Nous sommes devenus des clodos !
On ne reprise plus les chaussettes. Tout le monde a considéré cela comme
un signe d’enrichissement et de progrès. Eh bien il va falloir
recommencer. Une loi de 2020 le prévoit. Elle a pour nom loi sur
l’économie circulaire. Ce qui, comme toutes les dénominations actuelles,
ne veut rien dire. Si vous croyez que cette loi a pour objet de vous
faire tourner en rond pour réaliser des économies, vous vous trompez.
Une loi à cet effet était strictement inutile, puisque vous faites déjà
ce qu’elle ordonne. En réalité l’économie circulaire c’est tout
simplement la récupération des déchets.
Au-delà des plaisanteries faciles, cette loi est un signe terrible. Elle
dit à tout le monde que nous sommes un pays de fauchés. Quand on en est
à faire subventionner par l’Etat la réparation des chaussures ou des
vêtements (7 euros pour un talon, 25 euros pour une doublure), la prime
à l’épouillage n’est pas loin. Tous clodos, mes amis, voilà notre
destin !
Je me souviens d’une époque pas si lointaine où s’habiller dignement le
dimanche avec des vêtements neufs était un signe d’intégration à la
société. Mais il y avait encore une société. Aujourd’hui elle n’existe
plus qu’aux rares occasions d’émotions populaires et se dissout aussitôt
l’apaisement revenu. En ce moment par exemple la disparition d’un jeune
enfant a jeté la France dans l’inquiétude et l’affliction et dans la
solidarité avec les forces de secours qui le recherchaient. La victoire
de l’équipe de France de rugby à l’automne prochain sera peut-être une
autre occasion pour le peuple de se sentir français. Mais rien de tout
cela ne remplace le sentiment permanent d’appartenance.
Ce sentiment d’appartenance a disparu avec le développement irrésistible
de l’Etat providence. D’autant que celui-ci s’est rapidement transformé
en Etat surveillance. Plus rien, en France, n’échappe à l’Etat. Sauf
bien entendu la préparation de notre avenir, puisque l’Etat est
incapable de le prévoir et de l’organiser. Et cette croissance de l’Etat
a provoqué l’appauvrissement du pays. La raison en est parfois très mal
comprise des citoyens. Ils ne voient pas pourquoi l’Etat ne réussit pas
à apporter la sécurité et la prospérité aux Français alors qu’il est
dirigé par des responsables hautement diplômés et clamant leur
dévouement à la nation.
La réponse à cette question est pourtant d’une grande simplicité. L’Etat
surveillance ne réussit rien parce qu’il ne fait rien correctement. Et
ce défaut rédhibitoire n’est dû qu’à l’absence de toute responsabilité
chez ses exécutants. Ce manque est même le signe pathognomonique (en
médecine ce terme désigne un symptôme qui suffit à diagnostiquer une
maladie) de la croissance cancéreuse de l’Etat.
Il n’est quand même pas difficile de comprendre que quand on n’est pas
responsable d’une action quelle qu’elle soit, on n’est pas incité à la
mener à bien. Certes il y a de agents de l’Etat dévoués et attentifs à
leurs actes, mais quand l’Etat s’est bâti sur le principe fondateur de
l’irresponsabilité de ses agents (même si celle-ci n’est pas proclamée,
chacun peut constater qu’elle règle leur conduite), il ne faut pas
s’attendre à de bons résultats.
L’exemple le plus flagrant est celui de la justice. C’est la raison pour
laquelle elle est détestée des Français. Et de façon plus générale, les
Français n’aiment pas leurs fonctionnaires. Le résultat de leur action
est là pour démontrer que ce sentiment est justifié. L’Etat providence
et l’Etat surveillance ont pourri la vie des Français. Et seule la
disparition de ces deux Léviathan et leur remplacement par un Etat
modeste et efficace pourra sauver notre pays du déclin et du malheur qui
le frappent.
La suppression d’un Etat omnipotent est chose difficile. Car il se
défend bien. Il n’y a aucun mal, car les soutiens s’empressent autour de
lui. Soutiens intéressés évidemment. Partout, dans un pays aux mains de
l’Etat, on a faim de nominations, de subventions et de décorations. Et
même les penseurs de la liberté ont été rendus inoffensifs, car
universitaires ils sont fonctionnaires. Si bien que leurs travaux
s’apparentent, bien malgré eux, à la vie d’une secte.
Il ne reste donc qu’à attendre l’effondrement du système. Mais c’est là
que se situe le nœud du problème. Le système ne s’effondrera pas si on
ne l’y aide pas. Il ne s’agit nullement de fomenter des émeutes. Car
elles tournent toujours à l’avantage du pouvoir. La clé de la réussite
est la persuasion du peuple. Celui-ci est très attentif à l’action de
ceux qui prennent sa défense et lui dessinent un avenir. Son
indifférence apparente n’est que légitime prudence face à un Etat prompt
à se venger de toute dissidence. Mais le peuple voit tout. On s’en
aperçoit quand un régime s’effondre. Le peuple l’avait toujours prévu !
Chaque ligne, chaque mot en faveur de la liberté du peuple est utile.
Personne n’avait entendu l’appel du général de Gaulle le 18 juin. Mais
tout le monde l’a su. Comment expliquer sinon que dans les pires régimes
communistes, quand la panique a gagné le pouvoir, le peuple s’est
aussitôt tourné vers les dissidents pour assumer le pouvoir ?
La Ve République a fini par transformer les Français en clodos. Cela ne
lui sera pas pardonné. Même pauvre et misérable, le peuple garde sa
dignité. On veut l’obliger à repriser ses chaussettes. Il trouvera le
moyen de tailler à ses lamentables dirigeants le costume qu’ils
méritent.
Claude Reichman