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31/10/08 Bernard Martoïa

L'élection présidentielle américaine n'est pas le grand oral de l'ENA

De retour d’une marche de six semaines le long du chemin des Appalaches (1160 km) qui m’a fait redécouvrir sept Etats de la côte Est (Maryland, Pennsylvanie, New Jersey, New York, Connecticut, Massachusetts et Vermont), j’avoue ressentir un désenchantement pour plusieurs raisons. C’est le jour de mon départ en avion aux Etats-Unis, le 10 septembre 2008, que Richard Fuld, le patron de Lehman Brothers, a annoncé la faillite de sa société qui était l’un des piliers de Wall Street.

Fallait-il ou non se porter à son secours ? En 1907, l’Amérique se trouva confrontée à une grave crise financière. Pour éviter un krach boursier à l’ouverture du marché à Wall Street, John Pierpont Morgan qui était le gourou de cette époque (il n’y avait pas encore de banque fédérale) dépêcha deux émissaires à Washington. Un train composé d’une seule voiture Pullman fut mis à la disposition de la délégation. L’ordre fut donné d’accorder la priorité à ce train sur tout le réseau ferroviaire ! Il fallait absolument que la délégation fût reçue à la Maison Blanche avant 9 heures du matin. Teddy Roosevelt était en train de prendre son petit déjeuner avec son épouse Edith lorsque les deux émissaires firent éruption dans sa salle à manger. (1) Ils expliquèrent au président qu’une banque d’affaires qu’ils ne voulurent point nommer était sur le point de faire faillite et que pour éviter un effet domino, la banque de Morgan était prête à racheter un gros paquet d’actions de son portefeuille, notamment des actions de l’aciériste Carnegie, qui auraient été inévitablement bradées en cas de faillite de ladite société. Ils précisèrent qu’ils s’engageaient à racheter à un prix convenable ce portefeuille d’actions et qu’ils n’avaient pas l’intention de dépasser un seuil de 70 % qui eût créé de facto une situation monopolistique contraire au Sherman antitrust Act de 1890.

- « Monsieur le président, auriez vous une objection à la réalisation de cette opération ? »
Teddy, qui n’était pas porté sur la finance, les avait néanmoins écoutés très attentivement. Il comprit qu’il fallait agir vite pour éviter un krach à l’ouverture du marché à New York mais il ne voulait pas non plus se trouver impliqué dans un montage financier que l’opposition pouvait lui reprocher plus tard. Son instinct de rancher de sa jeunesse passée dans les Badlands (une région aride du Dakota du Nord), où il perdit 85 % de son cheptel lors d’un hiver particulièrement rigoureux (2), l’incita à donner son aval sans consulter son secrétaire du Trésor qui était mieux à même que lui d’évaluer la solidité du plan de sauvetage proposé par Morgan. Les deux émissaires envoyèrent un télégramme à New York et la confiance revint dès son annonce à l’ouverture du marché.

Un siècle plus tard, George Bush a été confronté au même dilemme que Théodore Roosevelt mais sa méfiance instinctive ou quasi maladive l’a conduit à refuser un plan de sauvetage de Lehman Brothers alors qu’il avait la possibilité de consulter tous ses conseillers avant de prendre une décision. Teddy eut le courage de prendre seul, en quelques minutes, une décision qui s’avéra la bonne pour le marché qu’il abhorrait. Lisez ses récriminations contre les grands patrons et l'argent facile dans les ouvrages que je lui ai consacrés. Après la faillite de Lehman Brothers, le marché a paniqué. George Bush s’est porté finalement au secours de l’assureur AIG (American International Group) en lui prêtant 85 milliards de dollars. Pourquoi sauver l’un et pas l’autre ? De toute manière, il était trop tard pour éteindre le feu.

C’est dans une grande épreuve qu’un président se montre ou non à la hauteur de la situation. Le 11 septembre 2001, George Bush était dans une école de Floride lorsqu’un conseiller lui passa en douce le billet annonçant la catastrophe des deux tours du World Trade Center à New York. L’attaque contre le Pentagone ne devait survenir qu’une demi-heure plus tard. Une caméra était malheureusement présente ce jour là. Le président lut le message et resta immobile pendant cinq bonnes minutes. Terrible aveu de tergiversation d’un homme qui n’était pas à la hauteur ! Son visage trahissait son désarroi. Il attendit patiemment que la maîtresse ait fini son exposé. Tel un enfant étouffé par une mère possessive (Barbara), il fut content qu’un autre conseiller lui demande de quitter la classe sur-le-champ. Dick Cheney, lui, sut faire face aux événements. Alors que le président pensait rejoindre la capitale, le vice-président fit dérouter le vol de Air Force One en direction du Centcom dans les Rocheuses. Le centre de commandement stratégique est un abri atomique qui a été construit pendant la guerre froide.

La présidence des États-Unis requiert plus que toute autre un personnage à la hauteur des événements. La couverture du magazine Time du 27 octobre 2008 affiche la photo de deux présidents (Abraham Lincoln et Franklin Delano Roosevelt) et celles des deux prétendants à la Maison Blanche (Barack Obama et John McCain) avec la question suivante : « Does temperament matter ? » (Est-ce que le tempérament importe ?) Dans cette terne et acrimonieuse campagne qui s’achève, le magazine pose la bonne question. Personne ne conteste l’intelligence du candidat démocrate mais le diplômé de la prestigieuse université de Harvard a montré qu’il n’aimait pas être mis sous pression. Il a toujours refusé de répondre directement aux attaques dont il a été l’objet de la part de la tenace Hillary Clinton pendant les primaires, et ensuite à celles en provenance du camp républicain lorsqu’il a gagné l’investiture de son parti à la convention de Denver. Il ne veut pas se départir de son flegme bon chic bon genre qui plait tant aux bobos français et aux libéraux américains. Ses réponses sont toujours calibrées mais elles manquent parfois cruellement de substance…

Dans l’histoire des Etats-Unis un seul président a obtenu un doctorat. Il s’agit du vingt-huitième président. Thomas Woodrow Wilson (1856-1924) était professeur de relations internationales à l’université de Princeton avant d’en devenir son président. Il était en 1914 à la Maison Blanche lorsque la Première Guerre mondiale éclata dans les Balkans. Il gagna son second mandat en 1916 en promettant aux Américains que leur pays demeurerait neutre. Vous connaissez la suite. C’est ce même type de personnage enclin à la procrastination que l’Amérique s’apprête à élire. La présidence des Etats-Unis n’est pas le grand oral de l’ENA ; une erreur qui pourrait s’avérer fatale pour la défense de l’Occident.

Bernard Martoïa

(1) Théodore Roosevelt, tome trois : La présidence impériale.
Cet ouvrage a été publié, le 11 juillet 2008, par Le Manuscrit qui n’a malheureusement pas offert la couverture du livre sur les sites Internet où ce livre est en vente.

(2) Théodore Roosevelt, tome un : L’ascension d’un homme courageux ?
Cet ouvrage a été publié le 23 février 2007.

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