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11/12/08 Bernard Martoïa

     Le capitalisme à la française sur la sellette

Dans un entretien accordé, le 12 décembre 2008, au Figaro et intitulé "Les banques françaises sont solides", Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, s'est voulu rassurant auprès des déposants. L'article aurait très bien pu s'intituler "Tout va très bien madame la Marquise".

Le gouverneur de la Banque de France, énarque de formation, manie bien la langue de bois. Je me limiterai à commenter un seul point de son discours car il aborde trop de sujets qui mériteraient de longs développements. Je reviendrai plus tard sur d'autres points de son entretien.

La confusion des genres volontairement entretenue en France

"Le fait que les banques françaises soient des banques universelles leur permet de s'appuyer sur l'activité de banque de détail qui se comporte plutôt bien", a déclaré le gouverneur de la Banque de France.

La traduction de cette contre-vérité est la suivante. Les dépôts des particuliers servent à éponger les pertes colossales essuyées par leurs branches d'investissement. Exemple à l'appui. Jérôme Kerviel travaillait au bureau Delta One de la branche d'investissement de la Société Générale. C'est avec l'argent des déposants qu'il a joué très gros en prenant une position de 50 milliards d'euros. S'il avait travaillé au sein de la banque d'investissement Lehman Brothers, il n'aurait fait courir ce risque qu'aux actionnaires de la défunte compagnie. Comme je l'ai écrit, Lehman Brothers est la victime de la concurrence déloyale des gorilles européens qui disposent de l'énorme masse d'argent des dépôts des particuliers.

La lâcheté des énarques

Kerviel n'est que le mauvais augure du dysfonctionnement des banques françaises. Il n'a pu sévir que dans un environnement propice à ce genre de manipulation. C'est Bouton qui a lancé la branche d'investissement dès qu'il a été parachuté à la tête de la Société Générale en 1997. C'est lui qui a fait courir de gros risques aux déposants et c'est encore lui qui se défile en refusant la confrontation avec Kerviel au bureau du juge Renaud Van Ruymbeke.

Les énarques sont des gens assoiffés de pouvoir mais qui n'assument jamais leurs responsabilités. Dans la grave crise financière que nous traversons, il fallait trouver un bouc émissaire. La presse s'est livrée à un lynchage des patrons et de leurs parachutes dorés. Mais les patrons n'ont fait que copier la nomenklatura. Si un énarque fait couler une banque ou perd son mandat d'élu politique, il a l'assurance de réintégrer son administration d'origine. Quand la perte colossale de Kerviel fut divulguée à la presse, Bouton présenta sa démission. C'était la moindre des choses mais elle fut refusée par le conseil d'administration.

Le 17 avril 2008, Bouton annonça qu'il rendrait son titre de directeur général mais garderait celui de président. C'est une auto-sanction dérisoire par rapport aux années de prison que Jérôme Kerviel encourt si les deux juges d'instruction décident de son inculpation.

Le cumul des mandats est répréhensible

La composition du conseil d'administration de la Société Générale est emblématique du capitalisme à la française. Parmi les quatorze membres, certains sont d'impénitents cumulards de jetons de présence. Tel est le cas de Jean-Martin Folz qui a un siège au conseil d'administration de trois sociétés (Saint-Gobain, Alstom et Solvay) et aussi au conseil de surveillance d'Axa et de Carrefour. Comment voulez-vous que ces gens très occupés puissent sérieusement juger de la bonne marche d'une entreprise multinationale employant cent cinquante mille employés à travers quatre-vingt deux pays ?

Le capitalisme à la française est une caricature. Il est entre les mains d'une nomenklatura extrêmement réduite et cloisonnée. Dans l'enquête qu'a menée James Stewart du New Yorker, un homonyme du grand acteur disparu, il a mentionné un détail révélateur de notre élite : " Bouton est membre de ce qui est peut être le club le plus exclusif de France, le club secret des Cents, qui se réunissent une fois par semaine pour savourer la haute cuisine et les grands vins."

La solution que je propose est le non cumul des mandats dans les conseils d'administration des sociétés. Cette règle de bonne gouvernance vaut aussi pour les politiques.

La stricte séparation des banques commerciales et des banques d'investissement

Pour éviter qu'un jour les déposants se ruent à leur banque pour retirer leur argent, il faudrait instaurer, comme je ne cesse de le marteler, une stricte séparation des banques commerciales (dépôts des particuliers) et des banques d'investissement sur le modèle du Glass Steagall Act voté en 1933 pendant la Grande Dépression. Je déplore que lors de la réunion du G20 qui s'est tenue le 15 novembre 2008 à Washington sous l'égide du Fonds Monétaire International, cette solution n'ait pas été retenue.

Les énarques ne sont malheureusement pas les seuls à blâmer dans la crise financière. L'inculture économique de la classe politique est sidérante. Le chef de l’État a fustigé la frilosité des banquiers. Il a confié aux préfets la mission d'aiguillonner les banquiers !

Son désarroi face à la contraction du crédit qui asphyxie les petites entreprises, un processus normal dans la purge en cours des produits toxiques, a néanmoins le mérite de souligner l'absence de véritables banques d'investissement dans notre pays.

Bernard Martoïa

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