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13/7/10 | Thierry Desjardins |
Les quatre reculades de Sarkozy ! Comme toujours, bien sûr, après une intervention de Nicolas Sarkozy, les avis et les réactions seront partagés. La droite trouvera qu’il a été « excellent », « convaincant », qu’il a « su mettre un terme à plusieurs semaines de turbulences et de calomnies », tout en « annonçant les prochaines étapes ». La gauche affirmera qu’il a tenté de noyer le poisson en défendant, contre toute évidence, « le soldat Woerth » et, se drapant dans sa dignité, en refusant de répondre à la seule question du jour, celle des relations incestueuses de la sarkozie avec les grosses fortunes. Et il est vrai que quand il s’est écrié : « Me voyez-vous, au cours d’un dîner chez les Bettencourt et devant des témoins, prendre une enveloppe de billets ? » il n’était pas très convaincant. On aurait eu envie de le relancer : "…Et quand il n’y avait pas de témoins? " Cela dit, l’objectivité oblige de reconnaître qu’il a été… bien meilleur que prévu. Certes, il a réaffirmé son soutien total à Eric Woerth, « homme honnête, compétent », sur lequel il n’a « jamais eu aucun doute » et « qui conduira la réforme des retraites » jusqu’à son terme. Il pouvait s’appuyer, et ne s’en est pas privé, sur le rapport de l’Inspection Générale des Finances qui affirme sans ambages qu’« Eric Woerth n’est jamais intervenu dans les affaires fiscales de Mme Bettencourt ». Certains, notamment à gauche, contestent la validité de ce rapport en faisant remarquer, d’abord, qu’il a été « rédigé par des fonctionnaires sur le fonctionnement de leur propre administration et à la demande de leur propre ministre » qui souhaitait, évidemment, protéger son prédécesseur et ami. Ensuite, que les quatre rapporteurs disent avoir étudié… « 6.247 dossiers », en moins de dix jours, ce qui fait 624 dossiers par jour et 156 dossiers par jour et par rapporteur. Enfin et surtout, qu’il y avait fort peu de chances que ces rapporteurs puissent découvrir la moindre preuve écrite de la moindre intervention du ministre du Budget demandant qu’on épargne tout souci à Liliane Bettencourt. Ce genre de démarche se faisant généralement par voie orale et discrètement. Mais il faut rappeler qu’avant la publication de ce rapport, tout le monde, et même à gauche, louait l’honnêteté du président de l’IGF, Jean Bassères, ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius à Bercy et donc peu suspect de sarkozisme. Il est alors difficile aujourd’hui de contester totalement son rapport. Sarkozy ne nous a donc pas annoncé le licenciement d’Eric Woerth de son poste de ministre du Travail. Mais il est tout de même allé beaucoup plus loin qu’on ne l’imaginait. D’abord, il nous a déclaré qu’il avait lui-même « demandé à Woerth d’abandonner sa fonction de trésorier de l’UMP ». Première reculade et d’importance. Le cumul des fonctions de trésorier d’un parti politique et de ministre du Budget (ou d’ailleurs de n’importe quel poste ministériel) étant, en effet, inacceptable dans un Etat de droit. Il était grand temps que le président de la République le reconnaisse. Ensuite, deuxième reculade, Sarkozy nous a annoncé la création d’« une commission chargée de réfléchir pour éviter toute forme de conflit d’intérêts ». Il s’agit là de répondre à la pire des accusations portées contre Woerth : celle d’avoir fait embaucher sa propre épouse comme gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt. La femme d’un ministre du Budget peut-elle être salariée pour « optimiser les revenus » d’une milliardaire et donc, en clair, trouver des solutions pour diminuer ses prélèvements obligatoires ? La France entière avait été scandalisée en apprenant les activités de Florence Woerth. La commission va tenter d’établir une sorte de code de bonne conduite. Mais ce problème des « conflits d’intérêts » est délicat. Interdire à une épouse, une sœur, un frère, un lointain cousin telle ou telle activité sous prétexte qu’il pourrait y avoir « conflit d’intérêts » avec la fonction du ministre est difficile. Quelles sont les limites du « conflit d’intérêts » ? Quelles sont les limites du cercle familial ? Comme le disait si bien Clemenceau : « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission ». Cela dit, Sarkozy a reconnu implicitement que les activités de Florence Woerth étaient incompatibles avec la fonction de son mari. Dont acte. Troisième reculade, en confirmant qu’il y aurait bien un important remaniement ministériel en octobre, après l’adoption de la réforme des retraites, Sarkozy a clairement laissé entendre que cette nouvelle équipe serait « resserrée » et a fait mine de ne pas entendre la question quand Pujadas lui a demandé si « l’ouverture » était toujours à la mode. On peut en déduire que, l’expérience aidant, Sarkozy n’est peut-être plus un adepte du débauchage des seconds couteaux à gauche. Kouchner, Besson, Mitterrand, Bockel, Fadela Amara vont passer de bien mauvaises vacances. Enfin, quatrième reculade, la réforme des retraites. Si Sarkozy a bien précisé qu’il n’était pas question de revenir sur l’âge légal du départ en retraite à 62 ans et sur la parité des cotisations entre le public et le privé, il a ouvert toute grande la porte des discussions sur « la pénibilité ». Autant dire que Sarkozy a « senti le vent du boulet ». Pour le reste, il n’a pas été très bon. A propos du G20 et de la gouvernance mondiale, il a carrément offert des sièges au Conseil de Sécurité de l’ONU à tout le monde, à l’Afrique, à l’Amérique latine et à l’Inde, avec une générosité qui fera sans aucun doute sourire dans la plupart des capitales. De la démagogie planétaire ! S’il persiste, sa présidence du G20 sera houleuse. Pour ce qui est de l’ISF (que la droite voudrait voir supprimer) et du bouclier fiscal (que la gauche voudrait voir supprimer), il est devenu incohérent en affirmant qu’il ne voulait « pas faire comme l’Allemagne » qui a supprimé l’impôt sur les grosses fortunes, mais qu’il voulait « faire comme l’Allemagne » qui a gardé le bouclier fiscal. La question qui se pose maintenant est de savoir si cette prestation va mettre un terme à toutes les accusations qui accablent le régime et lui permettre de remonter, un tant soit peu, dans les sondages d’opinion au fond desquels il patauge avec 70% d’opinions défavorables. On verra alors s’il a la moindre chance de rebondir d’ici aux présidentielles ou s’il est à jamais rejeté par les Français. Thierry Desjardins |