Serge Dassault assassine Sarkozy
« Le club de l’économie », l’émission hebdomadaire qu’anime Jean-Marc
Sylvestre sur LCI, recevait, le 13 juin 2008, Serge Dassault, président du
Groupe Dassault, sénateur UMP de l’Essonne et propriétaire du Figaro.
Sur le plateau figuraient également Dominique Seux, rédacteur en chef aux
Echos, Jean-Louis Levet, directeur de l’IRES, un institut économique
créée par les syndicats CFDT, CGC, CFTC, FO et UNSA Education, et Michel
Didier, directeur de Rexecode, un centre de recherche économique proche du
patronat.
Nous publions quelques passages significatifs de l’émission, au cours
desquels l’industriel assassine littéralement la politique économique et
sociale de Nicolas Sarkozy (et de ses prédécesseurs). Dommage que Serge
Dassault soit déjà propriétaire du Figaro. Sinon, on lui
conseillerait de l’acheter pour y faire passer ses idées.
***
Jean-Marc Sylvestre : Serge Dassault, vous allez parler, au Sénat, la
semaine prochaine, de la loi de modernisation de l’économie. Elle vous
paraît répondre à l’enjeu ou pas ?
Serge Dassault : Pas suffisamment, parce qu’à mon avis, elle ne
traite pas les vrais problèmes, les problèmes difficiles, les problèmes dont
on ne veut pas parler. Elle ne traite pas les 35 heures, le fait qu’on ne
travaille pas assez, qu’on passe son temps en vacances…
Jean-Marc Sylvestre : Oh, quand même …
Serge Dassault : …Non, non, attendez. Quatre, cinq,
six semaines de vacances, la RTT, le machin, le truc, non, on ne travaille
plus en France, on ne travaille plus. Donc le coût de production est trop
cher, c’est comme ça. Et quand un coût de production est trop cher, on ne
vend plus rien. Et quand on ne vend plus rien, on ne fabrique plus en France
et on délocalise. D’où le chômage. Tout ça s’enchaîne, et c’est parce qu’on
ne traite pas les vrais problèmes. Les vrais problèmes, c’est le coût du
travail, c’est le temps de travail. Le coût de production est trop élevé,
pourquoi ? Parce que les charges sur salaire sont trop élevées. Pourquoi ?
Parce qu’on fait payer la Sécurité sociale sur le salaire. On double le coût
du salaire net pour les entreprises.
Dominique Seux : Une loi, la loi Bertrand, va modifier le régime des
35 heures. Elle va au-delà de ce que souhaitaient les partenaires sociaux,
le Medef, la CFDT etc. Est-ce que vous allez, dans votre groupe, renégocier
les accords des 35 heures qui ont été signés il y a quelques années après
les lois Aubry ?
Serge Dassault : Non. Pour une raison bien simple, c’est que nous, on
fabrique le moins possible. On assemble, on ne fabrique plus chez nous. On a
doublé notre chiffre d’affaires, on a gardé le même personnel. Pourquoi ?
Parce qu’on ne peut plus licencier en France. On est complètement paralysé.
On n’embauche pas parce qu’on ne peut pas licencier. Et on recommence avec
la loi dite de modernisation de l’emploi qui commence à dire RDI, RDI, RDI,
c’est-à-dire la révision totale de l’emploi, avec les CD employeurs …
Jean-Marc Sylvestre : Est-ce que les mesures qui ont été prises sur
l’assouplissement de la durée du travail … ?
Serge Dassault : Pas suffisant …
Jean-Marc Sylvestre : … avec notamment la libération des heures
supplémentaires … Est-ce que tout ça ne revient pas finalement à la
suppression des 35 heures ?
Serge Dassault : Il y a un problème que tout le monde oublie. C’est
que les 35 heures, non seulement elles augmentent les coûts de production de
façon négative, mais elles coûtent à l’Etat 12 à 15 milliards d’euros par an
qui augmentent le déficit budgétaire de façon inconsidérée, et on ne sait
pas quand ça va s’arrêter. Il faut arrêter, il ne faut plus payer.
