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5/1/12 Thierry Desjardins

               C’est l’histoire d’un « sale mec » !

Que François Hollande se soit, au cours d’un déjeuner qu’on peut imaginer un peu arrosé, amusé à parodier Nicolas Sarkozy et à lui faire dire qu’il était « un sale mec » n’est peut-être pas de la finesse intellectuelle la plus absolue mais que cette anecdote insignifiante soit devenue toute la journée une véritable « affaire » (presque d’Etat) est stupéfiant.

Les ministres sont montés au créneau dans la cour de l’Elysée, à la sortie du Conseil, ont parlé d’ « injure faite au chef de l’Etat » et ont exigé des « excuses publiques ». Les radios et les télévisions ont ouvert leurs journaux sur cette « affaire ». A entendre certains, un brin complaisants, le candidat du PS à la présidentielle se serait discrédité à tout jamais en traitant son futur adversaire de « sale mec ».

Tout cela parce que Le Parisien avait raconté en quelques lignes le déjeuner en question et rapporté le petit numéro vaguement comique de Hollande imitant « en off » Sarkozy, comme il le fait souvent pour faire rire la galerie.

On savait que la campagne allait être sanglante, que tous les coups seraient permis, mais on voit que ça commence petitement comme si les protagonistes manquaient un peu d’arguments.

Les amis du président ont évidemment tort de se jeter sur cette « affaire ». D’abord, parce que les amis de Hollande vont, bien sûr, démentir l’histoire, ensuite, parce qu’on ne peut tout de même pas parler d’une « injure inadmissible faite au chef de l’Etat » qui n’est désormais plus, même s’il ne s’est pas encore « déclaré », qu’un candidat, enfin et surtout parce qu’en donnant une telle publicité à cette expression de « sale mec » (qu’elle ait ou non été prononcée), ils en font un mot quasiment historique et il est fort possible qu’un certain nombre d’électeurs l’adoptent avec jouissance.

Car depuis hier après-midi, le problème n’est plus de savoir si Hollande a fait dire à Sarkozy qu’il était un « sale mec », mais bien de savoir si Sarkozy ne serait pas effectivement un « sale mec ».

Jusqu’à présent Sarkozy était, au choix, un « nain », un « nabot » (selon Villepin), un « naboléon » (selon la presse britannique), une « réincarnation de Louis de Funès » (selon Angela Merkel). Maintenant, grâce à Nadine Morano et quelques autres, celui qui avait traité un visiteur du Salon de l’Agriculture de « pauv’ con » devient un « sale mec ».

Hollande ne pensait sûrement pas que sa petite plaisanterie aurait un tel succès. Mais il a, sans doute sans même le vouloir, touché là où ça fait mal. Les Français reprochent beaucoup de choses au président sortant : ses innombrables promesses non tenues, le « travailler plus pour gagner plus », la croissance qu’il allait « chercher avec les dents », ses zigzags politiques, de l’ouverture à gauche au discours de Grenoble, ses plans d’austérité successifs et inefficaces, ses échecs en cascades face au chômage, à la dégradation du niveau de vie, à la dette, à la crise, etc.

Mais ce qui est plus profond et qu’ils ne lui pardonnent pas, c’est sa soirée du Fouquet’s, ses amis du Cac 40, son obsession du fric, son côté « parvenu » et son mépris évident pour ceux qui n’ont pas pu s’offrir une Rolex à 50 ans.

Sarkozy n’avait pas compris que si Chirac avait réussi à se faire élire en 1995 et réélire en 2002, c’était parce que les Français qui connaissaient tous ses défauts le trouvaient « sympathique ». Chirac n’était peut-être qu’un « rad.-soc. », mais il était… « sympa ». Or, en période de crise, alors qu’il y a plus de 4 millions de chômeurs et 8 millions de gens qui vivent sous la ligne de pauvreté et que tous nos spécialistes et technocrates sont totalement incapables de sortir le pays de cette mouise générale, on a besoin, au moins, d’un type « sympa » qui ait l’air de comprendre nos malheurs et de « sympathiser » un peu avec nous.

Sarkozy a voulu jouer les durs, les brutes, les sans pitié en s’en prenant aux chômeurs (vrais ou faux), aux malades (vrais ou faux), aux immigrés (clandestins ou réguliers), à tous les bras cassés victimes d’une société intraitable et à tous les laissés pour compte d’un système à bout de souffle. Ce cow-boy, haut comme trois pommes, a voulu dégainer contre tous les traînards et sortir son revolver non seulement quand on lui parlait de culture mais aussi quand on évoquait la solidarité.

Les Français lui reprochaient d’avoir tout raté et, en plus, de ne même pas être « sympa ». Hollande a peut-être trouvé l’expression qui leur manquait : « un sale mec ». Nadine Morano et les autres n’auraient pas dû relever l’expression. En en faisant toute une histoire, ils ont « sacralisé » la formule et cela risque de faire mal au président sortant, un type qui n’était déjà « pas sympa » et qui risque, maintenant, de devenir un « sale mec ». Et c’est Hollande, « le capitaine de pédalo » qui va devenir « sympa », « brave mec »…

Thierry Desjardins


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