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18/7/08 André Savelli

Monsieur Bouteflika, en demandant à la France de faire repentance, vous inversez les rôles

Monsieur le Président,

En brandissant l'injure du génocide de l’identité algérienne par la France, vous saviez bien que cette identité n'a jamais existé avant 1830. M. Ferhat Abbas et les premiers nationalistes avouaient l'avoir cherchée en vain. Vous demandez maintenant repentance pour barbarie : vous inversez les rôles !

C'était le Maghreb ou l'Ifriqiya, de la Libye au Maroc. Les populations, d'origine phénicienne (punique), berbère (numide) et romaine, étaient, avant le VIIIe siècle, en grande partie chrétiennes (500 évêchés dont celui d’Hipppone/Annaba, avec Saint-Augustin). Ces régions agricoles étaient prospères.

Faut il oublier que les Arabes, nomades venant du Moyen Orient, récemment islamisés, ont envahi le Maghreb et converti de force, « béçif » (par l'épée), toutes ces populations? «Combattez vos ennemis dans la guerre entreprise pour la re1igion....Tuez vos ennemis partout où vous les trouverez » (Coran, sourate 11, 186-¬7). Ce motif religieux était élargi par celui de faire du butin, argent, pierreries, trésor, bétail, et aussi bétail humain, ramenant par troupeaux des centaines de milliers d'esclaves berbères ; ceci légitimé par le Coran comme récompense aux combattants de la guerre sainte (XLVIII, 19, 20). Et après quelques siècles de domination arabe islamique, il ne restait plus rien de l’ère punico romano berbère, si riche, que des ruines (Abder-Rahman ibn Khaldoun el Radrami, Histoire des Berbères, T I, p.36 37, 40,45 46. 1382).

Faut il oublier aussi que les Turcs ou Ottomans ont envahi le Maghreb pendant trois siècles, maintenant les tribus arabes et berbères en semi-esclavage, malgré la même religion, les laissant se battre entre elles et prélevant la dîme, sans rien construire en contre partie ?

Faut il oublier que ces Turcs ont développé la piraterie maritime, en utilisant leurs esclaves ? Ces pirates barbaresques arraisonnaient tous les navires de commerce en Méditerranée, permettant, outre le butin, un trafic d'esclaves chrétiens, hommes, femmes et enfants ? Dans l’Alger des corsaires du XVIe siècle, il y avait plus de 30.000 esclaves enchaînés. D'où les tentatives de destruction de ces bases depuis Charles Quint, puis les bombardements anglais, hollandais et même américain … Les Beys d'Alger et des autres villes se maintenaient par la ruse et la force, ainsi celui de Constantine, destitué à notre venue, ayant avoué avoir fait trancher 12.000 têtes pendant son règne.

Faut il oublier que l'esclavage existait en Afrique depuis des lustres et existe toujours ? Les familles aisées musulmanes avaient toutes leurs esclaves africains. Les premiers esclavagistes, Monsieur le Président, étaient les négriers noirs eux-mêmes qui vendaient leurs frères aux musulmans du Moyen-Orient, aux Indes et en Afrique (du Nord surtout), des siècles avant l'apparition de la triangulaire avec les Amériques et les Antilles, ce qui n'excuse en rien cette dernière, même si les esclaves domestiques étaient souvent bien traités.

Faut il oublier qu'en 1830 les Français sont venus à Alger détruire les repaires barbaresques ottomans qui pillaient la Méditerranée, libérer les esclaves et, finalement, affranchir du joug turc les tribus arabes et berbères opprimées ?

Faut il oublier qu'en 1830, il y avait à peu près 5.000 Turcs,100.000 Koulouglis, 350.000 Arabes et 400 000 Berbères dans cetterégion du Maghreb où n'avait jamais existé de pays organisé depuis les Romains ? Chaque tribu faisait sa loi et combattait les autres, ce que l'Empire Ottoman favorisait, divisant pour régner.

Faut il oublier qu'en 1830 les populations étaient sous développées, soumises aux épidémies et au paludisme ? Les talebs les plus évolués qui servaient de toubibs (les hakems) suivaient les recettes du grand savant « Bou Krat » (ou plutôt Hippocrate), vieilles de plus de 2.000 ans. La médecine avait quand même sérieusement évolué depuis!