Jean-Marc Sylvestre : Qu’est-ce que vous auriez souhaité ? Qu’est-ce
que vous auriez envisagé ?
Serge Dassault : Moi, ce que je ferais si j’étais ministre des
finances, je supprimerais toutes les subventions d’allègements sociaux aux
entreprises, pour les 35 heures et les salaires, la charge sociale, le SMIC.
Jean-Marc Sylvestre : La durée légale du travail ?
Serge Dassault : La durée légale, on peut rester à 35 heures à
condition de travailler avec des heures supplémentaires pas chères.
Jean-Marc Sylvestre : C’est ce qui est fait quand même aujourd’hui
avec les heures supplémentaires.
Serge Dassault : Vous rigolez …
Jean-Marc Sylvestre : Je ne rigole pas.
Serge Dassault : D’abord, elles coûtent à l’entreprise 25 % de plus.
Jean-Marc Sylvestre : Oui, et alors ? Ca fait de la redistribution,
du pouvoir d’achat.
Serge Dassault : Ca augmente encore le coût de nos productions. Et
comment voulez-vous qu’on fasse ? Alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On
fait fabriquer en Roumanie, en Hongrie, au Maroc, en Inde, en Chine.
Dominique Seux : Comment expliquez-vous que Laurence Parisot ne soit
pas favorable à une telle évolution, apparemment ?
Serge Dassault : Je ne suis pas Laurence Parisot, je ne suis pas le
Medef, je suis une entreprise, et entre nous le Medef, ce n’est pas
forcément une entreprise. Il faut trouver du travail et se donner du mal, le
Medef discute avec les syndicats. Très bien. Les partenaires sociaux, très
bien. Mais ce qui compte, ce sont les salariés et les entreprises. Les
salariés, on ne leur demande pas leur avis. Les syndicats, dits partenaires
sociaux, font n’importe quoi, et le Medef, bon, il discute avec eux. Ce
n’est pas ça, la vie. Ce n’est pas ça, le progrès. Nous, on vit dans les
entreprises, on a des coûts de production trop élevés, et en plus on vend en
dollars. Ca ne va pas durer longtemps, ce n’est pas possible. En fait, on
fabrique à l’étranger, c’est comme ça. Airbus va le faire, nous on le fait.
En France, on est complètement paralysé.
Jean-Louis Levet : Le modèle de M. Dassault, c’est proche du modèle
chinois, où finalement les coûts du travail sont très bas, il y a 500
millions de bras de réserve, où il n’y a pas de syndicats. […] Le problème,
ce n’est pas le coût du travail, ce n’est pas la flexibilité. Le problème
aujourd’hui, c’est l’investissement. C’est la recherche, c’est la formation.
[…] Oui, il faut de la concurrence dans la grande distribution. Simplement,
comment voulez-vous créer de la concurrence quand vous avez un oligopole
avec sept grandes enseignes qui maîtrisent tout le territoire, qui créent un
rapport de force totalement défavorable entre la grande distribution, les
consommateurs et les PME. Il faut regrouper les PME pour équilibrer les
rapports de force, il faut développer l’influence des consommateurs. Et ce
n’est pas en croyant développer la concurrence au sein des grandes surfaces
qu’il se passera quoi que ce soit. En plus, on envisage de ne pas donner
d’autorisation aux enseignes de magasins qui font plus de 1000 mètres
carrés. Résultat : quand les grandes enseignes vont se battre pour obtenir
ces 1000 mètres carrés, qu’est-ce qui va se passer ? La tentation de la
corruption sera là.
Serge Dassault : C’est peanuts, ça !
[…]
Michel Didier : Je rejoins à 100 % M. Dassault. Il ne s’agit pas de
créer du déficit public supplémentaire, on en a assez comme ça. Il faut
alléger le coût du travail pour nous permettre de nous remettre dans le coût
des marchés mondiaux. Naturellement, il faudra le transférer sur la
fiscalité.
Serge Dassault : Non, non, non, on ne peut pas.
Jean-Marc Sylvestre : Il faut bien le transférer sur quelque chose.
Serge Dassault : Mais pas sur la fiscalité. On en a trop.
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