www.claudereichman.com |
A la une |
Claude Reichman Chapitre 4 Les règles piétinées Le calendrier républicain déroule ses fastes. Election présidentielle, c’est fait. Elections législatives, il faut les gagner. Pas de soucis pour Sarkozy. Fort de ses 53 % de voix en mai, il ne voit pas - et les observateurs non plus – comment le pays pourrait se raviser et ne pas lui donner une majorité parlementaire confortable en juin. Et de fait le premier tour laisse entrevoir un succès massif de l’UMP au terme du second. Or voilà qu’au cours de la soirée électorale à la télévision, Laurent Fabius pose innocemment une question sur l’instauration d’une TVA sociale à Jean-Louis Borloo, ministre de l’économie du premier gouvernement nommé par Nicolas Sarkozy. Confus de nature, Borloo l’est encore plus ce soir-là et s’empêtre dans des considérations qui, en langage populaire se résument par « peut-être ben que oui, peut-être ben que non ». Fabius s’empresse de conclure avec autorité que pour la TVA sociale, ce sera plutôt oui que non. Et voilà la future majorité du président plombée par la menace d’une hausse de la fiscalité indirecte, propre à faire fuir les électeurs des classes moyenne et populaire qu’avait attirés le « travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy. Car enfin, si gagner plus signifie se faire plumer plus, où est le bénéfice ? Le résultat ne se fait pas attendre. Le dimanche du deuxième tour, une bonne soixantaine de candidats UMP qui se voyaient déjà députés mordent la poussière. Et tout le monde de tomber à bras raccourcis sur Borloo, intronisé coupable de ce triomphe raté. Pauvre Borloo, qui se ratatine encore plus et qui ne doit qu’à son image « sociale » son maintien, mais à un poste de moindre importance, au second gouvernement que constitue Sarkozy au lendemain des élections législatives. Malheureusement pour Borloo et pour la vérité des faits, ce n’est pas ainsi que l’histoire s’est vraiment déroulée. A la télévision, Borloo n’a fait que répéter fidèlement ce que n’avait cessé de dire Sarkozy pendant les semaines et les mois précédents, à savoir que la TVA sociale, il fallait y réfléchir et qu’au terme de cette réflexion, on la ferait peut-être à moins qu’on n’en abandonne l’idée. Or il ne s’agit pas d’un aspect secondaire de la politique économique et sociale du nouveau président, mais d’un choix majeur face au déficit abyssal, permanent et en croissance constante de la Sécurité sociale. Faute de maîtriser les comptes sociaux, le respect des équilibres budgétaires est impossible. Rappelons que les engagements européens des membres de la zone euro, dont la France, limitent à 3 % du PIB les déficits publics, que ceux-ci concernent à la fois le budget de l’Etat, celui des collectivités territoriales et celui de la Sécurité sociale, et que notre pays s’est engagé, par la voix du gouvernement de Dominique de Villepin, à être à l’équilibre en 2010. Nicolas Sarkozy n’ignorait évidemment ni l’état des finances publiques, ni les engagements d’un gouvernement qu’il n’avait quitté que très récemment, ni qu’il devait, en vertu de la continuité républicaine, les reprendre à son compte. Or il est manifeste à ce moment-là qu’il n’a toujours pas la moindre idée de ce qu’il va faire. Et c’est moins la hausse éventuelle de la TVA que les électeurs sanctionnent au deuxième tour, que les hésitations à proprement parler incroyables du nouveau pouvoir. Tout ce qui va suivre est déjà contenu dans ce premier et grave accroc politique que constitue le relatif revers de l’UMP en ce second tour d’élections. Car les évènements suivants vont être de la même eau. Sarkozy fait connaître à l’été son plan de relance de la croissance, et là, les bras des connaisseurs de la chose économique leur en tombent, tandis que le peuple commence à se tapoter le menton, sans pour autant retirer sa confiance au président. Pour le moment. Sarkozy met une quinzaine de milliards d’euros sur la table et s’imagine qu’il va ainsi modifier la donne d’une économie qui stagne et de déficits qui ne cessent de s’aggraver. La moitié de cette somme va à la création d’heures supplémentaires exonérées d’impôts et de charges sociales pour les salariés. La mesure était depuis des mois dans les cartons de la technocratie gouvernementale et avait notamment trouvé un ardent défenseur en la personne de Pierre