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7/12/12 | Fernando del Pino Calvo-Sotelo |
Quand l’Etat nous ruine, il paraît que cela nous enrichit ! Quand Platon a écrit l’allégorie de la caverne, il y a près de 2 400 ans, il avait sûrement en tête les économistes keynésiens (ce qui veut dire à peu près tous les économistes qui ont le droit de s’exprimer dans la presse). Il décrit en effet un groupe d’hommes enchaînés à leurs convictions, confondant la réalité avec les ombres que projette la vraie vie sur les murs de la cave dans laquelle ils se sont enfermés. Mais dans la réalité, la vie continue, complètement indifférente à leur ignorance ou à leur prétention au savoir. Regarder la réalité en face serait pour ces hommes insupportable « tant la peine que cela infligerait à leur yeux serait insoutenable », et bien sûr, ils préfèrent toujours retourner aux ombres fantasmatiques « qui pour eux sont plus réelles que la réalité qu’ils pourraient voir ». Dans cet esprit, la quasi totalité des économistes (à de très rares exceptions près) préfère un monde où règnent leurs théories, composées de relations prévisibles, quantifiables et mathématiquement exploitables, à la complexité du monde réel où les individus agissent librement, sans être contraints par des modèles linéaires dont ils n’ont même jamais entendu parler. Et quand les économistes ont à faire face à cette réalité, ils deviennent « peinés et irrités », comme le prédisait Platon. On a de la peine pour eux ! Ces pauvres gens ont toujours envié les physiciens qui travaillent dans une science « dure », les bonnes hypothèses permettant d’arriver à un résultat certain et non changeant. Comme les économistes sont très mal à l’aise dans le domaine des idées, et que de plus ils détestent l’incertitude, ils préfèrent travailler avec des formules mathématiques qui leur donnent l’illusion des certitudes de la science newtonienne. Ils copient donc avec allégresse le modèle de la science physique et pour y arriver ont développé des recettes et des formules fondées sur des hypothèses parfaitement élégantes sur le papier mais complètement utopiques et n’ayant aucun rapport avec la réalité. Les économistes, en fait, sont devenus des obsédés de la mesure, et du coup, ils ont cessé de penser… Aujourd’hui je veux écrire sur l’une des pires de ces mesures, le fameux produit intérieur brut ou PIB. Le PIB est supposé mesurer l’accroissement, au cours d’une période, de la richesse dans un pays, en additionnant la consommation et l’investissement au commerce extérieur net et à l’accroissement du poids de l’Etat dans l’économie. Voici ma critique. D’abord, la prétention à calculer l’accroissement de la richesse d’un pays au cours d’une année me semble proche de la folie. Le résultat est à l’évidence du grand n’importe quoi, ce qui n’empêche pas que les chiffres disponibles soient offerts avec des décimales, ce qui ne peut que déclencher l’hilarité la plus totale. Et pourtant, ces chiffres sont pris au sérieux par tout un chacun… Ensuite, le PIB est une agrégation de flux, un peu comme un compte de pertes et profits. Mais à aucun moment le calcul ne prend en compte l’origine de l’accroissement de richesse et si cette « croissance » a été financée par de la dette ou par le réinvestissement de profits, pas plus qu’il ne prend en compte le stock total de dette accumulé depuis l’origine, ni son impact sur la croissance future. Personne donc ne regarde le « bilan » du pays et sa détérioration ou son amélioration éventuelle, aucun ajustement n’étant fait pour les variations de ce bilan, totalement absentes des discussions. C’est cette obsession du PIB (ou du PNB, aussi stupide) qui récemment a rendu possible la plus grande bulle de l’histoire, tant l’explosion de la dette est restée sous le radar des économistes, des banquiers centraux et des gouvernants et ce pendant des années, obsédés qu’ils étaient par la publication trimestrielle du PIB, seule mesure reconnue du succès ou de l’échec d’une politique économique. Et nos pauvres économistes restent donc « peinés et irrités » devant l’échec patent de leurs chers modèles, cet échec n’étant qu’une preuve de plus qu’ils ne comprennent rien à la « vraie » création de richesse. Enfin, et c’est sans doute le point le plus grave, dans les calculs du PIB, des dépenses complètement inutiles faites par les politiques s’agrègent miraculeusement en quelque chose de positif : selon les calculs du