Retraites : la capitalisation enterrera
la répartition
"Le résultat de mes études et de mes recherches a été que les
souffrances de la société, bien loin d’avoir leur origine dans le principe
de la propriété, proviennent au contraire d’atteintes directement ou
indirectement portées à ce principe." Gustave de Molinari, préface aux «
Soirées de la rue Saint-Lazare »(1849).
La crise financière donne des ailes aux contempteurs des fonds de
pensions et aux partisans des retraites par répartition. Les pertes des
fonds de retraite privés de la zone OCDE sont estimées à 20 % des capitaux
entre janvier et octobre 2008 et la tendance pourrait se poursuivre.
Naturellement les pays ayant massivement recours à la capitalisation, tels
les Pays-Bas, la Suisse, l’Australie, le Royaume-Uni ou les États-Unis sont
les plus touchés.
Certains en viennent ainsi à présenter la répartition comme un garde-fou
par rapport à des marchés financiers volatiles et à envier la situation de
pays comme la France, ayant très peu recours à la capitalisation. En 2007,
les actifs des fonds de pension y représentaient moins de 2 % du PIB.
Peut-être que ce que certains qualifieraient d’imprévoyance était in fine
une marque de clairvoyance ?
Pour autant, une telle analyse est trompeuse car la situation des plans
de retraite par capitalisation n’est pas désespérée, alors que celle de la
retraite par répartition sera tributaire d’évolutions conjoncturelles et
structurelles irrémédiablement défavorables.
D’abord, il est inexact de penser que la baisse des marchés boursiers se
traduit par une baisse similaire des pensions de ceux qui s’apprêtent à
partir à la retraite. Certes des épargnants ont pu mettre en danger leur
épargne, en gardant leurs économies sous forme d’actions en dépit de
l’arrivée prochaine de leur retraite. Pour autant ces situations
individuelles ne constituent pas une généralité.
Les gestionnaires institutionnels, tels les fonds de pensions,
n’investissent sur les marchés des actions qu’une part de l’épargne retraite
qu’ils gèrent. Cette part est d’autant moins importante que leurs cotisants
se rapprochent de la retraite, c'est-à-dire du moment où ils cesseront
d’épargner et toucheront leur pension.
Il en va de même dans nombre de plans à cotisations définies. Un grand
nombre de ces plans permettent d’opter pour une gestion automatique
privilégiant les investissements en actions quand on est loin de la
retraite, afin de profiter de leur potentiel de rentabilité à long terme.
A contrario, ces plans privilégient des actifs moins volatiles lorsque
les épargnants se rapprochent de la retraite, pour mettre leur épargne à
l’abri des fluctuations des marchés. Cela explique que nombre d’épargnants,
ayant épargné régulièrement depuis des années, continuent de réaliser des
gains. Ceux qui enregistrent des pertes sont fréquemment des épargnants
jeunes, ayant commencé à épargner récemment. Pour autant ils ne
concrétiseront pas ces moins-values car, loin de la retraite, ils ne sont
pas en situation de vendre. Ils vont même pouvoir bénéficier des
opportunités résultant de la baisse des cours. Les versements qu’ils vont
faire leur permettront d’acheter plus d’actions, moins chères, et les
mettront en situation de profiter de la reprise des marchés à moyen ou long
terme.
Ce serait donc une erreur de juger la rentabilité de la capitalisation à
l’aune des rendements à court terme des marchés des actions. L’épargne
retraite est, par essence, une pratique dont les fruits doivent être jugés
sur la longue période. Les épargnants retraite sont des investisseurs à long
terme. Achetant régulièrement des actifs, ils sont en situation d’amortir
les chocs boursiers et ont peu de raisons de s’inquiéter des baisses à court
terme.
Enfin, l’idée que les régimes de retraite par répartition sont à l’abri
de la conjoncture est fausse. Leurs ressources proviennent majoritairement
de cotisations sociales, prélevées sur le travail des actifs. Si ces
derniers sont moins nombreux, par exemple du fait d’un ralentissement de
l’économie, leurs recettes s’amenuisent mécaniquement.
C’est exactement ce qui est en train de se produire en France à cause de
l’impact de la crise sur l’activité des entreprises. Le chômage vient d’y
repasser au-dessus des 2 millions, niveau qu'il n'avait pas atteint depuis
avril 2007, et la tendance risque de se poursuivre dans les années à venir.
Cette remontée laissera des traces dans les comptes de l’assurance chômage
et dans toutes les branches de la sécurité sociale, dont la Caisse nationale
de l’assurance vieillesse (CNAV). Les comptes de cette dernière seront
d’autant plus dégradés qu’elle ne dispose pas de réserves.
La CNAV, directement tributaire des aléas à court terme, doit aussi faire
face à des déséquilibres structurels, liés au vieillissement et au
contrechoc du baby boom. Le nombre de départs à la retraite est passé
d’environ 500 000 par an au début de la décennie à 750 000 en 2007 et 2008.
Conséquence, le déficit se creusera chaque année un peu plus. Le Conseil
d’orientation des retraites (COR) considère – même dans l’hypothèse très
optimiste de plein emploi en 2015 – que les pertes annuelles des régimes de
retraite français devraient passer de 4,2 milliards d’euros en 2006 à 24,8
milliards en 2020 et à 68,8 milliards d’euros en 2050.
Cumulés, les déficits annuels de la répartition représentent
proportionnellement des masses nettement plus inquiétantes que les
moins-values potentielles enregistrées à ce jour par les fonds de pensions.
À titre d’illustration l’Institut national de la statistique français
(INSEE) estimait en 2006 que la « dette implicite ex ante » des
systèmes de retraite français représentait 105 % du PIB, soit près de 1 700
milliards d’euros. Faute d’avoir provisionné ces sommes, il sera impossible
de maintenir le pouvoir d’achat des retraités français et de ceux qui
financent leur retraite.
Il est donc urgent de relativiser les discours opposant une retraite par
capitalisation risquée à une retraite par répartition gage de sécurité. La
situation des pays où les retraites sont quasi intégralement financées par
la répartition, tels la France, est loin d’être aussi confortable que celle
de la Suisse et des autres pays de l’OCDE ayant fait le choix de recourir
massivement à la capitalisation.
Nicolas Marquès
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