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La Commission européenne brise le mensonge du gouvernement français sur l'abrogation du monopole de la Sécurité sociale

8/4/04 Claude Reichman
La Commission européenne vient de sonner le glas pour le gouvernement français. Celui-ci a tout fait depuis dix ans pour cacher aux Français la fin du monopole de la Sécurité sociale. Aujourd'hui, alors que celle-ci s'achemine vers un déficit cumulé, à la fin de 2004, de 40 milliards d'euros (262 milliards de francs) et que plus personne ne croit possible de la sauver de la faillite, la Commission européenne oblige le gouvernement français à avouer la vérité au pays. Elle le fait par le biais d'une lettre adressée le 25 novembre 2003 par M. Frits Bolkestein, commissaire européen en charge du Marché intérieur, à M.H. Hoogervorst, ministre néerlandais de la Santé, de la Protection sociale et du Sport et que nous rendons publique.

En adressant à un ministre néerlandais une analyse détaillée du sens qu'il convient de donner aux directives européennes sur l'assurance, M. Bolkestein rend intenable la position actuelle du gouvernement français qui, tout comme le gouvernement néerlandais et les autres gouvernements de l'Union européenne, a signé les directives 92/49/CEE, relative à l'assurance non vie, et 92/96/CEE, relative à l'assurance directe sur la vie (autrement dit à l'assurance vieillesse, dans la terminologie communautaire).

Les faits sont très simples. Ils tiennent pour l'essentiel dans deux articles des directives de 1992 :
L'article 6 de la directive 92/49/CEE stipule :
" L'Etat membre d'origine exige que les entreprises d'assurance qui sollicitent l'agrément :
a) adoptent l'une des formes suivantes en ce qui concerne :
- la République française : société anonyme, société d'assurance mutuelle, institution de prévoyance régie par le code de la sécurité sociale, institution de prévoyance régie par le code rural ainsi que mutuelles régies par le code de la mutualité. "
L'article 5 de la directive 92/96/CEE stipule :
" L'Etat membre d'origine exige que les entreprises d'assurance qui sollicitent l'agrément :
a) adoptent l'une des formes suivantes en ce qui concerne :
- la République française : société anonyme, société d'assurance mutuelle, institution de prévoyance régie par le code de la sécurité sociale, institution de prévoyance régie par le code rural ainsi que mutuelles régies par le code de la mutualité. "

Pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur l'étendue du risque couvert, les directives précisent que l'agrément visé aux articles ci-dessus " est donné par branche " et qu'" il couvre la branche entière ", ce qui ridiculise les déclarations de ceux qui ont prétendu que ces directives ne concernaient que les assurances complémentaires.

Cela signifie tout simplement qu'en signant ces textes, le gouvernement français a ouvert aux assureurs privés, ainsi qu'aux institutions de prévoyance et aux mutuelles la couverture des divers risques relevant du régime légal de sécurité sociale, et que par conséquent celle-ci n'a plus le monopole de la couverture de ces risques.

C'est très exactement ce qu'indique M. Bolkestein quand il écrit :
" Lorsqu'un Etat membre décide d'ouvrir la couverture d'un risque relevant du régime légal de sécurité sociale aux assureurs privés, il doit accepter que toute entreprise d'assurance autorisée dans son propre Etat membre puisse couvrir ce risque sur la base de la liberté d'établissement et de la liberté de prestation de services. "

Ce faisant, M. Bolkestein s'appuie sur une jurisprudence incontestable puisque la Cour de Justice des Communautés Européennes a confirmé dans son arrêt de principe du 18 mai 2000 (Affaire C-206/98) que ces directives sont applicables " aux assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale pratiquées par des entreprises d'assurances à leurs propres risques " (Point 44), ce qui est évidemment le cas des organismes français visés aux articles 5 et 6, cités plus haut, des directives de 1992.

Le gouvernement français n'a désormais plus d'autre choix que d'avouer la vérité au pays et d'indiquer loyalement et clairement que le débat sur l'avenir de la Sécurité sociale ne peut être abordé sans que tous les Français sachent que celle-ci est mise en concurrence et qu'ils sont désormais libres de choisir la protection sociale qui leur convient.

Claude Reichman

Nous publions ci-après la traduction française de la lettre du 25 novembre 2003 de M. Frits Bolkestein, commissaire européen en charge du Marché intérieur, à M.H. Hoogervorst, ministre néerlandais de la Santé, de la Protection sociale et du Sport. Le fac-similé de cette lettre, rédigée en anglais, est publié sur notre site en format PDF.

