La descente aux enfers du système financier mondial
« Les grandes masses absorbent mieux les énormes mensonges que les
petits. » Joseph Goebbels, ministre de la propagande du régime national
socialiste allemand.
Le Dow Jones Industrial Average (DJIA), qui a clôturé la semaine
dernière à 7896 points, a poursuivi sa dégringolade. Il termine cette
semaine à 7365 points. Cela représente une baisse conséquente de 6 %. Depuis
le vote par le Congrès américain du plan de relance d’Obama, l’indice
vedette de Wall Street a perdu 10 %. Plus grave, il a cassé son support à
7383 points, qui avait été établi le 27 mai 1997. Douze années de
capitalisation ont d’ores et déjà été perdues dans les limbes des
supbrimes. Depuis le zénith du 9 octobre 2007 à 14164 points, l’indice
vedette a perdu 48 % de sa valeur. Difficile de faire pire…
Sur un plan chartiste, le déroulement de la crise actuelle ressemble à celle
de 1929. En avril 1930, l’indice Dow Jones avait rebondi à 294 points après
le krach d’octobre 1929 (230 points). Puis il avait commencé sa longue
descente aux enfers. Le nadir ne fut touché que le 8 juillet 1932 lorsque
l’indice clôtura à 43 points. Par rapport au pic du marché atteint le 3
septembre 1929, cela représentait une perte colossale de 89 %. Si nous n’en
sommes pas encore là, il y a néanmoins tout lieu de s’alarmer. Alors qu’il
avait fallu attendre 34 mois pour que l’indice perde 89 % de sa valeur, il a
d’ores et déjà perdu 48 % de sa valeur en l’espace de 16 mois seulement. En
lissant la courbe, cela représente une baisse mensuelle moyenne de 3 % qui
est en tout point comparable à celle de la Grande Dépression. La prochaine
ligne de support pour le Dow Jones est à 6400 points ; c’est une vieille
ligne établie en avril 1997.
Après l’élection d’Obama, j’anticipais un rebond du marché (deat cat
bounce, le rebond de l’animal blessé à mort) avec l’annonce de son plan
de relance keynésien. Il ne s’est pas produit pour les raisons suivantes.
La très forte défiance du marché à l’égard des politiciens
Le marché ne ferait-il pas confiance à la signature du plan de relance
par le président Obama à Denver dans le Colorado ? C’est évident, mais un
autre souci hante les actionnaires : la proposition faite par le Maestro
d’une nationalisation des grandes banques américaines. Dans un entretien
accordé, le 18 février, au Financial Times, Alan Greenspan, l’ancien
gouverneur de la Fed, a déclaré : « Il est peut être nécessaire de
nationaliser temporairement quelques banques pour faciliter une
restructuration rapide et ordonnée. Je comprends qu’une fois par siècle,
c’est ce que vous faites. » Il a expliqué pourquoi c’est devenu
nécessaire : « Une nationalisation temporaire permettrait au gouvernement
de transférer des produits toxiques d’une mauvaise banque sans avoir le
problème de leur évaluation. » En clair, les produits toxiques ne
trouvent plus preneurs ; leur valeur est quasi nulle sur le marché. Pour
relancer le crédit interbancaire qui est la clé de voûte du système, il n’y
aurait donc pas d’autre solution qu’une nationalisation partielle et
temporaire des grandes banques américaines qui sont les plus intoxiquées.
Cela fait référence implicitement à la chaîne alimentaire. La concentration
de mercure (subprime) augmente avec la taille du poisson (requin de
la finance).
La déclaration du Maestro, dont la crédibilité a été passablement
écornée par la crise, serait passée inaperçue si elle n’était elle-même une
caution apportée au grand architecte de la dérégulation bancaire des années
quatre-vingt dix. Lindsey Graham, le sénateur de la Caroline du Sud, a
déclaré à ce même journal : « Nous ne pouvons continuer à verser de la
bonne monnaie après de la mauvaise monnaie. Si la nationalisation est ce qui
marche, alors nous devons la faire. »
Il ne fallait pas être grand clerc pour envisager l’inéluctable. Dans un
article du 24 novembre 2008, j’écrivais ceci : « A terme, le secteur
bancaire américain sera entièrement nationalisé car il ne peut se sauver
lui-même. La facture laissée au contribuable américain sera sans commune
mesure avec celle de 150 milliards de dollars après la faillite des
Savings & Loan dans les années 90. » Vous pouvez vérifier mes dires sur
ce site où mon article figure sous le titre « Ceux qu’on sauve, ceux qu’on
ne veut pas sauver… »
L’aveuglement de l’administration et de la Fed
Les Keynésiens ne s’intéressent qu’aux hélicoptères déversant des dollars
sur l’économie (helicopter drop) et à la fabrication d’échelles de
pompiers encore plus hautes et plus performantes pour éteindre l’incendie à
Wall Street. Ils vont donc continuer à déverser des milliards de dollars
pour réamorcer la pompe.
