Sortir de la zone euro ? Pour la Grèce, c’est
le chaos assuré ! Les
événements extraordinaires de la semaine passée en Europe ont comporté la
levée d'un tabou qui pourrait avoir de profondes conséquences pour le
continent : le débat public ouvert par les dirigeants européens sur une
éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro.
Les chances que la Grèce quitte la zone euro ont diminué avec la mise à
l’écart d'un référendum, mais la discussion ouverte sur cette hypothèse a
violé la règle la plus importante régissant ce type de décision : « Si
vous êtes décidé à le faire, il ne faut pas l'annoncer au préalable. » (1)
Envoyer le message que la sortie de la Grèce est envisageable crée une
crise de confiance avec des conséquences potentiellement désastreuses. "La
perspective de sortie de la Grèce de la zone euro est rarement considérée
avec le degré approprié de peur et d'appréhension», affirme Willem
Buiter, économiste en chef chez Citigroup. Il pense que la sortie de la
Grèce entraînera un effondrement financier et une récession encore plus
profonde ou même une dépression avec des dommages collatéraux importants
pour le reste de la zone euro.
Comme l’a écrit Barry Eichengreen de l'Université de Berkeley dans un
rapport de 2007, "c’est un problème majeur qu’un
pays signale qu'il se prépare à un changement de devise "
: il va provoquer un « bank run », avec les gens se précipitant pour
retirer leur argent des banques et le placer à l’étranger. (2)
Le statut des dépôts dans les banques grecques est un indicateur clé de
la façon dont les Grecs entrevoient la perspective d'une sortie de la zone
euro. Les banques grecques ont déjà enregistré une lente mais significative
baisse des dépôts. Les chiffres de la Banque de Grèce montrent que les
dépôts des ménages dans les banques ont chuté d'un cinquième : de 196,9
milliards d’euros à la fin de 2009 à 157,1 milliards en août dernier, le
dernier mois pour lequel des données sont disponibles. Si elle devait se
produire, la sortie de l'euro se ferait dans le chaos contrairement à la
sortie de la drachme en 2002.
La sortie de l’euro est une hypothèse invalidée par un argument juridique
imparable : l'absence dans les traités européens d’une disposition prévoyant
une sortie de la monnaie commune. Et en plus une sortie serait probablement
associée à des contrôles de capitaux, qui sont illégaux au regard du droit
européen. Pour envisager une sortie de la Grèce, il faudrait aussi envisager
son retrait temporaire de l'Union européenne.
Les historiens peuvent cependant citer des exemples de ruptures d’union
monétaire, y compris celle des États-Unis au début de la guerre civile en
1861. L’économiste Stéphane Déo d’UBS Investment Research dit que le
meilleur parallèle est l'éclatement de l'Union monétaire austro-hongroise en
1919.
La méthode de séparation fut la remise en circulation de billets
préexistants à l’union monétaire, mais les différentes parties de l'Empire
imposèrent également des emprunts forcés aux contribuables, des contrôles de
capitaux et des interdictions de circuler à l’étranger pour empêcher les
gens de partir avec leurs valises bourrées d'argent de le placer dans des
pays perçus comme sérieux par les déposants.
En théorie, ce modèle pourrait être appliqué à la zone euro, avec un
contrôle des capitaux et un freinage de la circulation des personnes à
l’étranger. « L’euro pourrait être retiré de la circulation et converti
en monnaie nationale. Les comptes en banque pourraient être gelés avant
d’être réutilisables à un taux de change arbitraire», ont écrit des
économistes de la banque U.B.S. (Union Bank of Switzerland) dans un
document de septembre dernier. Toutefois, ils appellent à la prudence : «Toute
prévision de retirer l’euro de la circulation conduirait à une ruée sur les
banques dans les pays perçus comme vulnérables et à une thésaurisation des
euros dans l'espoir de les placer, un jour, dans un pays jugé sûr."
