contrôles des dépenses publiques excessives. L'Allemagne a également défendu la position que les investisseurs privés (banques) devraient prendre au moins une partie des pertes. En d'autres termes, l'Allemagne préfère une combinaison des options A, C et F. Les gouvernements et les contribuables de la périphérie ainsi que les banques assument les pertes.

L'avenir de l'euro et de l'Union Européenne dépend de qui va gagner la bataille. Si la France et la périphérie obtiennent ce qu'elles veulent, il y aura une union budgétaire et une plus grande centralisation mais l'euro sera une monnaie faible. Si l'Allemagne gagne, il y aura un pacte révisé et l'euro sera une monnaie forte sur le long terme.

Pourtant, il existe aussi la possibilité que les perdants soient si mécontents qu’ils quittent la zone euro. Dans le cas d'une victoire allemande, des mesures d'austérité et une réduction drastique du niveau de vie peuvent entraîner des troubles sociaux insoutenables en Grèce. (5) Ce pays peut alors quitter la zone euro et dévaluer sa monnaie afin de poursuivre sa frénésie de dépenses publiques. Cela pourrait déclencher une réaction en chaîne avec d'autres pays sortant de la zone euro et provoquer une crise bancaire majeure.

Dans le cas d'une défaite de l'Allemagne, il y aura une plus grande centralisation en Europe et, éventuellement, un taux d'inflation à deux chiffres dans le futur. Ensuite, un "tea party" allemand surgira et s’opposera au transfert de la richesse vers la périphérie. L’Allemagne pourrait alors quitter l'euro, en déclenchant une désintégration de la zone euro.

Mais qui est susceptible de gagner ? En principe l'Allemagne a les meilleures cartes, car ilest payant pour elle de simplement menacer de cesser d’apporter sa garantie à la périphérie. Cependant, il peut y avoir encore de meilleurs arguments que l'autre côté gagne. La France était du côté des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et a plus de puissance géopolitique que l'Allemagne. Le gouvernement français et ses alliés ont réussi déjà à se débarrasser du détesté deutsche mark. L'Allemagne a été contrainte de payer pour les autres en raison d'un complexe de culpabilité et les menaces implicites d'isolement depuis la Seconde Guerre mondiale. Comme les conditions géopolitiques n'ont pas radicalement changé, il est probable que l'Allemagne continue à payer et que l'euro sera une monnaie faible. (6)

Philipp Bagus

Notes du traducteur :

(1) L’industrie automobile en France fait toujours l’objet d’une détestable immixtion de la part des gouvernements qui se sont succédé depuis 1945 avec la nationalisation de Renault. Aucun licenciement sec n’est possible dans cette industrie mythique.

(2) Dans leur misérabilisme qui fait recette, les journalistes français omettent de dire que les fourmis ont vécu dix très bonnes années aux crochets des cigales jusqu’au retournement de tendance avec l’envolée des taux d’intérêt sur leurs obligations.

(3) La faute incombe à la France et à l’Allemagne qui ont dépassé la limite de 3% en 2004 mais qui ont empêché l’imposition de pénalités prévues par le traité de Maastricht à leur encontre. 2004 signait ainsi la mort de la zone euro puisque les deux plus grandes économies ne respectaient plus cette règle élémentaire de vie commune qu’elles avaient notifiée dans le contrat de mariage. La suite était très prévisible pour quiconque voulant analyser avec objectivité les faits. Mais les charlatans raconteront que la faute incombe à la Grèce, à l’Irlande, aux requins de la finance, à la C.I.A. et à qui d’autres encore pour faire plaisir à leurs délires ?

(4) Je milite pour cette option de faire payer les banquiers irresponsables et de laisser la Grèce et autres cancres de la zone euro faire faillite. Cela s’appelle faire jouer l’aléa moral. Toute autre option est du socialisme rampant en faisant supporter indûment le fardeau aux citoyens et Etats fiscalement responsables.

(5) C’est une grave erreur politique de l’Allemagne de vouloir imposer sa rigueur à des cigales qui n’en veulent pas. Le mieux pour elle serait de sortir de la zone euro et de retourner au deutsche mark. Chacun pour soi et Dieu pour tous !

(6) Je maintiens ma recommandation de vente à découvert de l’euro sur le long terme qui finira bien par imploser un jour sous le poids de ses propres contradictions.

 

Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme