Vous pouvez choisir entre 240 modèles de
voiture, pourquoi pas votre assurance maladie ?
Le nouveau gouvernement de Barack Obama a fait de la réforme du système
de santé l'une de ses priorités, en prévoyant notamment d'étendre la
couverture maladie aux quelque 45 millions de citoyens qui n'en bénéficient
toujours pas. Il n'est donc pas surprenant que les experts l'inondent de
propositions de réformes. L'ancien sénateur Tom Daschle, que le futur
président avait nommé secrétaire à la Santé, [avant qu’il ne doive renoncer
à son poste en raison de problèmes fiscaux, NDLR],
envisageait même d'organiser des forums dans tout le pays afin de recueillir
de « nouvelles idées » auprès de la population.
L'une des voix les plus dérangeantes dans ce débat est celle de Regina
Herzlinger, professeur de gestion à la Harvard Business School. Cette femme
passe pour une hérétique en matière de santé parce qu'elle est favorable à
une couverture maladie qui ne serait fournie ni par l'Etat ni par les
entreprises. Elle s'intéresse avant tout aux besoins du consommateur, un
point souvent négligé dans les nombreuses discussions sur la réforme de la
santé. « Pourquoi le secteur de la santé ne peut-il pas être géré comme
celui de la distribution ? » s'interroge-t-elle. Si les hôpitaux, les
compagnies d'assurances et les médecins devaient tous se faire concurrence
sur le marché pour trouver des clients, elle estime que l'innovation se
développerait, que les prix baisseraient et que la qualité s'améliorerait.
Sur la scène politique en matière de santé, Regina Herzlinger, 64 ans, est
considérée comme l'une des partisanes les plus engagées d'un système dicté
par les consommateurs, où le patient serait considéré comme un client. Dans
son monde idéal :
- les consommateurs définiraient leur propre couverture maladie en faisant
leur choix sur un marché national de l'assurance ;
- tout le monde serait obligé de contracter une assurance, et l'Etat fédéral
exercerait un contrôle étroit afin de garantir l'équité des prix et des
services offerts ;
- de petits hôpitaux spécialisés prendraient en charge les patients qui
n'ont pas besoin de tous les services proposés par les centres de soins ;
- une base de données nationale stockerait les prix et les performances de
chaque hôpital et clinique, afin que les consommateurs puissent faire leur
choix en connaissance de cause;
- les particuliers bénéficieraient d'importants abattements fiscaux pour
financer leur propre assurance, les ménages les plus pauvres percevant des
aides financières.
Aucune de ces idées ne ressemble vraiment à une proposition démocrate ou
républicaine, mais Regina Herzlinger conseille des personnalités politiques
des deux bords. Dans son emploi du temps, elle jongle entre ses multiples
conférences devant des conseillers, des responsables politiques, ou des
dirigeants de tous bords, et son cours de gestion, intitulé « Innover dans
le secteur de la santé », est très prisé.
Ses détracteurs- et ils sont nombreux -affirment que le secteur de la santé
est trop complexe pour que les consommateurs fassent leur propre tri
eux-mêmes, et que la couverture maladie est une charge financière trop
lourde à supporter pour les ménages.
« Un système de santé dicté par les consommateurs n'est sûrement pas la
bonne solution », estime le docteur Robert Galvin, directeur du
département santé de General Electric, qui considère que Regina Herzlinger a
des idées innovantes mais que les Américains n'ont pas envie de renoncer à
l'assurance fournie par leur employeur. Il plaide en faveur d'un «
consumérisme encadré », dans lequel les employeurs s'occuperaient de la
gestion.
Le pouvoir aux patients
Regina Herzlinger, au contraire, pense que seuls les consommateurs
doivent s'en occuper. C'est la condition sine qua non, explique-t-elle, pour
que les innovations qui améliorent la qualité se développent pleinement. «
Si les gens sont assez intelligents pour choisir entre 240 modèles et
marques de voitures, relève-t-elle, pourquoi partir du principe qu'ils ne
peuvent pas en faire autant quand il s'agit de leur santé ? » Elle
ajoute que ses suggestions sont « relativement peu coûteuses », ce
qui les rend encore plus intéressantes en cette période de crise.
Bien qu'inscrite au Parti républicain et membre du Manhattan Institute, club
de réflexion libertarien, Regina Herzlinger ne veut pas d'un marché
déréglementé. Elle ne croit pas non plus que les comptes d'épargne santé,
préconisés par de nombreux républicains, soient la meilleure solution. Ces
plans, qui associent d'importants abattements à des exonérations d'impôt,
n'ont été adoptés que par environ 6 % des Américains, et elle trouve ça
normal. « Les consommateurs devraient disposer de centaines d'options de
couverture. »
Dans le livre qu'elle a publié en 2007, « Who Killed Health Care ? »
(édité par McGraw-Hill, qui, comme Business Week , fait partie
de The McGraw-Hill Companies), elle accuse les hôpitaux, les
assureurs, l'Etat, les prestataires de soins réglementés, les entreprises et
même ses propres collègues universitaires de s'être ligués contre le
consommateur afin de contrôler le secteur de la santé. Du coup, elle se
retrouve quelque peu isolée dans ce débat, mais au rythme où elle enchaîne
les conférences, elle a le sentiment de faire des adeptes. « Vraiment,
insiste-t-elle, comment peut-on être contre le consommateur ? »
Catherine Arnst
(Business Week)
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