Frits Bolkestein
Membre de la Commission européenne

Bruxelles, le 25-11-2003

M. H. Hoogervorst
Ministre de la Santé, des Affaires Sociales
et des Sports
La Haye

Sujet : Système néerlandais d'assurance maladie. Lettre de M. Hoogervorst en date du 8 octobre au Commisssaire Bolkestein

Mon cher Ministre, cher Hans,

Permettez-moi d'abord de vous remercier pour notre rencontre du 1er octobre et pour vos utiles explications sur le plan du gouvernement néerlandais afin de réformer le système d'assurance maladie. Dans votre lettre du 8 octobre vous avez eu l'amabilité de fournir de plus amples détails.

Je voudrais souligner que, dans le système établi par le Traité, les Etats membres sont libres d'organiser leurs systèmes de sécurité sociale comme bon leur semble. Il appartient par conséquent à chaque Etat membre de déterminer premièrement les conditions relatives au droit ou au devoir d'être assuré par un régime de sécurité sociale et deuxièmement les conditions ouvrant droit aux prestations. La Commission ne peut pas déterminer la façon dont un Etat membre organise le financement des produits et services médicaux fournis par son propre système légal de sécurité sociale. Tous les systèmes de santé, dans l'Union européenne, sont confrontés à des défis majeurs et il leur appartient pour l'essentiel d'y faire face. Néanmoins, comme le Marché intérieur a des effets sur les politiques de santé nationales à bien des égards, particulièrement en ce qui concerne les dispositions transfrontalières et l'accès aux soins, la Commission tient beaucoup à participer à toute réflexion à ce sujet.

La Cour a clairement établi que, indépendamment de la façon dont les Etats membres organisent les dispositions de santé sur leur territoire, le système choisi doit respecter la loi communautaire et, en particulier, le principe de la libre prestation de services établi à l'article 49 du Traité sur l'Union européenne. En outre, chaque système doit, bien sûr, respecter les dispositions incluses dans la législation communautaire secondaire. Cela concerne, en particulier, les obligations que les Etats membres doivent assumer au regard du Règlement (CEE) 1408/71 relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Concernant l'application des dispositions du règlement 1408/71, je suis d'accord avec votre analyse. Selon l'article 4, le Règlement s'applique à toute législation concernant les différentes branches de sécurité sociale qui comportent des prestations maladie et maternité. La législation sur l'assurance de base telle qu'envisagée par le plan néerlandais doit être considérée comme une législation au sens de l'article 4. De plus, selon l'article 5, les Etats membres doivent déterminer la législation et les projets au regard de l'article 4. Pour la Cour de Justice, le fait qu'un Etat membre ait explicité une loi dans sa publication doit être accepté comme une preuve que les prestations accordées sur la base de cette loi sont des prestations de sécurité sociale au regard du Règlement 1408/71.

Je suis également d'accord avec vous sur le fait que les sociétés d'assurance de santé proposant la police légale doivent être considérées comme des organismes compétents pour l'application du Règlement. Cela doit renvoyer aux annexes du Règlement 574/72.

J'aborderai maintenant la question de la compatibilité de la réforme du système néerlandais avec la législation communautaire sur l'assurance. Les directives de l'Union européenne sur l'assurance n'attentent pas à la liberté qu'a un Etat membre de concevoir son régime légal de sécurité sociale et de décider de la façon dont il doit être organisé. La législation de l'Union européenne sur l'assurance, et en particulier la troisième directive sur l'assurance non vie (Directive 92/49/CEE) stipule simplement que lorsqu'un Etat membre décide d'ouvrir la couverture d'un risque relevant du régime légal de sécurité sociale aux assureurs privés, il doit accepter que toute entreprise d'assurance autorisée dans son propre Etat membre puisse couvrir ce risque sur la base de la liberté d'établissement et de la liberté de prestation de services.

L'article 54 de la troisième directive sur l'assurance non vie prend en compte la situation particulière de l'assurance de santé privée offrant une alternative partielle ou complète à la couverture maladie fournie par le système légal de sécurité sociale. A mon avis, cette stipulation régit aussi la situation que vous évoquez, c'est-à-dire celle où un Etat membre décide de confier entièrement la couverture de l'assurance maladie légale à des entreprises d'assurance privées qui doivent pratiquer une telle activité à leurs propres risques selon les techniques de l'assurance et sur la base de relations contractuelles régies par la loi civile, une telle approche représenterait une alternative complète au régime légal de sécurité sociale auquel la Directive fait référence.

En raison de la nature et des conséquences sociales des contrats privés d'assurance maladie, qui fournissent une alternative partielle ou complète au régime légal de sécurité sociale, la troisième directive sur l'assurance non vie autorise un Etat membre à adopter des dispositions légales spécifiques dans le but de protéger l'intérêt général. Dans la mesure où de telles exigences sont susceptibles de restreindre la liberté d'établissement et la libre prestation de services, elles doivent être objectivement nécessaires et proportionnées à l'objectif poursuivi.

