François Bayrou a enfin un programme
François Bayrou a enfin trouvé ce après quoi il courait depuis des années
: un programme. Car enfin répéter sans cesse « le changement, le changement
», cela finit par être lassant pour l’électeur. Le changement d’accord, mais
lequel ? Eh bien la nouvelle recrue du Béarnais va enfin donner un contenu à
ce qui n’était jusqu’alors qu’un slogan.
De qui s’agit-il ? De Jean-François Kahn. Connu comme un journaliste en
état d’excitation permanente et à la voix de putois, ce personnage nous a
caché pendant des décennies son véritable état : celui de grand penseur
capable des plus vertigineuses audaces conceptuelles et des plans les plus
audacieux. Désigné par Bayrou comme tête de liste du Modem aux élections
européennes dans la circonscription du Grand Est, Jean-François Kahn publie
chez Fayard un livre au titre modeste, « L’alternative », mais dans lequel
il se prononce pour « un centrisme révolutionnaire », formule qui ressortit
au genre de l’oxymore et que Shakespeare a poétiquement illustrée par
l’expression « rugir comme un rossignol ».
Dans cet ouvrage, le nouvel inspirateur de François Bayrou lance une
proposition à laquelle personne n’avait pensé jusqu’à présent mais qui est
promise, par les développements qu’elle porte en germe, à un avenir
mirobolant. Devinant votre impatience et la comprenant, je vous livre sans
plus attendre ce morceau de bravoure qui figure à la page 123 du livre, au
rang des propositions de l’auteur :
« Permettre à des assurances privées de se substituer, en faveur des
Français qui le souhaitent, totalement à la Sécurité sociale en matière de
couverture santé, à condition que les assurés qui s’y affilient continuent
de payer, au nom de la solidarité, leurs cotisations à l’institution
publique collective. »
On comprend mieux, à la lecture de ce qui précède, le sous-titre de
l’ouvrage : « Oui, c’est possible ». Car non seulement chacun peut mesurer
la formidable avancée que représente cette libération de la protection
sociale, mais aussi celles qui, dans d’autres domaines, vont pouvoir
bénéficier de la même logique. Commençons par les impôts, dont l’excès rend
impossible le redémarrage économique de notre pays. Eh bien, d’un coup d’un
seul, MM Kahn et Bayrou vont les supprimer, à la seule condition que les
bénéficiaires de cette mesure continuent de s’acquitter des sommes en
question auprès de leur percepteur. Et les innombrables lois et règlements
contenus dans les milliers de pages des divers codes qui sont la gloire de
notre littérature ? Supprimés ! Rayés de la carte ! Chacun va pouvoir s’en
affranchir ! A condition de les respecter scrupuleusement. N’en jetons plus,
la cour est pleine.
Au-delà du rire salutaire que de telles absurdités suscitent, on peut
s’interroger sur l’état de notre système politique et de notre démocratie.
Qu’on puisse publier d’aussi monumentales âneries quand on conduit une liste
à des élections nationales au nom d’un parti politique dont le président –
qui vous a investi - a réuni plus de 18 % des suffrages à la dernière
élection présidentielle et à qui les sondages accordent des chances
sérieuses d’être élu à la prochaine, est le signe d’un incroyable déclin du
débat public et de l’irresponsabilité croissante des élites politiques. En
France, aujourd’hui, la vie publique ressemble à s’y méprendre à la vie de
bistrot telle que la décrit la chanson « A Paris » de Francis Lemarque :
« Au café, on voit n’importe qui,
Qui fait n’importe quoi,
Qui parle avec ses mains,
Qui est là depuis le matin. »
Croire que le peuple est indifférent à cette dérive serait se tromper
lourdement. Chacun des innombrables écarts des personnages qui encombrent
l’espace public est soigneusement enregistré par l’opinion et vient alourdir
le bilan du règne. Au point que parler de crise politique est désormais
dépassé. C’est le régime lui-même qui est en cause. Et chacun sait – ou
devrait savoir – qu’un régime qui s’effondre produit plus de troubles dans
un pays que n’en eussent fait mille réformes difficiles. Mais voilà : ce qui
manque à nos politiciens actuels, c’est le plus élémentaire courage. Alors
apprêtons-nous tous ensemble à payer le prix de leur lâcheté.
Claude Reichman
Porte-parole de la Révolution bleue. |