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24/2/13 Brian Carney
Pourquoi la crise de l'euro est loin d’être terminée !

Dix-sept ans en arrière, Bernard Connolly avait prédit la misère qui attendait l'Union européenne. Étant donné qu'il était lui-même un acteur important dans la bureaucratie de l'Union européenne et qu’il avait publiquement exprimé ses doutes dans un livre intitulé « The Rotten Heart of Europe » (Le cœur pourri de l’Europe), il fut congédié. M. Connolly ne prend pas de plaisir à voir sa prédiction se réaliser. Et il n’en prend pas non plus à entendre l’opinion, qui prévaut dans de nombreux milieux, selon laquelle l'UE aurait traversé le pire de la crise.

« La classe politique européenne, dit-il, estime que la crise a atteint son apogée l'été dernier, quand il y a eu un danger imminent, de son point de vue, de voir son rêve merveilleux sur le point de disparaître. Mais du point de vue des ménages ou des entreprises, la situation empire. » La semaine dernière, l'UE a indiqué que l'économie de la zone euro s'est contractée de 0,9% au quatrième trimestre de 2012. Pour l'année complète, le produit intérieur brut a reculé de 0,5% dans la zone euro. (1)

« Deux solutions immédiates se présentent, dit M. Connolly, et elles ne sont pas réjouissantes. Soit l’Allemagne paie quelque chose comme 10 % de son PIB chaque année et pour toujours aux pays touchés par la crise pour les maintenir dans la zone euro. Ou l'économie va si mal en Grèce, en Espagne ou ailleurs que les électeurs allemands finissent pas dire : Eh bien, nous allons jeter tout le monde par-dessus bord ! » Ce n'est évidemment pas une perspective agréable. Il pense, en particulier, à un scénario comportant la montée du fascisme, comme avec l’Aube dorée en Grèce. (2)

M. Connolly n'est pas n'importe quelle Cassandre. Quand il a prédit la catastrophe, il dirigeait le comité monétaire chargé de l'avènement de l'euro au sein de la Commission européenne. La publication de son livre annonçant que l'union monétaire produirait inévitablement une crise économique lui a non seulement coûté son poste, mais aussi sa retraite, et on lui a même interdit d’entrer dans son bureau avant que son licenciement soit officiel. Dans l'introduction à l'édition de poche de « The Rotten Heart of Europe », M. Connolly raconte comment sa photographie a été placardée à l'entrée des bureaux de la Commission européenne, comme s'il était un criminel recherché. (3)

M. Connolly a été contraint de poursuivre sa carrière d’économiste dans le secteur privé. Ses recherches chez l’assureur American International Group (AIG) ont montré à nouveau sa capacité à formuler des pronostics audacieux. En 2003, quand le président de la Fed, Alan Greenspan, réduisit les taux d'intérêt à 1%, M. Connolly décrivit l'économie américaine comme une pyramide de Ponzi soutenue par l'endettement. Et il ajouta que les taux d'intérêt devraient baisser davantage dans le prochain cycle économique afin de conserver en l’état la dite pyramide. (4)

Aujourd'hui, M. Connolly propose ses notes de recherche à des clients qui paient rubis sur l’ongle pour bénéficier de ses idées. Il ne parle pas à la presse et ne fait pas de déclaration publique, de peur de perturber ses clients. Mais son livre venant d’être réimprimé en format de poche, M. Connolly a accepté de nous rencontrer dans le bureau de son éditeur afin d’expliquer pourquoi l'euro a mal fonctionné, pourquoi rien n'est réglé, et ce qu'il prévoit pour la zone euro.

À première vue, les politiques ont retrouvé une certaine confiance et pensent que le pire de la crise est derrière eux : les écarts de taux d'intérêt, les déficits des comptes courants et budgétaires sont en voie de réduction. Le départ de la Grèce de la monnaie unique ne semble plus imminent.

Pourtant, le chômage est proche de 27 % en Espagne et en Grèce. L'économie de la zone euro s'est contractée tout au long de 2012. Et le plus important pour M. Connolly est que les fondamentaux de l'économie française vont encore se dégrader. Cette semaine, la France a annoncé qu'elle n’atteindrait pas son objectif de réduction du déficit budgétaire en raison de l’affaiblissement des perspectives de croissance. « C'est une chose de renflouer la Grèce ou l'Irlande, dit M. Connolly, mais si les Allemands découvrent tout à coup qu’ils vont devoir aussi renflouer la France sur une base pérenne, le feront-ils ? Je ne le sais pas. Mais c'est la question à laquelle il faut répondre. »

Le point de vue officiel, c’est que les plans de sauvetage de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal, et peut-être bientôt de l'Espagne, ne sont que de simple accidents de jeunesse de l’euro, et qu'une fois que ces pays auront réduit leurs déficits, leurs économies vont repartir et cette mauvaise passe ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Pour M. Connolly, c’est tout simplement de la propagande.

