C’est la pensée unique qui
tue la presse française !
La mort d’un journal, quel qu’il soit, est toujours triste. On pourra nous
raconter ce qu’on voudra, mais la presse écrite, sur papier, est un
accessoire bien utile pour ne pas dire indispensable à une vraie vie
démocratique. Ce sont des informations, et surtout des commentaires, noir
sur blanc qu’on peut lire et relire pendant quelques jours, voire qu’on peut
même ranger dans un coin de bibliothèque et ressortir quelques mois plus
tard.
La radio, la télévision et même l’Internet sont, par définition, fugaces,
des « news », comme ils disent, bâclés par ceux qui en sont les maîtres,
écoutés d’une oreille distraite ou regardés rapidement par ceux qui y
jettent un œil. L’audio-visuel ne donne pas à réfléchir.
Au cours des dernières décennies on a vu disparaitre d’innombrables
titres qu’on a même oubliés depuis : Paris-Presse, l’Intransigeant,
Paris-Jour, Combat, L’Aurore, le Quotidien de Paris, J’informe, 24 heures,
le Libération de d’Astier de La Vigerie, Le Populaire, etc. Aujourd’hui,
c’est France-Soir qui disparaît à tout jamais. Et sans être particulièrement
pessimiste, on peut affirmer que la presse écrite sur papier est condamnée à
court terme en France.
Les Français ne veulent plus lire, ne savent plus lire et il faut bien
dire que les journalistes n’ont pas été capables de s’adapter aux
circonstances, c’est-à-dire de comprendre que, pour survivre, l’écrit devait
en revenir à sa vraie vocation : aller au-delà de l’information brute
(donnée par l’audiovisuel) pour l’approfondir, l’expliquer, la commenter
avec des enquêtes en profondeur, des analyses fouillées, des éditoriaux
courageux. En clair avec ce que ni la radio ni la télévision ne peuvent
offrir et ce dont les Français ont le plus besoin aujourd’hui pour ne pas
être crétinisés par le matraquage sans pitié de tous les pouvoirs, qu’ils
soient politiques ou économiques.
Bien qu’ayant dirigé France-Soir pendant quelques mois (le seul vrai
mauvais souvenir de ma carrière) et malgré un petit pincement au cœur, je ne
défendrai pas ce journal qui après avoir été le plus vendu de France (plus
d’un million d’exemplaires quotidiens) était devenu, entre les mains d’un
héritier russe, une bien lamentable feuille, agonisante depuis longtemps, au
tirage dérisoire.
Il ne s’agit pas de pleurer France-Soir. Un journal qui n’a plus de
lecteurs est forcément mauvais puisque sa seule raison d’être est d’avoir
des lecteurs. Mais cette disparition programmée est peut-être une occasion
de regretter que la France soit l’un des rares pays au monde où la presse
écrite disparaisse aussi rapidement. Et de se demander pourquoi. La faute
aux journalistes ? Sûrement. La faute aux lecteurs ? Sans doute. Mais
peut-être, plus encore, la faute à une société, la nôtre, où la pensée
unique, le politiquement correct, la docilité devant tous les lieux communs,
la soumission à tous les diktats sont devenus la règle.
Tout comme ils ont les hommes politiques qu’ils méritent, les Français
ont la presse qu’ils méritent, c’est-à-dire le journal télévisé de 20
heures…
Thierry Desjardins
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