Au
Caucase, c’est une guerre de
religion qui se prépare !
Personne n’a jamais rien compris à ce qui se passait dans les innombrables
états-croupions du Caucase. On sait vaguement que c’est au sud de la Russie,
quelque part aux alentours de la Mer Noire et de la Caspienne, à la
frontière avec les mondes turc, iranien et afghan. Et on se contente de
répéter, depuis des années, qu’il s’agit d’un « baril de poudre » avec sa
kyrielle de peuples qui se détestent depuis tout temps, qui s’entretuent
depuis des siècles et qui ont toujours été en rébellion plus ou moins larvée
contre tous ceux qui les ont dominés.
L’éclatement de l’URSS (dont nous n’avons pas encore réalisé toutes les
conséquences) semble avoir réveillé la région que Staline avait assommée
dans un sommeil profond.
On sait qu’en 1991, les grandes « républiques socialistes soviétiques »
avaient pu profiter de l’agonie de l’URSS gorbatchévienne pour proclamer
leur indépendance, la Biélorussie, l’Ukraine, la Géorgie, etc. On sait moins
que de nombreuses républiques peu connues de cette région du Caucase en
avaient fait tout autant comme l’Azerbaïdjan, l’Arménie, le Kazakhstan, le
Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan ou le Kirghizistan.
C’était, pour tous ces peuples, à la fois la fin du communisme -même si,
généralement, les apparatchiks du PC local de la veille restaient au pouvoir
en s’affublant brusquement des oripeaux du nationalisme- et la fin d’une
domination russe qui avait, en fait, commencé du temps des tzars –même si,
le plus souvent, ces indépendances inespérées n’avaient été obtenues qu’en
échange de nouveaux liens économiques et militaires bien étroits avec
Moscou.
Mais au milieu de tous ces grands chamboulements, plus spectaculaires que
réels, les « petits du Caucase », eux, avaient, une fois de plus, été
complètement oubliés. La Tchétchénie, l’Ingouchie, l’Ossétie du Nord, le
Daghestan, le Kabardino-Balkarie et quelques autres confettis du même genre
n’avaient pas eu le droit de bénéficier du grand vent de l’indépendance.
Ces pseudo mini républiques étaient soi-disant « autonomes », du temps de
l’URSS triomphante, Gorbatchev leur accorda le plaisir de devenir des
républiques « souveraines », au sein de la nouvelle Fédération de Russie, ce
qui ne changeait strictement rien à leur triste sort de pures et simples
colonies russes. L’indépendance dont elles rêvaient depuis si longtemps leur
était passée sous le nez.
Ce sont les Tchétchènes, sans doute les plus méprisés et les plus mal
traités par Moscou de tous ces peuples caucasiens, qui les premiers se sont
insurgés, dès 1994. La première guerre de Tchétchénie, 1994-1996, a fait
plus de 50.000 morts civils, la seconde, 1999-2005, plus de 60.000, sur une
population de 780.000 habitants. Et la capitale Groznyï a été pratiquement
rasée. On estime les pertes de l’armée tchétchène à environ 15.000 hommes,
et celles de l’armée russe à environ 7.000 hommes sur un « corps
expéditionnaire » de 150.000 hommes. Ajoutons que plus de 400.000
tchétchènes ont fui les combats et se sont réfugiés dans les pays voisins.
Aujourd’hui, la Tchétchénie n’est plus qu’un champ de ruines déserté par ses
habitants.
Les attentats qui viennent d’être commis à Moscou et au Daghestan prouvent
qu’en dépit de la répression atroce ordonnée par Poutine et Medvedev, la
résistance tchétchène n’a pas été totalement vaincue. Non seulement des
combats larvés se poursuivent en Tchétchénie même, avec des embuscades
régulières tendues aux troupes russes, mais les Tchétchènes peuvent encore
organiser des attentats en plein cœur de Moscou comme ils l’avaient fait en
septembre 99 (300 morts), en août 2000 (13 morts), en octobre 2002 (la prise
d’otages du théâtre Nordost, 130 morts), en septembre 2003 (6 morts), en
février 2004 (39 morts), en août 2004 (10 morts), en novembre 2009 (une
bombe dans le train Moscou-Saint-Pétersbourg, 25 morts). Sans parler de la
prise d’otages dans l’école de Beslan, en Ossétie du Nord, qui avait fait
plus de 344 morts.
Ce que les attentats de cette semaine, commis sans guère de doute par des
femmes kamikazes, prouvent aussi c’est que ces terroristes caucasiens,
nationalistes à l’origine, sont devenus des terroristes islamistes, comme on
pouvait le redouter depuis quelque temps.
Ce sont maintenant des « émirs » qui commandent les résistants
tchétchènes. Leur chef, Dokou Oumarov, se proclame « émir du Caucase », veut
établir un « Etat islamique du Caucase », déclare le Djihad, la guerre
sainte, aux Russes, parsème ses déclarations de références au Coran et
arbore un drapeau rehaussé de caractères arabes.
Or, tous ces petits pays du Caucase sont musulmans à plus de 90% et sont
entourés d’Etats qui sont presque tous, eux aussi, musulmans à plus de
80/90%, l’Azerbaïdjan (9 millions d’habitants), le Turkménistan (5
millions), l’Ouzbékistan (25 millions), le Tadjikistan (7 millions), le
Kirghizistan (6 millions). Seuls l’Arménie, chrétienne, et le Kazakhstan où
les orthodoxes dominent légèrement ne font pas partie de cet ensemble
islamique. Et n’oublions surtout pas que la Turquie, de moins en moins
laïque, l’Iran des mollahs et l’Afghanistan des Talibans sont des voisins de
plus en plus présents.
Même si les chars de Poutine ont réduit Groznyï en cendres, « l’émir du
Caucase » n’a sans doute guère de peine pour trouver de l’aide, maintenant
qu’il s’est converti à l’islam le plus rigoureux.
Les attentats de Moscou vont, sans aucun doute, provoquer une nouvelle vague
de répressions en Tchétchénie. Mais le cycle infernal terrorisme-répression
se termine toujours à l’avantage des terroristes et d’autant plus que les
islamistes ont le goût du martyre.
Certes, la Russie de Medvedev-Poutine a repris le vieux rêve des tsars et
de Staline –« toujours plus au sud »- et elle ne cédera jamais un pouce de
territoire dans cette partie de l’empire. Elle a déjà repris pied dans la
plupart des pays auxquels Gorbatchev avait si rapidement accordé
l’indépendance. Mais maintenant, au Caucase, Moscou n’a plus affaire à des
rébellions nationalistes et plus ou moins folkloriques. C’est une guerre de
religion qui se prépare ici.
Nos géostratèges n’ont pas voulu comprendre que, dès le lendemain de la mort
du communisme, l’Islam était devenu le refuge, l’idéal, le combat de tous
ces damnés de la terre, car il leur faut un espoir, un rêve. Allah a
remplacé Marx, le Coran a remplacé le Capital, le drapeau du Prophète a
remplacé le drapeau rouge.
L’Islam qui ne pouvait pas grand-chose en face de la dictature
communiste, il peut tout en face de la dictature des oligarques corrompus.
On l’a vu en Iran, en Egypte, en Algérie ou ailleurs.
Les chars de Poutine ont été vaincus par les Talibans en Afghanistan. Ceux
de Medvedev le seront tôt ou tard par les « émirs du Caucase ».
Thierry Desjardins
https://www.thierry-desjardins.fr/
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