Dans ce contexte, l'objectif du gouvernement néerlandais est de garantir l'assurance maladie comme un droit social de base. Cela signifie que tous les résidents des Pays-Bas doivent avoir accès à une assurance maladie comportant un ensemble de soins de base moyennant une prime acceptable. Afin d'atteindre cet objectif, le gouvernement néerlandais souhaite exiger que l'assurance maladie proposée soit fondée sur les principes suivants :

- adhésion libre,

- une couverture de base définie par le gouvernement et qui doit être proposée par tout assureur santé,

- le droit pour les assureurs de fixer leurs propres tarifs dans la limite où ils ne comportent pas de discrimination en fonction de l'âge, du sexe, de l'état de santé et de la condition sociale de l'assuré et

- un fonds de péréquation pour compenser les pertes des assureurs dues au profil de risque de leur portefeuille d'assurés.

Comme je l'ai dit au cours de notre réunion, je pense que ces principes pourraient être légitimes au regard de l'article 54 de la troisième directive sur l'assurance non vie, comme ils paraissent nécessaires pour atteindre les objectifs légitimes du gouvernement néerlandais.

Toutefois je voudrais souligner que ces principes doivent être appliqués de manière à protéger le fonctionnement du Marché intérieur. Par conséquent de telles mesures doivent être limitées à ce qui est objectivement nécessaire. En l'absence de détails et de texte de loi définitif, il n'est pas possible de dire si le système néerlandais est susceptible de respecter ces principes. Dans ce contexte, je ne pense pas qu'il serait proportionné d'appliquer les exigences aux assurances complémentaires proposées par les assureurs privés et qui vont au-delà du dispositif de couverture de base de sécurité sociale établi par la législation.

De plus, la mise en place d'un dispositif de péréquation fondé sur une contribution, liée au salaire, des employeurs et du gouvernement pour couvrir les coûts exposés par les assureurs doit être considéré au regard des dispositions du Traité relatives aux aides d'Etat.

En ce qui concerne une obligation imposée par la loi aux assureurs de fournir aux assurés des prestations en nature plutôt que des remboursements fondés sur les dépenses exposées par l'assuré, il ne peut être exclu qu'une telle exigence soit contraire aux dispositions de la libre prestation de services. En effet, cela pourrait constituer un important obstacle pour les assureurs non néerlandais désireux d'opérer aux Pays-Bas et qui seraient contraints de passer des accords appropriés avec des prestataires de soins du pays afin de respecter cette obligation. Il n'est pas exclu que la charge représentée par une telle exigence puisse avoir un effet dissuasif sur ces assureurs qui se trouveraient donc dans une position difficile pour proposer leur couverture d'assurance aux Pays-Bas. Une telle exigence doit par conséquent être analysée au regard des principes de proportionnalité et de nécessité, conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice.

Votre lettre évoque également la possibilité de placer le nouveau système hors du champ des directives sur l'assurance. A cet égard, je vous rappellerai que, selon la Cour de Justice, les activités d'assurance faisant partie d'un régime légal de sécurité sociale tombent dans le champ des directives sur l'assurance quand elles sont exercées par les entreprises d'assurance à leurs propres risques selon les techniques de l'assurance et sur le fondement de relations contractuelles régies par la législation civile. Le fait qu'elles soient exercées par des entreprises ayant un statut juridique autre que celui expressément défini par les directives sur l'assurance n'est pas suffisant pour les placer valablement hors du champ des directives. Un Etat membre ne peut permettre à une entreprise d'avoir un autre statut légal pour exercer des activités d'assurance. Par conséquent si les Pays-Bas décidaient de mettre en place un système hors du champ des directives sur l'assurance, ils devraient s'assurer que cette activité n'est pas susceptible d'être considérée comme une activité d'assurance.

Enfin, je dois signaler que la Commission n'exprime généralement pas d'opinion formelle sur les projets de lois envisagés par un Etat membre. La Cour européenne de justice est le seul organisme compétent pour décider si une loi nationale est compatible avec la loi européenne. Par conséquent l'opinion de la Commission sur un projet ou une ébauche de législation nationale ne peut préjuger de l'interprétation que la Cour de Justice peut en faire. Donc la Commission veut souligner que toute opinion qu'elle peut exprimer l'est sans préjudice du pouvoir souverain des institutions des Etats membres disposant de pouvoirs législatifs.

Mes services, bien sûr, restent à votre disposition pour toute information supplémentaire que vous pourriez demander.

J'espère que cette réponse pourra être utile dans la procédure de réforme du système d'assurance maladie néerlandais.

Veuillez croire à mes sentiments dévoués.

Frits Bolkestein





 

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