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25/10/10 Thierry Desjardins
    Les Français ont compris que l’Etat-providence
                                est condamné !


Nombreux étaient ceux, ces derniers temps, qui pensaient, les uns en l’espérant, les autres en le redoutant, que la levée de bouclier massive contre la réforme des retraites, les gigantesques manifestations de rue qui se succédaient et les grèves qui se multipliaient allaient conduire le pays à connaître un nouveau « mai 68 ».
Il semble bien que les choses s’apaisent et que ce ne soit pas encore pour cette fois.

La loi a été votée, les jeunes sont partis en vacances et les syndicats, étonnés eux-mêmes du succès des mobilisations qu’ils avaient décrétées, n’ont envie ni de jouer avec le feu et de se faire déborder par les extrémistes ni même de reconnaître que, la lassitude venant, le mouvement s’essouffle.

On va donc, sans doute, en rester là… pour le moment. Avec un Sarkozy fier d’avoir fait passer « en force » sa réforme et des syndicats (et une opposition) fiers d’avoir réussi à organiser une telle mobilisation contre le pouvoir.

En attendant de voir la suite des événements, ce qui est intéressant c’est d’essayer de comprendre pourquoi tout n’a pas dégénéré.

Presque tous les ingrédients nécessaires pour une explosion semblaient réunis.
Jamais, avant Sarkozy, aucun chef d’Etat n’avait été rejeté avec une telle violence. En 1968, les Français en avaient, sans doute, assez de de Gaulle mais ils ne le méprisaient pas. Or, aujourd’hui, les Français méprisent le président de la République, à cause de son style, de son allure, de ses volte-face, de ses promesses non tenues, de ses échecs.

Jamais, depuis les débuts de la Vème République, la situation économique et sociale du pays n’avait été aussi catastrophique avec 4 millions de chômeurs, 7 millions de Français vivant sous la ligne de pauvreté, une dette de 1.500 milliards, des déficits qui se creusent partout.

Jamais, sans doute, nous n’avions connu une telle crise morale. Pris entre la mondialisation, l’Europe et l’immigration, les Français ne savent plus ce que c’est qu’être français, ils ne voient plus d’autre avenir qu’un déclin programmé, ils ne font plus aucune confiance ni au personnel politique ni même à l’Etat maintenant qu’ils ont compris que l’Etat-providence était condamné.

Et pourtant, ils ont fini –semble-t-il et jusqu’à preuve du contraire - par se résigner. Personne n’a voulu élever des barricades ni même se lancer dans une grève générale.

Cette réforme des retraites n’était sans doute pas le bon prétexte. Même si nombreux sont ceux qui la contestent, tous les Français ont parfaitement conscience que, si on veut sauvegarder un système des retraites quel qu’il soit, il faudra, d’une manière ou d’une autre, travailler plus longtemps. Pour faire une « révolution » il faut que la foule veuille « autre chose » et soit donc prête à se lancer dans l’aventure. Or, pour l’affaire des retraites, la foule voulait, au contraire, conserver ce qu’elle avait. Elle était sur la défensive, la protection d’un avantage acquis. Et on peut se demander si des gens qui veulent chausser leurs charentaises le plus tôt possible sont prêts à se battre, même contre un pouvoir honni.

Il faut aussi, pour mettre le feu aux poudres, une alliance objective entre les jeunes toujours prêts à en découdre et ceux qu’on pourrait appeler « les intellectuels ». Là, les jeunes n’ont fait que prendre le train en marche et il faut bien dire qu’il y avait quelque chose de ridicule chez ces lycéens et étudiants qui prétendaient se battre pour pouvoir jouir, dans quarante ans, d’une retraite à 60 ans. En 68, les jeunes voulaient se battre pour changer le monde. C’était, bien sûr, dérisoire mais ça avait tout de même plus d’allure.

Quant aux intellectuels, leur silence a été, pendant toute la crise, assourdissant. Au point qu’on peut se demander s’ils existent encore. En 1968, il y avait tout de même Jean-Paul Sartre pour souffler sur les braises.

On en arrive à la question de fond : un pays qui a vécu pendant des décennies dans l’assistanat généralisé, qui s’accroche à ses retraites, à ses pensions, à ses allocations a-t-il encore la force de s’insurger, même si on lui grignote, petit à petit, quelques-uns de ses privilèges ?

Les révolutionnaires sont toujours des gens qui n’ont « plus rien à perdre ». Or, aujourd’hui, il semble bien que les Français ne veuillent pas perdre le peu qui leur reste.

Les historiens à la mode aiment évoquer notre passé de révolutionnaires. Ils oublient pudiquement nos périodes de soumission, voire de collaboration. Les Français aiment sans doute davantage Guizot que Robespierre. Ce qui n’est pas plus mal.

Reste que Sarkozy aurait tort de se croire le grand vainqueur de ce bras de fer. Il a remporté tout au plus une victoire à la Pyrrhus et le champ de bataille offre un bien triste spectacle. Il est toujours rejeté par une écrasante majorité de la population (il perd encore trois points dans le sondage Ifop-JDD à 70% de mécontents, record absolu dans l’histoire de la Vème République) et les « vaincus » sont plus forts que jamais, après avoir remporté la bataille de l’opinion et mobilisé plus de troupes que jamais.

Pyrrhus a d’ailleurs très mal fini.

Thierry Desjardins



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