L’Italie, la France et
la Commission européenne
préfèrent esquiver les problèmes !
La Commission européenne a renoncé à adresser un blâme à Rome et
à Paris pour leurs budgets 2015 au motif que ces deux nations ont fait des
efforts. Mais ces dernières soutiennent que la mise en œuvre des réformes ne
doit pas se faire à n’importe quel prix.
L’Italie a cédé, la France de même et la Commission européenne aussi.
Jyrki Katainen qui, jusqu’à vendredi dernier, était le commissaire européen
aux affaires monétaires avant de devenir ce samedi le nouveau vice-président
de la Commission et responsable de la croissance et de l'emploi (1), ne
voit, de son côté, pas de « violations graves» des déficits budgétaires de
ces deux pays pour 2015. De ce fait, la prochaine réunion de la Commission
ne devrait pas émettre un vote négatif à leur encontre.
Rien ne laissait présager une telle issue la semaine dernière. Les deux
pays ont rechigné à se plier aux exigences de la Commission européenne en
matière de réduction de leur déficit budgétaire et n’ont fait que de maigres
concessions en fin de semaine. Ils ont renoncé à des réductions d'impôts et
à des réformes radicales.
La question de savoir si le pacte de stabilité doit s’appliquer en temps
de crise économique n’est pas encore réglée, mais seulement reportée. La
mésentente transpire dans les minutes internes et confidentielles du sommet
de l'UE à la fin de la semaine dernière. Indépendamment du principe de
l’examen préalable du budget des Etats par la Commission européenne, un
profond désaccord prévaut dans le cercle des dirigeants de l'UE sur cette
question. Comme l’a dit le président français François Hollande, il faut
éviter de donner l'impression qu'il existe de bons et de mauvais élèves
parmi les Etats membres : entre ceux qui se conforment aux règles de
stabilité et ceux qui y dérogent. (2)
Réformes oui, économies non !
En clair, le message que veut faire passer Hollande est que la politique
économique de l'UE doit être partagée et défendue par tous. (3) Mais qu’en
est-il vraiment ? Le sommet n’a pas approfondi la question, comme en
témoigne la position d’un Etat membre, plaidant pour un compromis entre la
fidélité aux règles du pacte de stabilité et la volonté de les interpréter
librement pour des raisons de politique intérieure. Hollande milite en
faveur de cette libre interprétation des règles, comme d’ailleurs le Premier
ministre italien Matteo Renzi. « Nous devons repenser la politique de
stabilité de l'UE en ce qu'elle est inappropriée à faire face à tous les
paramètres », a déclaré
Renzi. Le Premier ministre italien y voit une nécessité politique. Il a
insisté sur sa propre performance, comme sa réforme en cours du marché du
travail qui prévoit une moindre protection des salariés, mais souligné que
son projet de loi doit parcourir une «longue route» avant d’être débattu par
les deux chambres du Parlement. Voilà pourquoi il a dû faire face à des
«millions de manifestants,» y compris au sein de son propre parti. «
Des réformes sont nécessaires, des économies non»,
pour résumer la contribution de ces deux chefs de gouvernement.
Pas d'accord en vue pour une politique économique de l'UE
Le Premier ministre de la Finlande, Alexander Stubb, a pris le
contre-pied de Hollande et de Renzi en prônant une politique budgétaire
orthodoxe. « Il y a toujours un risque qu’une crise des marchés
financiers ressurgisse en Europe», a-t-il déclaré, et d’ajouter : «
Il y a des règles qui doivent être respectées afin d'éviter une répétition».
L’engagement de respecter les obligations inhérentes au pacte de stabilité
afin d’éviter une nouvelle crise financière est réclamé non seulement par
les partisans de l’orthodoxie budgétaire, mais aussi par les pays qui ont le
plus souffert de la crise, comme l’Irlande, le Portugal et la Grèce, qui ont
taillé à la hache dans leurs prestations sociales. C’est la condition pour
que les investisseurs soient convaincus que l'Europe est une zone stable.
