L’éphémère triomphe des technocrates !
La crise européenne abat sans pitié nos dirigeants, les uns après les
autres, comme à la foire dans un stand de tir. Après l’Irlandais et le
Portugais, le Grec et l’Italien sont tombés et on nous annonce, pour
dimanche prochain, la chute de l’Espagnol qui, d’ailleurs, ne se représente
même pas.
Chacun se réjouit du départ de Berlusconi qui, par ses frasques dignes de
l’empire romain le plus décadent, déshonorait la démocratie italienne depuis
tant d’années. Personne ne pleure le départ de Papandréou qui, après avoir
pataugé pendant quelques mois, s’est finalement ridiculisé avec sa fausse
promesse de référendum.
Tout le monde espère, bien sûr, (mais sans y croire) que Mario Monti, à
Rome, et Lucas Papademos, à Athènes, auront le courage et surtout la
possibilité de faire accepter par leurs peuples respectifs ce qu’on appelle
désormais « les mesures qui s’imposent ».
La chose ne sera facile ni en Italie ni en Grèce. Dans les deux pays, les
peuples sont au bord de l’insurrection et il est évident que ces fameuses «
mesures qui s’imposent » ne peuvent que réduire encore davantage la
consommation, la croissance, le niveau de vie de chacun, notamment des plus
défavorisés, et donc ne peuvent qu’accroître encore la misère de ces
peuples.
Mais ce qui est surprenant dans les changements de ces derniers jours,
c’est qu’à Rome comme à Athènes on ait remplacé des hommes politiques, sans
doute contestables mais chevronnés et dirigeant, l’un comme l’autre, le
parti le plus puissant de leur pays, par des inconnus (ou presque) qu’on est
allé chercher bien loin de la faune politique traditionnelle.
Mario Monti est un professeur d’économie, connu pour avoir été pendant
dix ans commissaire européen. Lucas Papademos, lui aussi économiste de
profession, a pour seul titre de gloire jusqu’à présent d’avoir été le
vice-président de la Banque centrale européenne. Deux caricatures de
technocrates.
En clair, c’est un peu comme si, aujourd’hui, en France, on appelait
Jean-Claude Trichet pour remplacer Sarkozy. Les élus capitulent devant les
technocrates, la politique abdique devant l’économie.
On dira que nos hommes politiques ont amplement fait la démonstration de
leur incompétence - c’est vrai - et que la crise étant économique, autant
avoir recours à des professionnels.
Mais Clemenceau affirmait : « La guerre est une chose trop sérieuse pour
la confier à des militaires ». Il avait sans doute raison et on peut se
demander aujourd’hui si la crise économique n’est pas devenue tellement
grave qu’il serait grand temps de ne plus demander leur avis aux
économistes.
Cela fait des années que nos technocrates, bardés de leurs diplômes et de
leurs certitudes - comme justement MM. Monti et Papademos - font la loi, et
si les peuples européens ne croient plus en l’Europe c’est précisément parce
qu’ils sont convaincus que ce sont les technocrates de Bruxelles, de la City
ou de Wall Street qui nous ont conduits à la catastrophe.
Les politiciens abandonnent la partie au moment même où la situation
exigerait que la politique retrouve tous ses droits, où il faudrait remettre
enfin l’homme au milieu de tout.
Mario Monti et Lucas Papademos vont, sans doute, vouloir appliquer à la
lettre toutes les lois de l’économie qui sont gravées sur les murs des
bourses du monde entier. Ils vont vouloir combler les déficits, rassurer les
marchés, plaire aux agences de notation, séduire les investisseurs, les
fonds de pension. Mais comme ces deux hommes n’ont jamais eu à affronter les
électeurs, c’est-à-dire à se coltiner avec les réalités, avec la vraie vie,
avec la misère des chômeurs, des précaires, des défavorisés, leurs
programmes de rigueur, d’austérité, de privatisations, de coupes dans les
budgets sociaux, de réductions drastiques du rôle de l’Etat vont, très vite,
provoquer des drames.
On nous répète depuis quelques jours qu’on ne peut plus confier la
direction de nos pays à des hommes qui vont se retrouver en campagne
électorale, ce qui leur interdit de prendre des décisions « courageuses ». A
croire que la démocratie serait incompatible avec les règles de l’économie.
On oublie l’essentiel, l’évident : ces « décisions qui s’imposent » ne
pourront s’imposer que… si les peuples les acceptent.
Le triomphe des technocrates risque d’être bien éphémère.
Thierry Desjardins
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