Mongin, directeur de cabinet du premier ministre … Dominique de Villepin. Mais il ne s’agit que d’une mesurette. Le problème des Français n’est pas de faire des heures supplémentaires mais des heures normales. Quand on compte 2 millions de chômeurs officiels et environ 4 millions de personnes qui ne travaillent qu’à temps partiel, il faut s’attacher à créer les conditions du plein emploi plutôt que d’améliorer la rémunération de ceux qui ont du travail. De plus, l’exonération d’impôts et de charges sociales sur les heures supplémentaires n’est qu’une illusion d’optique. Comme elle ne s’accompagne d’aucune diminution de la dépense publique, il faudra bien augmenter les impôts et les charges pour compenser la différence et l’argent n’aura fait que passer brièvement dans la poche des intéressés. Air connu, avec lequel précisément Sarkozy entendait rompre ! Le plan de relance comporte également des réductions d’impôts sur les successions et les intérêts d’emprunts immobiliers, mais là aussi, faute d’une baisse générale des dépenses, il n’y aura qu’un simple transfert et le citoyen n’en sera pas plus riche. Ce n’est évidemment pas un tel plan que l’ardente campagne de Nicolas Sarkozy laissait espérer. D’un homme de rupture, dans la situation où se trouve la France, on attend qu’il taille dans l’invraisemblable accumulation de dépenses que l’Etat a mises à la charge des contribuables et des entreprises. Nous avons 9 points de PIB de dépenses publiques de plus que l’Allemagne, pays qui ne souffre pourtant ni d’un manque d’administration, ni d’une politique sociale défaillante. 9 points de PIB, cela représente 163 milliards d’euros, 1067 milliards de francs, autant que le produit de la TVA et de l’impôt sur le revenu réunis ! La première urgence pour un gouvernement réformateur, c’est de rétablir l’équilibre avec l’Allemagne, notre principal client et fournisseur. Nous sommes, vis-à-vis de notre voisin d’Outre-Rhin, exactement dans la situation du pot de terre par rapport au pot de fer qui - faut-il le rappeler ? – ne sont pas, dans la fable de La Fontaine, des adversaires mais des associés. Cheminant au côté du pot de fer, le pot de terre le heurte à chaque cahot de la route et finit par se briser. Et La Fontaine d’en conclure avec sagesse : « Ne nous associons qu’avecque nos égaux, Peu cultivé, Nicolas Sarkozy ne sait pas que Rimbaud est natif de Charleville (1) et n’a certainement pas beaucoup lu La Fontaine. Toujours est-il qu’on est à mille lieues du plan qu’il aurait fallu mettre en œuvre de toute urgence et ce dès les premiers jours du nouveau quinquennat, afin de profiter de l’état de grâce qui suit une élection largement gagnée. Tout gouvernant digne de ce nom le sait et agit en conséquence. Pas Nicolas Sarkozy, qui s’imagine pouvoir musarder, à moins qu’il ne place des espoirs infondés dans le dérisoire plan de relance imaginé par ses conseillers. Là encore, incompétence, et même incompétence notoire. L’ouverture à des personnalités de gauche n’est pas une inspiration soudaine de Nicolas Sarkozy. Il avait dit à plusieurs membres de la droite gouvernementale, quelques mois avant l’élection, qu’il la ferait, mais il s’était bien gardé de le crier sur les toits. En effet son calcul était d’obtenir dès le premier tour le ralliement en grand nombre des électeurs du Front national, et ceux-ci ne pouvaient être favorables à une ouverture contredisant les vigoureuses proclamations de Sarkozy condamnant mai 68, la repentance et les insupportables ponctions sur le revenu opérées au nom de l’Etat providence. Sarkozy n’avait d’ailleurs pas de mots assez sévères pour Bayrou qui précisément prônait cette ouverture. Or voilà qu’à peine élu, il fait entrer à son gouvernement des socialistes comme Bernard Kouchner, Jean-Pierre Jouyet et même Eric Besson qui, quelques semaines plus tôt, faisait encore partie des conseillers de Ségolène Royal. Cette ouverture n’en est pas vraiment une, au sens politique du terme. Une véritable ouverture suppose un accord entre formations politiques, alors que là il ne s’agit que de débauchages individuels, comme Mitterrand les avait pratiqués après sa réélection en 1988. Quel est le bénéfice d’une telle stratégie ? Nul. Mitterrand n’a pas désarmé l’hostilité de la droite, et Sarkozy n’a réussi qu’à troubler très provisoirement la gauche. Rien dans le clivage