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2/7/22 | Claude Reichman |
L’art de créer des catastrophes !
Dans son dernier article de l’Institut des Libertés, Charles Gave s’attache à montrer le rôle du temps dans les analyses économiques. C’est ainsi que l’introduction de l’euro a, vingt ans plus tard, abouti à détruire l’industrie de l’Europe du Sud. On peut sans difficulté étendre l’analyse à la plupart des secteurs de l’activité humaine. Ce qui signifie que le temps est le facteur essentiel de l’histoire, ce qui d’ailleurs tombe sous le sens de n’importe quelle personne dotée de raison. Ce qui est en revanche beaucoup plus difficile à analyser et à comprendre, c’est la raison pour laquelle l’homme se refuse le plus souvent à prévoir les conséquences de ses actes. Quand, il y a environ dix mille ans apparaît l’agriculture, c’est parce que l’homme a compris qu’il faut semer pour récolter. Et bien entendu que le climat le permet. Cette simple relation de cause à effet est à la base de la civilisation. Elle est cependant de plus en plus difficile à mettre en évidence dans un monde devenu de plus en plus complexe. Et où les choses les plus simples sont compliquées tout à loisir, comme si finalement le bonheur ne résidait que dans la complication. Personnellement, je pense le contraire. Je me souviens de mon premier stage hospitalier, au début de mes études. Je ne le faisais pas par obligation, mais parce que je brûlais de me frotter à un univers dans lequel j’aspirais à vivre. Ma surprise fut grande de constater qu’une foule de patients peuplait la salle d’attente dès la première heure des consultations, souvent pour ne voir un médecin qu’à la fin de la matinée. « Pourquoi ne leur donne-t-on pas un rendez-vous ? », demandai-je ingénument au patron du service qui s’enquérait avec beaucoup de bienveillance de mon adaptation à la vie de l’hôpital. Il se contenta de hausser les épaules avec un sourire et me dit : « C’est comme ça. » Il ne se souvenait évidemment pas du dirigeant qui avait fixé cette stupide et humiliante procédure. Mais il la subissait, comme beaucoup d’autres avant et après lui. Depuis, on s’est efforcé, avec plus ou moins de succès, de réduire le temps d’attente des patients, mais la crise de l’hôpital est venue mettre un terme à tout effort d’organisation des services et il est fréquent qu’on attende une douzaine d’heures aux urgences. Alors pourquoi ? Et c’est là qu’on retrouve la relation au temps. La Sécurité sociale est le marqueur de notre société. Elle a été fondée à la Libération, il y a trois quarts de siècle, et sans cesse alourdie depuis. Au point que ses prestations atteignent aujourd’hui l’incroyable somme de 815 milliards d’euros, soit les deux tiers des dépenses publiques françaises. Et que la France agonise sous ce poids qui interdit tout progrès économique, puisqu’il est impossible d’investir avec un tel boulet au pied. Il serait faux de dire que les dirigeants successifs du pays n’ont pas conscience de ce problème. Mais ils ont toujours jugé qu’il ne fallait pas remettre en cause ce qu’ils croient être « un acquis de la Résistance » et qui n’est qu’un acquis du communisme. Les plus déterminés à réduire les dépenses ne sont jamais allés plus loin que les économies de bouts de chandelles. Quant aux autres, ils se lovent dans la négation et ne rêvent que de nouvelles branches, telle que la dépendance, avant de lancer l’idée de la branche nourriture, qu’on est en train de mettre en œuvre sous la forme d’un chèque, mais qui ne tardera pas à devenir une administration de plein exercice. Dans la Rome de la décadence, il y avait à cet effet un « préfet de l’annone » ! On s’aperçoit, en considérant cet exemple, que les décisions ne se contentent pas de créer une situation, mais qu’elles pèsent aussi sur les comportements de ceux qui n’y sont pour rien, au point de rendre, malgré le temps qui passe, toute réforme impossible. D’où la nécessité de ne pas prendre de décision à la légère. Un homme d’Etat connaît ce piège. Il veille à ne pas créer l’irrémédiable. Un politicien s’ébroue dans un nuage de décisions aussi folles les unes que les autres et s’enivre du bonheur de gouverner. Parfois, bonheur suprême, la catastrophe ne survient qu’après sa mort. Il repose en paix. IL faut se faire une raison : l’homme n’est qu’un singe amélioré. Il a donc encore beaucoup de progrès à faire. Le premier d’entre eux est la tempérance de l’âme. A cet égard, on a eu grand tort de ne plus former notre jeunesse par l’étude de l’histoire et de la pensée de la Grèce antique. Les exemples qu’elle nous donne peuvent accompagner toute une vie. En Grèce, l’optimum de l’homme était d’être « kalos kagathos », beau et bon. Quel progrès ce serait si l’homme d’aujourd’hui se fixait cet idéal ! La scène publique se libèrerait des histrions de bas étage et des mages sentencieux qui l’encombrent. De temps à autre, les peuples ont la chance de voir apparaître un grand homme. Il faut noter que cela est plutôt rare. Alors que faire en cette absence ? Tenter, pour chacun de nous, de s’élever au dessus de son tempérament naturel. C’est possible. Et finalement pas plus difficile que de céder à de viles passions. Question de volonté ! Claude Reichman
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