Et là nous arrivons à ce qu’il considère comme le cœur du problème de la monnaie unique. « La crise, selon la propagande officielle, dit-il, serait due à l'indiscipline fiscale dans des pays comme la Grèce, et au secteur financier comme en Irlande. En conséquence, la réponse qui a été apportée est axée sur les règles budgétaires, les renflouements des pays en banqueroute et les réglementations du secteur financier européen, avec la perspective, peut-être, d’un sauvetage financier par le biais d’un syndicat bancaire, bien que cela reste incertain. »

« Même si les Grecs sont des gens indisciplinés, ajoute-t-il, les crises de la dette souveraine et du secteur bancaire ne sont que des symptômes, pas des causes. Et le problème sous-jacent, c’est qu’il y a eu une bulle énorme générée, dans le monde entier, par la politique monétaire, et en particulier dans la zone euro par la politique de la Banque centrale européenne. »

La bulle s’est formée de la manière suivante, quand des pays comme l'Irlande, la Grèce ou l'Espagne ont rejoint l'euro et que leurs taux d'intérêt pour emprunter sur les marchés obligataires ont immédiatement chuté à des niveaux proches de ceux de l’Allemagne : « L'optimisme suscité dans ces pays quand ils ont découvert soudainement qu'ils pouvaient emprunter à des taux bas, sans que leur monnaie s'effondre, ce qui avait été leur expérience précédente, les a conduits à penser qu'il y avait un véritable taux de rendement révolutionnaire en cours pour eux. »

Il y avait eu une baisse des taux de rendement en Irlande, et dans une certaine mesure en Espagne, dans la perspective de leur adhésion à l'euro, grâce à des réformes structurelles. Mais au moment où l'euro est arrivé, l'argent s’est mis soudainement à couler à flots dans ces pays, hors de toute proportion avec les possibilités d’investissement qui s’offraient. (5)

« Et ce qui a légitimé cet afflux énorme d’argent, dit M. Connolly, c’est essentiellement la croyance qu’il y avait un taux de rendement élevé dans le bâtiment. Cela reposait sur les anticipations du marché sur la valeur de l’immobilier qui, à certains égards, ne différaient pas de ce qui s’est passé aux États-Unis. Mais la bulle immobilière était beaucoup plus grande en Europe qu’en Amérique. Si vous comparez le nombre de constructions par rapport à la population de ces pays, la bulle en Espagne et en Irlande était quelque chose comme trois ou quatre fois plus grosse que celle des Etats-Unis. C'est ahurissant ! »

Ce torrent d'argent a fait grimper les salaires beaucoup plus rapidement que la productivité, tandis que les emprunts à faible taux ont conduit à des déficits majeurs. Après la panique financière de 2008, la bulle a inévitablement éclaté.

« Alors qu'est-ce qu'il faut faire maintenant ? Ce n'est pas simplement une question d’austérité budgétaire ou de réforme bancaire. Les salaires et les prix doivent revenir à leur niveau d’avant la formation de la bulle , explique M. Connolly, pour rendre ces économies à nouveau compétitives. Une façon d'y parvenir serait une dépréciation massive de l'euro.» (6)

« Si ce n'est pas possible, dit-il, l'Europe peut tenter de recréer la bulle en revenant aux conditions qui ont permis à l'Espagne d'emprunter à si bon marché. C’est ce que le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, semble essayer de faire. M. Draghi, en menaçant d'intervenir sur les marchés de la dette souveraine, a fait baisser sensiblement les taux d’emprunt de l’Espagne. Mais comme le système bancaire espagnol est en détresse, et que les prix des logements continuent de baisser, ces faibles taux n’ont pas stimulé les investissements dans ce pays comme ils le faisaient auparavant. Et même si M. Draghi devait réussir, la BCE ne ferait que recréer exactement le même danger, la situation intenable que nous avons eue au milieu de la dernière décennie. »

Ce qui nous ramène à la dernière option : l’Allemagne paiera ! Comme le dit, sans ambages, M. Connolly, « vous pouvez dire à un pays comme l'Espagne que cela ne vaut pas la peine qu’il redevienne compétitif et qu’il n’a pas besoin de rééquilibrer sa balance commerciale :il aura toujours une balance commerciale équilibrée car nous allons lui fournir, à la place de ses exportations, des transferts européens massifs. Et si cette méthode permet d'éviter l’ajustement nécessaire, elle devra être appliquée non seulement cette année, l'année prochaine et l'année d'après, mais chaque année pour toujours ! »

