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Deux morts en Dordogne : c'est le monopole qui a tué !

5/9/04 Claude Reichman
Le monopole a tué ! Il avait déjà fait des morts parmi ses " bénéficiaires ". Aujourd'hui, il enregistre ses premières victimes parmi ses desservants. En Dordogne, un agriculteur a tiré sur un inspecteur de la Mutualité sociale agricole (la MSA, la Sécurité sociale des agriculteurs) et sur une inspectrice du travail et les a mortellement atteints tous les deux. On a expliqué que l'homme avait des difficultés et qu'il était déprimé. Certes. Mais presque tous les agriculteurs ont des difficultés et ils ne tirent pas sur les représentants de la Mutualité sociale agricole. Or c'est cette dernière qui est la principale responsable du désastre de l'agriculture française. En raison des charges qu'elle impose aux agriculteurs, elle leur interdit d'être compétitifs face à des concurrents moins lourdement imposés.

D'autres facteurs évidemment interviennent aussi, notamment l'option productiviste de la politique agricole commune européenne, alors que la France aurait dû choisir de miser sur ses atouts naturels et de développer une production de qualité, ce qui nous aurait évité de perdre les trois quarts de nos paysans au cours des quarante dernières années et de voir grossir les rangs des chômeurs urbains. Mais même au vu de ce bilan catastrophique, les pouvoirs publics et les syndicats agricoles majoritaires continuent d'appliquer la même politique délétère, avec les résultats qu'on constate. Et surtout ils se refusent obstinément à appliquer les lois que la France a votées et qui suppriment le monopole de la Sécurité sociale. Si tel avait été le cas, les deux inspecteurs sociaux de Dordogne n'auraient pas été tués.

Avec autant d'inconscience que d'impudence, le directeur de la MSA de Dordogne a déclaré : " Des gens en difficulté, il y en a un certain nombre en Dordogne, mais cette exploitation semblait se rétablir. L'exploitant venait de payer des cotisations et sa situation n'était pas dramatique. " Quant à la présidente nationale de la MSA, Mme Jeannette Gros, elle ose prétendre " qu'en cette période de cueillette et de vendanges, outre sa mission de vérification de l'application de la réglementation sociale, le contrôleur de la MSA a vocation à aider les exploitants dans leur recherche de solutions pour l'accueil et l'emploi de leurs travailleurs saisonniers ".

Et ils osent, au gouvernement, appeler cela de la " solidarité " ?

Ces deux personnages ne se sont pas demandé si le fait d'avoir payé ses cotisations sociales n'avait pas précisément aggravé la situation financière de cet agriculteur, au point qu'il la juge assez désespérée pour en venir à commettre l'irréparable. Ni si les saisonniers employés sur cette exploitation étaient déjà assurés sociaux au titre d'un autre régime ou d'un contrat privé, auquel cas ils n'avaient pas à être immatriculés à la MSA en vertu de l'interdiction de la double cotisation, règle européenne bafouée systématiquement en France au mépris de nos engagements communautaires.

Disons-le clairement et fortement : les deux morts de Dordogne ont été en réalité tués par le gouvernement français. Imaginons ce qu'aurait dû être la situation. Cet agriculteur, comme tous les Français, aurait dû recevoir par les canaux habituels d'information la nouvelle que le monopole de la Sécurité sociale est abrogé et qu'il pouvait s'assurer librement dans le secteur concurrentiel, ce qui aurait fortement réduit le coût de sa protection sociale et amélioré sa situation financière. La MSA, forte de sa " vocation à aider les exploitants dans leur recherche de solutions pour l'accueil et l'emploi de leurs travailleurs saisonniers ", comme le dit sa présidente, aurait dû lui adresser une circulaire lui précisant qu'il n'avait pas d'obligations sociales envers ces derniers s'ils étaient déjà assurés. Croit-on que cet homme " très gentil ", considéré au village  "comme un brave type ", ainsi que le dit le maire de la commune, dont la propriété était voisine de la sienne et qui allait le voir quand il avait " besoin d'un coup de main et vice versa ", serait soudain devenu fou de rage à la seule vue des deux contrôleurs et leur aurait tiré dessus ?

Les deux morts de Dordogne marquent un tournant décisif dans la bataille du monopole de la Sécurité sociale. Un tel passage à l'acte est le signe indéniable de l'aggravation de la situation économique et sociale en France. Tous les jours des entreprises ferment ou se délocalisent et des centaines de travailleurs sont condamnés au chômage. Depuis 1994, date à laquelle auraient dû être appliquées les directives européennes qui suppriment le monopole de la Sécurité sociale, ce sont des centaines de milliers d'entreprises françaises qui sont allées au tapis et des millions de salariés au chômage. Et ils osent, au gouvernement, appeler cela de la " solidarité " ? C'est un véritable miracle qu'un évènement aussi grave que celui de Dordogne ne se soit pas produit plus tôt. Il faut y voir moins un effet de la sagesse et de la raison des Français que de leur abattement. Ce n'est pas pour rien que le vocabulaire officiel les qualifie d'" assujettis ". Mais voilà : quand les gens qu'on croyait soumis se révoltent, ils ne font généralement pas de quartier. C'est ce qui s'est passé en Dordogne et deux personnes, qui n'avaient que le tort d'obéir aux ordres reçus, sont mortes, laissant chacune un orphelin.

Il n'y a pas de mots assez sévères pour qualifier l'attitude du gouvernement et du président de la République. Pour préserver le système, ils ne cessent de différer l'annonce officielle de la fin du monopole de la Sécurité sociale. Les Français les plus indépendants ne les ont pas attendus et sont à présent nombreux à s'assurer librement. Mais que de mépris on peut éprouver à l'égard de personnages politiques qui n'ont même pas le courage d'assumer les lois qu'ils ont fait voter ! Sans doute, dans un dernier soupir, l'un d'eux finira-t-il par nous lancer ce mot si bien venu d'un dialoguiste célèbre : " Vous n'avez pas honte de vous attaquer à un lâche ? "

Claude Reichman

 

 

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