Mais ils n’y parviendront pas. Affirmation d’un illuminé de l’école
autrichienne ? Pas vraiment. Paul Krugman, le gourou des Keynésiens, est à
son tour pris de doute. Voici ce qu’il écrit dans son papier du 20 février
2009 : « Maintenant, nous sommes en plein dans une crise qui a une
troublante et étrange ressemblance avec le déclenchement de la Grande
Dépression. Les taux d’intérêts sont presque à zéro et l’économie continue
de plonger. Comment et quand cela se terminera-t-il ? »
Au risque de me répéter, les plans de relance keynésiens ne font que
prolonger la dépression. La purge à laquelle nous assistons, est une
réaction saine du marché. L’excès d’endettement a conduit à de mauvais
investissements comme les piscines de particuliers en Californie (voir mon
article du 29 décembre 2008 intitulé « Des millions de piscines converties
en patinoires par la faute des Keynésiens »). Il faut attendre tout
simplement que l’épargne des ménages et des entreprises se reconstitue
(lentement, à la différence de l’économie de l’endettement) et que la
confiance revienne sur les marchés. Mais le calendrier électoral est
beaucoup plus court que la période nécessaire de redressement. D’où
l’activisme forcené des Keynésiens…
La faillite du système actuel tient à la disparition de l’aléa moral.
Bernanke et Paulson ont voulu le restaurer, avec le succès que l’on connaît,
lorsqu’ils ont voulu faire un exemple avec la banque d’investissement Lehman
Brothers. Alexis de Tocqueville disait : «Le moment le plus dangereux
pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se
réformer. »
Sur l’excellent site de Jean-Pierre Chevalier, j’ai découvert avec
effarement que le total des dettes de la banque Paribas s’élève à 2017
milliards d’euros à la fin de l’année 2008 et que ses fonds propres ne sont
que de 59 milliards d’euros. Cela donne un ratio de seulement 2,9 %, qui est
très inférieur à la norme de 8 % imposée par la Banque des Règlements
Internationaux (ratio Cooke). Comme la Fed, la banque Paribas se rapproche
dangereusement du seuil d’insolvabilité. A titre de comparaison, la dette
publique de l’Etat français est de 1323 milliards d’euros. Nous sommes donc
à la merci d’une banqueroute de cette banque ou d’une autre qui a défrayé la
chronique. La Société Générale n’ose même plus publier ses ratios (lire
l’article de Chevalier intitulé « Les mécanos de la Générale Potemkine »).
La solution autrichienne
Pour les tenants de l’école autrichienne, il faudrait abolir les banques
centrales qui ne font qu’accentuer la formation de bulles toujours plus
grosses, supprimer le système fractionnel de réserves et revenir à un ratio
de 100 % de fonds propres des banques commerciales (celles qui gèrent les
dépôts des particuliers). En revanche, il ne faudrait pas imposer cette
rigueur aux banques d’investissement. Il est normal qu’elles continuent à
bénéficier d’un effet de levier dans le cadre de leurs activités. Le ratio
Cooke de 8 % ne devrait s’appliquer qu’aux banques d’investissement.
La responsabilité particulière des Européens dans la crise actuelle
Mais voilà, il n’y a plus de banques d’investissement à travers le
monde, à l’exception de Nomura au Japon. On a fait sauter le fusible du
Glass Steagall Act en Amérique à la fin de la présidence Clinton. Et il
n’y en a jamais eu en Europe pour nous prémunir de ce danger mortel. A la
place, nous avons un politicien démagogue qui s’est empressé de désigner à
la vindicte publique un bouc émissaire : « Le laissez-faire du marché. »
C’est plutôt le «laissez-faire » des politiciens européens qui est à
l’origine de la crise actuelle.
Lorsque les gorilles européens (Deutsche Bank, UBS, Paribas et consorts)
sont venus dans la cage des chimpanzés de Wall Street, ces derniers ont
paniqué. Le Congrès américain s’est empressé de leur venir en aide en
faisant sauter le fusible du Glass Steagall Act.
Voici ce que j’écrivais le 15 novembre dernier, dans un article prémonitoire
: « C'est pour faire face à la concurrence internationale que le Glass
Steagall Act a été abrogé aux États-Unis. Dans cette compétition biaisée
entre banques commerciales et banques d'investissement, l'avantage a tourné
en faveur des premières qui bénéficient des fonds propres de leurs
déposants. Les banques d'investissement comme Bear Stearns, Lehman Brothers
et Merryl Lynch ont accru le levier et pris de gros risques. Pour un dollar
de fonds propres, elles avaient plus de trente dollars investis dans des
opérations à haut risque. Il ne reste plus aujourd'hui qu'une seule banque
d'investissement dans le monde : Nomura au Japon. »
Les déposants de la Société Générale et de Paribas devraient se faire du
souci. Contrairement en Amérique, il n’existe pas en France de FDIC (Federal
Deposit Insurance Company) pour garantir leurs dépôts à hauteur de
100.000 $ en cas de faillite de leur banque.
Bernard Martoïa |