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26/7/09 | Jean Bonsujet |
Chronique du Grand
Merdier Tout ce que le Grand Merdier compte de personnes exerçant une activité a, d’un coup d’un seul, décidé de se mettre au repos pendant ces quelques semaines où le temps est chaud, la mer calme et les oiseaux joyeux. Un observateur inexpérimenté pourrait en déduire que plus rien ne marche dans ce beau pays que la divine providence a doté de tous les attraits. Eh bien nullement. Tout fonctionne comme d’habitude. Serait-ce que des mécanismes automatiques nouvellement inventés soient venus se substituer à la main de l’homme ? Pas davantage. Les meilleurs spécialistes du curieux mode de vie grandmerdien - unique au monde de l’avis général – ont depuis longtemps percé ce mystère, mais ils se gardent bien de divulguer les conclusions de leurs études, de peur de susciter une colère si violente qu’elle mettrait leur vie en danger. La vérité, la voici, mais surtout ne la répétez pas : les Grandmerdiens, en réalité, ne travaillent pas mais font semblant. Ils peuvent donc suspendre leur activité tant qu’ils le veulent – et Dieu sait qu’ils le font à tout moment et à longueur d’année – sans que cela ait la moindre conséquence sur la vie quotidienne de notre bienheureux pays. Mais enfin, diront les plus soupçonneux, il y a bien quelqu’un qui fait le travail ! Certes. Mais ce quelqu’un n’existe pas ! Je veux dire qu’il n’a ni nom, ni statut, ni reconnaissance, à peine une obole pour sa nourriture, et surtout pas le droit de se plaindre. Ce droit est réservé aux autres, à tous les autres. Et ceux-ci - qu’on appellerait volontiers les paresseux si l’expression était libre chez nous et si les mots avaient gardé leur sens - ont mis au point un mécanisme infernal visant à égarer les derniers laborieux de ce mirifique Etat et à leur faire accroire que leur sort, finalement, est encore plus enviable que celui de tous les autres, voire qu’ils figurent au rang des privilégiés. La géniale méthode des paresseux se décline en deux actes forts : la grève et la manifestation, utilisées de manière rythmique, comme une musique entraînante et qui, en effet, fait danser la nation à son pas. Les Grandmerdiens se laissent souvent aller à battre des mains en cadence quand passe devant chez eux un de ces défilés, même si ceux qui protestent ne visent en fait qu’à s’emparer du bien de ceux qui applaudissent. Pays de fous ? Mais non, Vieux et noble pays, empreint d’une sagesse millénaire, autrefois puissant, aujourd’hui débile, mais si fier de son passé glorieux qu’il passe ses jours et ses années à en mimer les hauts faits, tandis que tout s’écroule chez lui et que son avenir s’écrit désormais en termes tragiques. Mais la tragédie, dit-on au Grand Merdier, ne survient que si on ne sait pas la conjurer par les formules magiques appropriées ? L’une de celles qu’on emploie le plus communément chez nous consiste à désigner telle ou telle de nos institutions par son appellation officielle, puis à cracher en l’air, à tourner trois fois sur soi-même, à cracher en l’air à nouveau, et à prononcer en détachant bien les mots la formule cabalistique traditionnelle : « Que-le-monde-entier-nous-envie ». Les anciens adeptes de la religion disparue ajoutent parfois « amen », mais on ne leur en fait pas grief car personne ne doute, dans les rangs du peuple fidèle, que notre foi est la meilleure et même la seule et que nul ne saurait, ici ou ailleurs, éprouver à son sujet le moindre doute. Mais que devient, pendant ce temps béni où chacun se repose de l’inactivité de l’année, notre bien aimé souverain, Sa Sautillante Majesté Inapte 1er. Eh bien, il participe à la liesse générale en prenant ses quartiers d’été dans la princière demeure de ses nouveaux beaux parents, au côté de la poupée Carlita. Là, soulagé des inutiles fardeaux de l’Etat, en culotte courte pour mieux faire admirer de tous ses musculeux mollets, gagnés à l’exercice assidu du vélocipède, il consacre son immense intelligence à résoudre un des plus graves problèmes qui, de tout temps et en toute société, s’est posé à l’Homme : celui des égouts. Déjà, à Rome, ce dispositif avait reçu le nom, honoré depuis des siècles, de « Cloaca maxima ». Notre souverain n’en est encore qu’à ses débuts dans cette discipline. Mais il y met l’attention et la volonté qui font les grandes réussites et laissent espérer les plus belles renommées. Et à ceux qui, respectueusement, osent murmurer qu’il y a, pour un prince, plus noble occupation, il répond, avec la modestie charmante et l’innocente fraîcheur qu’il sait afficher en toutes circonstances : « Eh quoi, Louis le Seizième s’occupait bien d’horloges ! » Les plus férus d’histoire parmi ses courtisans ne se hasardent pas à évoquer devant lui le tragique destin de ce roi. Notre Empereur le connaît bien d’ailleurs, qui évoque parfois la fin terrifiante de ce monarque et de son épouse, démontrant ainsi qu’il n’est ni stupide, ni inconscient, mais seulement grisé de ce pouvoir qu’il a su capturer au prix de flamboyantes proclamations, dont aucune n’a été suivie du moindre effet, et qui le laisseront fort démuni le jour où le peuple lui en demandera compte. Mais ce sont là sujets d’inutile tristesse, quand tout se conjugue à nous rendre heureux. Goûtons donc ces jours où le temps semble s’arrêter, crachons en l’air, tournons trois fois sur nous-mêmes, crachons en l’air à nouveau et – « tous ensemble, tous ensemble, comme on dit dans nos sublimes manifestations - honorons comme il se doit « les vacances-que-le-monde-entier-nous-envie ». Jean Bonsujet
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