Ce n'est pas la façon dont Bruxelles et Francfort voient la chose. À leur avis, un peu d'aide maintenant va tout simplement faciliter la transition vers un avenir plus stable, et alors les transferts cesseront. De tous les pays qui ont été renfloués à ce jour, l'Irlande se rapproche le plus de la réalisation de cet objectif. « Mais l'Irlande, note M. Connolly, est une économie beaucoup plus souple et ouverte que l'Espagne, la Grèce, le Portugal, la France ou l'Italie. » Les économies moins flexibles ont été plus lentes à s'adapter, avec cette conséquence que les salaires, au lieu de revenir à leur niveau antérieur, restent élevés. Il en résulte un chômage de masse. (7)

Ce qui nous ramène à la crise de l'euro. À un moment donné, les électeurs des les pays les plus touchés par la récession économique vont sans doute demander que soit mis un terme à leur souffrance et élire un gouvernement disposé à faire le saut dans l’inconnu, en quittant la zone euro, par exemple.

Pour éviter cela, l'Allemagne pourrait bien accepter de payer pour une union de transfert, soit en croyant que les transferts ne seront pas permanents, soit dans l'espoir qu'ils seront moins coûteux qu'un éclatement de la zone euro. « Mais, avertit M. Connolly, dès qu'un mécanisme sera mis en place pour transférer de l'argent de l'Allemagne vers les pays structurellement déficitaires, il ne faudra pas longtemps avant que l'Allemagne ne voie la France s’ajouter à la liste des pays à charge, et c’est quelque chose que Berlin n’est peut-être pas disposé ni en mesure de payer. » (8)

La réunification allemande a coûté à l'ex-Allemagne de l'Ouest environ 5 % de son PIB par an, sans qu’elle en voie la fin. « La charge s'est révélée politiquement tolérable, selon M. Connolly, parce que les Allemands avaient le fort sentiment qu'ils œuvraient à la réunification de leur pays. » Mais cette solidarité n'existe pas en Europe.

« Il n'y a pas de famille européenne, et on ne peut pas en créer une en mettant en place un système dans lequel vous dites aux nécessiteux : Nous allons vous donner de l'argent et vous allez suivre ces règles, explique M. Connolly. Cela ne marchera jamais. »

Brian Carney

Notes du traducteur

1- L’embellie des marchés européens en janvier n’aura été qu’un feu de paille. La Commission européenne a encore révisé à la baisse ses prévisions pour 2013 : ce sera encore une croissance zéro.

2- Le Front national a de beaux jours devant lui en France.

3- C’est cette même Commission européenne qui se permet de donner des leçons de démocratie en envoyant des observateurs aux élections aux quatre coins du monde.

4- C’est exactement ce qui s’est passé dans le cycle suivant (2009-2013), avec l’abaissement des taux d’intérêt de la Fed à zéro par le gouverneur Ben Bernanke qui a succédé à Alan Greenspan. La Fed en est à son troisième plan de quantitative easing pour doper la croissance américaine. Votre serviteur a écrit maintes fois que le dérèglement du système monétaire international date de 1913, avec la création de la banque centrale américaine. Cela fait un siècle que les peuples subissent les crises engendrées par ces apprentis-sorciers. Quand comprendront-ils enfin la raison de leur malheur ? Avant la création de la Fed, une récession ne durait que six mois en moyenne aux Etats-Unis.

5- Cela nous ramène à la théorie autrichienne des mauvais investissements, qui n’est pas enseignée en France. Comme l’écrit Guy Sorman, il vaudrait mieux ne pas enseigner du tout l’économie dans notre pays que de lui asséner les délétères pensées marxiste ou keynésienne qui n’offrent pas de solution à la crise de l’endettement.

6- C’est la solution qui séduit Paris mais qui serait refusée catégoriquement par Berlin. L’intransigeance de la France aux négociations du traité de Versailles en 1919 a ruiné les épargnants allemands dans les années 1920.

7- Au lieu de nous montrer les manifestations et les saccages commis à Athènes, à Madrid ou à Rome, nos médias gauchistes auraient mieux fait de s’intéresser aux sages Irlandais qui ont accepté une baisse de 20 % de leurs salaires afin de relancer leur économie. Après trois ans de sacrifice, ce pays est en train de sortir de la récession. Un exemple que la France pourrait imiter si les médias faisaient pour une fois leur travail d’informer correctement les Français.

8- L’Allemagne ne pourra tout simplement pas payer pour la France. C’est la loi de la nature. Une couleuvre peut avaler sans problème un mulot, mais pas un coq.


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