Il n’y pas d'accord sur l'orientation de la politique économique
européenne. Certains veulent une mise en œuvre rapide des mesures annoncées
par le chef de la Commission, Jean-Claude Juncker, avec son paquet de 300
milliards d'euros de dépenses publiques. «Il est nécessaire de fournir
des ressources pour mettre en œuvre ce plan », a
déclaré Hollande. (4) De son côté, Stubb ne préconise pas la dépense
publique mais une réforme structurelle du marché intérieur en y instillant
plus de libre-échange pour doper la croissance en Europe. (5)
L’Italie et la France se congratulent !
La réponse de la France et de l'Italie à la Commission est ambivalente. «Ces
deux pays ne veulent pas déclencher une crise institutionnelle, » a
déclaré un haut fonctionnaire de l'UE, car un affrontement notable serait
perçu comme un camouflet pour ces deux États membres.
Le ministre des Finances de la France, Michel Sapin, a salué la décision
de la Commission qui a jugé ses économies suffisantes, et il a réitéré sa
demande que plus soit fait pour stimuler l'économie dans la zone euro.
Son homologue italien en a fait autant. Dans une lettre de deux pages
commençant par «Cher et bien-aimé vice-président Jyrki», Pier Carlo Padoan
n’a pas détaillé les mesures envisagées pour que l’Italie remplisse son
contrat, mais a souligné que le chemin reste très difficile. « Il est de
mon devoir de vous rappeler que l'Italie traverse la pire et la plus longue
récession de son histoire.» Pour que son pays et son économie sortent de
la misère, une quatrième année de récession serait à éviter «à tout prix».
(6)
Florian Eder
Notes du traducteur
(1) Le Finlandais Katainen devrait chapeauter le nouveau commissaire
français aux affaires monétaires. C’est le mariage de la carpe et du lapin
voulu par le président de la Commission européenne.
(2) Hollande ne veut pas que la France soit ostracisée par ses
partenaires européens mais il a tout fait pour qu’elle le soit, avec la
politique qu’il mène depuis son élection.
(3) Hollande plaide, une fois de plus, pour un consensus, en dépit de son
échec patent à établir celui-ci en France. Aucun président avant lui n’a
autant divisé les Français. Pourquoi en serait-il autrement sur la scène
européenne ? Les minutes internes et confidentielles du dernier sommet
européen attestent de l’échec de sa méthode. En dehors de son homologue
socialiste italien, il n’a plus aucun soutien en Europe.
(4) En dépit de sa déclaration surprenante en début d’année, où il se
déclarait en faveur de la politique de l’offre, laquelle suscita chez nos
incultes journalistes une béate admiration avec l’étiquette oxymore de «
social-libéral,» Hollande reste, comme tous ses anciens collègues de l’ENA,
Sapin en tête, un indécrottable keynésien.
(5) Stubb a raison de cautionner une plus grande libéralisation du marché
intérieur pour doper la croissance en Europe, à commencer par les services
publics italiens et français qui sont de vieux bastions du parti communiste.
(6) En refusant les réformes structurelles indispensables (flexibilité
totale du marché du travail et réduction de 20% des dépenses publiques),
l’Italie et la France se condamnent à faire prochainement faillite. C’est ce
qu’entrevoit David Einhorn, le président du hedge-fund Greenlight
Capital, qui a présenté sa stratégie lors d’une conférence de presse
donnée à la banque JP Morgan à New York, le 22 octobre. Pour ce grand requin
de la finance, la Grèce a fait le ménage et le pire est derrière elle. «Ce
pays vit à présent avec ses moyens », a-t-il déclaré. Il recommande
d’acheter les banques grecques Alpha et Piraeus. D’un autre côté, l’image de
la France est désastreuse auprès des investisseurs étrangers. Voici
l’extrait saillant de son analyse : « Bien que le
marché obligataire considère que la France est comme l’Allemagne, elle est
plus proche de la Grèce. La Grèce a avalé l’amère potion libérale,
restructuré ses obligations et son économie, et elle est en train de
récupérer après une expérience proche de la mort. La France apparaît trop
fière pour se réformer. Cependant, les problèmes de la France sont devant
elle, les bons du trésor français à dix ans offrent un rendement de 1,3%
alors que ceux de la Grèce sont de 9%. Si le marché réapprécie légèrement le
risque de la dette française, celle-ci va devenir très rapidement hors de
contrôle. Compte tenu de cette dynamique, nous pensons que vendre à
découvert la dette de la France est une bonne stratégie. » A bon
entendeur salut !
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