Laissez le
marché baissier faire son travail
"Dans ce pays, les gens ne réalisent pas à quel point les choses peuvent mal
aller", a déclaré Richard Russell samedi soir dernier.
"J'ai vécu la Grande Dépression. Je me souviens des gens faisant la
queue pour avoir du pain. Il était difficile d'avoir un emploi, n'importe
quel emploi, à l'époque. Aujourd'hui, les restaurants sont encore pleins.
Les gens dépensent encore de l'argent. Ils s'inquiètent peut-être et ils
commencent peut-être à épargner, mais il n'y a pas de sentiment d'urgence.
Et il y a un rebond à Wall Street. Vous savez, tous les marchés baissiers
produisent des rebonds. On peut s'attendre à voir le marché reprendre entre
un et deux tiers du terrain perdu".
"Et chaque marché baissier a une surprise. Je pense que la surprise,
c'est que ce sera bien pire que ce qu'attendent les gens".
Richard Russell a 84 ans. Il écrit sa lettre d'investissement, la Dow Theory
Letter, depuis 50 ans. Le week-end dernier, un groupe d'admirateurs - dont
votre correspondant - s'est réuni pour le remercier.
On trouve beaucoup de gens ayant une opinion sur l'économie et le marché
boursier. On ne peut pas allumer son ordinateur sans en trouver des
dizaines. Mais on trouve peu de points de vue avec la profondeur
d'expérience et de connaissance de Richard Russell. Il étudie "le langage
des marchés" depuis plus d'un demi-siècle. Même si personne ne maîtrise
entièrement le langage du marché, Richard peut au moins suivre une
conversation avec lui.
"La tendance primaire est à la baisse", dit-il. En fin de compte,
continue-t-il, peu importe ce que font Obama et Bernanke, la tendance
primaire fera ce qu'elle voudra. Le marché baissier se poursuivra jusqu'à ce
qu'il se soit "pleinement exprimé". Qu'est-ce que
cela signifie ? Nous n'en savons rien... et personne d'autre non plus. Mais
si ce marché a quelque chose à dire, c'est probablement qu'il l'a en tête
depuis longtemps. Et nous sommes d'avis que ce n'est
pas un message que les gens voudront entendre.
Richard a probablement raison. Après tant d'années passées à observer les
marchés, il a développé un instinct lui permettant de sentir ce qui est en
train de se passer. Ce sera pire que ce qu'attendent les gens, dit-il. Parce
qu'en dépit de tous les gémissements et les râles dans la presse, la plupart
des gens ne s'attendent toujours pas au pire. Au cours du dernier quart de
siècle, ils ont appris à chercher les plus bas... pour acheter. Chaque fois
que de vrais ennuis semblaient arriver, la Fed baissait les taux... et en
moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, on était de retour à la
table de jeux. A présent, les gens ont peur de rater cette opportunité de
nouveau boom.
Mais Richard est assez âgé pour regarder bien plus d'un quart de siècle en
arrière. Il a vu la Grande Dépression. Et la Seconde Guerre mondiale. Ainsi
que le marché baissier et la stagflation des années 70. Il sait que parfois,
être plus que prudent peut rapporter gros. "Le liquide et l'or", déclare
Richard, sont les seuls investissements que vous devriez détenir en ce
moment ; on est bien loin du plancher.
L'une des choses qui nous poussent à penser cela, c'est que tant de gens
cherchent le plancher. "Les investisseurs individuels se ruent sur Citigroup",
titrait un journal la semaine dernière. Le vieil adage boursier sur le
danger qu'il y a à rattraper un couteau qui tombe ne semble pas effrayer les
investisseurs individuels souhaitant se positionner sur Citigroup Inc.
Certains courtiers rapportent une augmentation d'investisseurs
individuels achetant des actions Citigroup ces cinq derniers mois, alors que
les cours des valeurs bancaires new-yorkaises baissent.
Ces investisseurs pensent voir une opportunité. Nous pensons voir un
piège.
Rappelez-vous que nous vivons une dépression, non une récession. Et grâce à
une action déterminée du gouvernement, elle est sur le point de se muer en
Grande Dépression. Dans une dépression, on ne peut
pas ressusciter l'ancienne économie. Il lui faut des changements structurels
- pour éliminer les erreurs de la période de bulle qui a précédé... et
construire de nouvelles entreprises avec de nouvelles manières de faire les
choses. La "destruction créatrice", selon l'expression de Schumpeter. Les
choses qui ne marchent pas doivent être détruites... pour que les choses qui
fonctionnent puissent utiliser le capital de manière plus efficace.
"Que feriez-vous si vous vous trouviez soudain au pouvoir aux Etats-Unis ? "
demanda l'un d'entre nous lors du dîner de samedi.
"Rien", a répondu Richard. "Je ne ferais rien. Je laisserais les choses se
passer. Je laisserais le marché baissier faire son travail".
Amen.
Bill Bonner
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