M. Eichengreen a fait remarquer que les ruptures d'unions monétaires dans
le passé ont été assez faciles. « Les gouvernements pouvaient fermer
leurs frontières aussi longtemps que possible afin d’éradiquer la monnaie
ancienne et de la convertir en monnaie nouvelle », dit-il. "Les
banques n'avaient pas de gestion informatisée des comptes. L'Europe est
aujourd'hui un endroit plus compliqué."
Un problème majeur pour la sortie de l'euro est celui de la dette. La
commutation des monnaies exigerait des modifications législatives nationales
pour permettre le versement des salaires et des revenus dans la nouvelle
monnaie. Les contrats domestiques concernant les prêts hypothécaires et les
factures des cartes de crédit devraient également être libellés dans la
nouvelle monnaie afin d'éviter la faillite immédiate de la plupart des
ménages, qui verraient leurs dettes inchangées mais leurs revenus rétrécis
drastiquement par le retour à la drachme.
Les emprunteurs, y compris les banques privées qui ont contracté une
dette hors de la Grèce, ne seraient pas en mesure de les libeller dans la
nouvelle monnaie nationale et de nombreux établissements feraient défaut.
Les contentieux exploseraient.
Le gouvernement serait également confronté à une aggravation de la dette.
Il lui serait impossible d'emprunter sur les marchés financiers, et
probablement auprès de ses anciens partenaires de la zone euro. Il serait
contraint de réduire son déficit budgétaire à zéro. Pour ce faire, il
devrait probablement suspendre le paiement des intérêts versés aux
créanciers.
Son fardeau de dette publique exploserait en raison de la contraction de
son P.I.B. L'économie se contracterait brutalement avec la dépréciation de
la nouvelle monnaie nationale contre l'euro, mais la plupart de ses
obligations seraient toujours libellées en euros.
Dans le cas de la Grèce, la plupart des obligations du gouvernement sont
émises en vertu de la loi grecque, et les obligations pourraient être
libellées dans la nouvelle drachme. La restructuration de la dette grecque
par les dirigeants européens a permis de réduire de moitié sa dette privée,
mais le changement de juridiction régissant les obligations en droit anglais
rend impossible cette redénomination. (C'est la raison pour laquelle les
créanciers bancaires ont insisté pour ce changement de juridiction en
passant du droit grec au droit anglais.) Ainsi les emprunts contractés
auprès des gouvernements de la zone euro resteraient en euros.
Comme si cela ne suffisait pas, de nombreux économistes affirment
également que les avantages économiques d'une forte dépréciation de la
monnaie pourraient être limités. Le coût du travail et d'autres coûts
tomberaient, mais une amélioration de la compétitivité grecque « serait
de courte durée en l'absence de réformes structurelles du code du travail,
de l’ouverture des marchés et du secteur public», affirme M. Buiter. En
d'autres termes, les avantages seraient rapidement évaporés par l'inflation
salariale. (3)
En conclusion, si l'entrée de la Grèce dans la zone euro a été une erreur
aux conséquences tragiques, sa sortie n’effacerait pas cette erreur. Au
contraire, elle aggraverait la tragédie de ce pays à part.
Stephen Fidler
Notes du traducteur :
(1) Tout porte à croire que la menace brandie par Berlin d’une sortie de la
Grèce de la zone euro ne soit qu’une pression sur le nouveau gouvernement
grec afin de lui faire accepter l’énième plan de sauvetage adopté le 27
octobre dernier. Sauf que l’Allemagne est en train de réaliser qu’elle
risque de couler avec les cigales et que sa seule planche de salut est de
sortir de la zone euro en refondant une zone mark avec des pays vraiment
sérieux et triés sur le volet.
(2) Avec un fonds de garantie des dépôts qui n’a que 1,8 million d’euros en
cash immédiatement disponible (source Valentin Petkcanchin), 18 ménages
français pourront recevoir la garantie de dépôt de 100 000 € prévue par la
loi si n’importe quel établissement bancaire français fait faillite demain.
Cela fait très peu d’heureux bénéficiaires pour une garantie universelle
pourtant prévue par la loi.
(3) Une autre leçon d’économie aux candidats à l’élection présidentielle
prônant la sortie de l’euro.
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