politique n’a changé. En revanche, pour Sarkozy, c’est une catastrophe, même si, dans l’immédiat, elle n’est pas ressentie comme telle. Le nouveau président apparaît comme quelqu’un qui non seulement renie sa campagne, mais qui surtout la renie aussitôt, sans plus de raisons que d’explications. Tout se passe comme si ce qu’il avait dit pendant les longs mois précédant l’élection présidentielle n’était que « paroles verbales », selon l’expression consacrée, et qu’il se souciait comme d’une guigne de l’opinion des électeurs et notamment de ceux qu’il n’avait ralliés qu’à coups d’engagements spectaculaires et de promesses solennelles. Qu’on se souvienne de la scène fameuse de la Concorde, le soir de son élection : « Je ne vous trahirai pas, je ne vous mentirai pas, je ne vous décevrai pas ! » Scène proprement stupéfiante. Aucun président démocratique ne peut prendre le risque de s’exprimer ainsi. D’abord parce qu’il sait que la déception, le mensonge et la trahison sont parties intégrantes de la politique et de l’art de gouverner. Et que même s’il est totalement sincère dans les engagements électoraux qu’il a pris, il devra inévitablement faire des concessions, opérer des replis, voire changer radicalement de route. Il sait en outre que les électeurs ne lui en voudront vraiment que si les évolutions de sa politique ne sont pas provoquées par « la nature des choses », comme aimait à le dire le général de Gaulle, mais par son incapacité à tenir le cap. Il faut donc à un président démocratique de la constance et de la fermeté, et le respect du principe rendu proverbial par La Fontaine : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. » En piétinant allègrement les règles de base de la pratique du pouvoir, Sarkozy montre qu’il n’y était pas préparé. C’est d’ailleurs ce qu’il avait avoué quand il déclarait vouloir faire retraite avant sa prise de fonction afin de se pénétrer de ses nouveaux devoirs. On a vu que sa retraite s’est muée en croisière sur un yacht luxueux et qu’aussitôt installé à l’Elysée, il s’est rué comme un perdu sur toute occasion de se montrer et de parler, asphyxiant la presse qui constatait amèrement qu’elle était menée par le bout du nez par un président omniprésent. Au moment où il s’apprête à prendre d’insolites vacances au bord d’un lac américain, dans une maison louée par de riches amis, Nicolas Sarkozy en est encore à goûter les délices de sa victoire. Il ne sait pas - et ne se doute même pas – que les difficultés vont s’accumuler sur son chemin. Pourtant, il ne peut lui avoir échappé que sa promesse d’être « le président du pouvoir d’achat » va se heurter à des réalités économiques redoutables. Comment a-t-il pu croire que son plan de l’été avait la moindre chance de relancer la croissance ? Sa faute a été de ne pas s’entourer d’une équipe de conseillers économiques compétents, comme cela se fait dans tous les gouvernements du monde développé, et de faire confiance au seul Henri Guaino, dont les références sont Colbert et les Trente Glorieuses ! Prôner ce type de politique économique en pleine mondialisation, alors que la concurrence est féroce non seulement entre les pays développés mais aussi avec les économies émergentes qui ne se contentent plus de produire des textiles à bas prix mais se lancent hardiment dans les nouvelles technologies, c’est vraiment faire la guerre avec des arquebuses contre des chars d’assaut. Eh bien, c’est cela la stratégie de Nicolas Sarkozy ! Dès ce moment, ceux qui ont conservé leur lucidité au lieu de céder à l’incroyable sarkolâtrie des médias de droite savent que tout cela va mal finir, parce que décidément le nouveau président fait preuve d’irresponsabilité à force d’incompétence. 1 Voici comment l’ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin à
Matignon, Bruno Le Maire, relate, à la date du 18 janvier 2007, ce dialogue
entre Nicolas Sarkozy et le premier ministre. A Sarkozy qui déclare : «
Lorsqu’on dit aux gens qui sont là-bas : la fonderie, l’industrie,
Charleville-Mézières, c’est pas fini, ils accrochent, je vous garantis
qu’ils accrochent, Dominique ! », Villepin rétorque : « Il y a Rimbaud
aussi. » « Rimbaud ? » s’étonne Sarkozy. « A Charleville-Mézières », précise
Villepin. Et Sarkozy de conclure : « Oui, après, évidemment, Dominique, il
faut voir si on fait de la poésie ou de la politique. » |