PIB, les dépenses les plus stupides, effectuées par les hommes politiques les plus corrompus, créeront autant de valeur « euro pour euro » que les dépenses les plus profitables faites par le meilleur des entrepreneurs. Donc, selon la méthodologie qui préside à ces calculs, plus le gouvernement gaspille, et mieux c’est, puisque la croissance accélère. Si on défonce une route en bon état pour la reconstruire, c’est très bien, nous sommes tous plus riches. Bâtir des pyramides en plein désert, construire des trains à grande vitesse que personne ne prendra jamais nous assure la prospérité perpétuelle. Bâtir un pont à quatre voix pour aller sur une île ou personne n’habite, que voilà une bonne idée! Si un désastre naturel détruit une ville, il va de soi que nous voilà tout contents puisqu’il va falloir la rebâtir. Plus il y a de voitures officielles, d’avions privés et de logements de fonction pour nos hommes politiques, mieux l’économie se portera… Et c’est à la lecture de cette dernière ligne que chacun comprend ici pourquoi cette notion du PIB (ou du PNB) est si populaire chez nos hommes politiques. Chacun comprend aussi que derrière chacune de ces dépenses il y a un impôt, prélevé par la force sur le secteur privé, et que cet argent aurait pu sans doute être mieux utilisé par les entrepreneurs qui auraient créé une « vraie richesse ». Car, ce qui compte en économie, ce n’est pas le volume de la production mais la valeur créée. L’utilisation du PIB comme critère du succès d’une politique n’a en fait qu’un but : permettre la croissance permanente de ce monstre obèse qu’est l’Etat dans la mesure où elle justifie une intervention constante et croissante des dépenses gouvernementales dans l’économie. Sir John Cowperthwaite, l’artisan principal de l’incroyable succès historique de Hong-Kong, a toujours refusé que la moindre statistique soit calculée ou publiée à titre officiel dans la colonie britannique. Aussi étrange que cela puisse paraître, pendant de nombreuses années aucune statistique ne fut publiée à Hong-Kong. Ce qui n’empêcha pas les citoyens de la ville de passer de la pauvreté la plus extrême à un des niveaux de vie les plus élevés au monde, en une génération… En fait, sir John soutenait que toute statistique « défavorable » amenait immédiatement les politiciens à vouloir intervenir pour « améliorer » la situation avec leur talent habituel. Et bien sûr, il y avait un autre danger qu’un homme convenable comme sir John ne pouvait mentionner : si l’intervention des politiques pour « améliorer » les choses échouait, la tentation de manipuler les prix de marché pour prouver leur réussite deviendrait irrésistible… Il est donc absolument nécessaire d’en finir avec cette idolâtrie du PIB (ou du PNB), il en va de la survie de nos démocraties. C’est une fausse mesure de la richesse, qui ne donne que de faux signaux, le seul résultat patent étant de favoriser l’accroissement perpétuel du poids de l’Etat dans l’économie, poids qui en Europe est en train d’atteindre des niveaux quasiment totalitaires. Enfin, et je conclurai avec ce dernier point, cette mesure n’a plus rien à voir avec la réalité. Prenons l’exemple de l’Espagne. Depuis le début de la crise, le PNB espagnol a reculé officiellement de 5 % sur son plus haut, atteint en 2007. Depuis cette date, la production industrielle et les ventes au détail ont baissé de 30 %, le chômage est monté de 8 % à 26 %, le prix des maisons a chuté de 25% officiellement mais en réalité de plus de 40 %, les banques sont en faillite, la dette étatique est passée de 36 % du PNB à plus de 90 % …et le PNB aurait baissé en tout et pour tout de 5 % ? Mais de qui se moque-t-on ? En fait, il existe une formule alternative qui ne cherche pas à mesurer la richesse créée mais à favoriser la création de richesse. Cette formule alternative a toujours et partout rencontré succès après succès, et elle est bien sûr compatible avec la nature humaine et avec le sens commun. La voici, à l’intention de certains de mes amis économistes ou à l’intention d’autres amis dans la politique, en m’excusant par avance du côté simpliste de ma formulation, que j’ai mise sous forme d’équation pour qu’ils puissent la comprendre : Croissance économique = (propriété privée+ état de droit + faibles impôts+ concurrence libre + minimum d’interventionnisme+libre échange) - taille de l’Etat. Fernando del Pino Calvo-Sotelo
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