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28/12/08 | Stéphane Durand-Souffland |
La colère des citoyens malmenés par la justice Un journaliste interpellé chez lui au petit matin, menotté, injurié devant ses enfants mineurs qui se retrouveront seuls au domicile, déshabillé et intégralement fouillé une fois, puis une seconde fois, conduit devant un juge d'instruction parisien pour être mis en examen dans une banale affaire de diffamation. Des journalistes empêchés de regagner leur place dans un tribunal
correctionnel de la région parisienne pour écouter le réquisitoire, au motif
qu'ils sont auparavant sortis quelques minutes afin de rendre compte, en
direct, du déroulement d'un procès mettant en cause une célèbre athlète. Des journalistes placés en garde à vue puis mis en examen pour avoir « recelé » ce fantomatique secret de l'instruction, mort et enterré depuis des lustres. Et ce, dans des affaires qui, loin s'en faut, ne mettent pas en péril la sécurité de l'État : dopage dans le Tour de France, révélation de la silhouette d'un nouveau modèle d'automobile… Un tournage annulé au dernier moment sur ordre d'un président de tribunal, alors que le journaliste avait passé, par écrit, une convention avec le parquet, avec l'aval du juge d'instruction et des services de police. Une journaliste visée par 339 plaintes « spontanées » de personnels pénitentiaires à la suite d'un article sur la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Des couloirs interdits depuis peu, pour d'obscurs impératifs « de sécurité », aux journalistes spécialisés, dans l'enceinte du palais de justice de Paris, alors qu'ils y circulaient librement il y a de cela quelques mois. Des fouilles tatillonnes, inutiles et vexatoires à l'entrée de salles d'audience, subies par des journalistes là encore accrédités et titulaires d'une carte spéciale délivrée par le Parquet général, qui s'est préalablement assuré de leur identité et de leur qualité d'envoyé spécial. Les exemples sont nombreux qui démontrent qu'aujourd'hui l'institution judiciaire fait preuve de méfiance, et même de suspicion à l'égard de la presse. Les pratiques relevées plus haut s'apparentent, à l'évidence, à des mesures d'intimidation. Si les reporters sont les bienvenus à l'occasion d'opérations de « communication » soigneusement orchestrées, ils rencontrent souvent le plus grand mal à faire leur métier : informer. Comment dire l'état des prisons, dès lors que les reportages n'y sont pour ainsi dire pas autorisés ? Ou plutôt, accordés au compte-gouttes, à la tête du client, et dans des établissements sélectionnés. Les lieux de détention les plus infâmes, comme le dépôt du Palais de justice de Paris, par exemple, leur sont interdits. Aux contraintes légales, que nous acceptons parfaitement, s'ajoute la crainte d'accepter un œil extérieur. Pourtant, lorsqu'il s'agit d'interpeller aux petites heures du jour des criminels supposés, dans un spectaculaire déploiement de force, les caméras sont « invitées » en dépit de la présomption d'innocence qui leur est, entre autres, opposée lorsqu'elles veulent choisir elles-mêmes leur sujet. Les Français sont curieux de leur justice. Ils ont soif, depuis ce fiasco d'Outreau, que certains magistrats ne digèrent pas, d'en comprendre les arcanes. Les émissions consacrées à ce sujet font florès, sur toutes les chaînes. Mieux : le Conseil supérieur de la magistrature invite la corporation à s'ouvrir au monde. Pour y parvenir, il faudra bien que juges, procureurs et policiers acceptent ce fameux regard, critique et distancié, qui doit être le nôtre. Il est curieux que l'hostilité à laquelle les journalistes doivent faire face s'amplifie au moment même où se tiennent des États généraux de la presse, où le gouvernement prétend renforcer le secret des sources - indispensable à l'exercice de notre profession, mais malmené - et où des magistrats, parmi les plus avisés, entendent faire entrer les caméras dans les prétoires. Les journalistes ne sont pas au-dessus des lois. Lorsqu'ils injurient, diffament, violent l'intimité d'autrui, dans l'exercice de leur profession, ils sont condamnés. Lorsqu'ils commettent des délits, des fraudes, des indélicatesses dans le cadre de leur vie privée, ils sont condamnés. Mais leur métier leur confère une spécificité : en informant leurs concitoyens, en cherchant à percer, pour le plus grand nombre, tous les secrets, en allant où les autres ne peuvent aller, en vérifiant et en recoupant leurs informations, ils deviennent des rouages précieux de la démocratie et, à ce titre, méritent une considération particulière. La mésaventure dont Vittorio de Filippis a fait les frais est révélatrice de deux vérités. La première, c'est qu'un journaliste poursuivi ès qualités ne bénéficie pas forcément du discernement de l'institution judiciaire.Or, on pourrait croire que ce discernement va de pair avec les fonctions de juge et de policier. Deuxième vérité : des citoyens sont, tous les jours, interpellés de manière inutilement rude et, sans que cela soit nécessaire, humiliés par les forces de l'ordre. La colère de ces citoyens malmenéspar la justice rejoint ici celle des journalistes, et il serait malsain de chercher à les opposer. Informer est, pour les représentants de la presse, un devoir. Être informé est, pour chacun, une nécessité. Être respectés est, pour nous tous, une exigence supérieure. Stéphane Durand-Souffland |