Faut il oublier qu'à l'inverse du génocide, ou plutôt du massacre arménien par les Turcs, du massacre amérindien par les Américains, du massacre aborigène par les Anglais et du massacre romano-berbère par les Arabes entre l'an 700 et 1500, la France a soigné, grâce à ses médecins (militaires au début puis civils) toutes les populations du Maghreb, les amenant de moins d'un million en 1830, en Algérie, à dix millions en 1962 ?

Faut il oublier que la France a respecté la langue arabe, l'imposant même au détriment du berbère, du tamashek et des autres dialectes, et a respecté la religion (ce que n'avaient pas fait les Arabes, forçant les berbères chrétiens à s'islamiser pour ne pas être tués, d'où le nom de «kabyle » (j'accepte) ?

Faut il oublier qu'en 1962 la France a laissé en Algérie, malgré des fautes graves et des injustices, une population à la démographie galopante, souvent encore trop pauvre il manquait du temps pour passer du Moyen Âge au XXe siècle mais en bonne santé, une agriculture redevenue riche grâce aux travaux des Jardins d'Essais, des usines, des barrages, des mines, du pétrole, du gaz, des ports, des aéroports, un réseau routier et ferré, des écoles, un Institut Pasteur, des hôpitaux et une université, la Poste... ? Il n’existait rien avant 1830. Cette mise en place d'une infrastructure durable, et le désarmement des tribus, a été capitale pour l'Etat naissant de l'Algérie.

Faut il oublier que les colons français ont asséché, entre autres, les marécages palustres de la Mitidja, y laissant de nombreux morts, pour en faire la plaine la plus fertile d'Algérie, un grenier à fruits et légumes, transformée, depuis leur départ, en zone de friche industrielle ?

Faut il oublier que la France a permis aux institutions de passer, progressivement, de l'état tribal à un Etat nation, et aux hommes de la sujétion à la citoyenneté en construction, de façon, il est vrai, insuffisamment rapide ? Le colonialisme, ou plutôt la colonisation a projeté le Maghreb, à travers l'Algérie, dans l'ère de la mondialisation.

Faut il oublier qu'en 1962, un million d'Européens ont dû quitter l'Algérie, abandonnant leurs biens pour ne pas être assassinés ou, au mieux, devenir des habitants de seconde zone, des dhimmis, méprisés et brimés, comme dans beaucoup de pays islamisés ? Il en est de même de quelque cent mille israélites dont nombre d'ancêtres s'étaient pourtant installés là, 1000 ans avant que le premier arabe musulman ne s'y établisse. Etait ce une guerre d'indépendance ou encore de religion ?

Faut il oublier qu'à notre départ en 1962, outre au moins 75.000 harkis, sauvagement assassinés, véritable crime contre l'humanité, et des milliers d'Européens tués ou disparus, après ou avant, il est vrai, les excès de l’OAS, il y a eu plus de 200.000 tués dans le peuple algérien qui refusait un parti unique, beaucoup plus que pendant la guerre d'Algérie ? C'est cette guerre d’indépendance avec ses cruautés et ses horreurs de part et d'autre, qui a fondé l’identité algérienne. Les hommes sont ainsi faits.

Monsieur le Président, vous savez que la France forme de bons médecins, comme de bons enseignants. Vous avez choisi, avec votre premier ministre, de vous faire soigner par mes confrères du Val de Grâce. L'un d'eux, Lucien Baudens, créa la première Ecole de médecine d'Alger en 1832, insistant pour y recevoir des élèves autochtones. Ces rappels historiques vous inciteront peut être, Monsieur le Président, à reconnaître que la France vous a laissé un pays riche, qu'elle a su et pu forger, grâce au travail de toutes les populations, des plus pauvres aux plus aisées ces dernières ayant souvent connu des débuts très précaires. La France a aussi créé son nom, qui a remplacé celui de Barbarie.

Personne ne vous demandera de faire acte de repentance pour l'avoir laissé péricliter, mais comment expliquer que tant de vos sujets, tous les jours, quittent l'Algérie pour la France ? En fait, le passé, diabolisé, désinformé, n'est il pas utilisé pour permettre la mainmise d'un groupe sur le territoire algérien ?

Je présente mes respects au Président de la République, car j'honore cette fonction.

André Savelli, professeur agrégé de médecine au Val-de-Grâce.



 

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