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30/1/21 | Claude Reichman |
Le fil d’Ariane, ou comment sortir de la crise !
« Si ça continue, on finira par s’habiller d’un sac de patates. » Telle était la phrase qu’on entendait partout dans le pays, alors que le gouvernement avait réduit le peuple à la misère pour lutter contre le virus. Une jeune chef d’entreprise eut, par bravade, l’idée de se vêtir d’un tel sac de jute, qu’elle avait habilement découpé pour lui donner forme. Mais ce qu’elle y ajouta fit toute la différence. Un large ruban rose lui enserra la taille, qu’elle avait très fine. Ce ne fut qu’un cri dans tout le pays : « Je veux la même », car nulle femme ne doutait qu’il s’agît d’une robe. Ah ! le beau, le grand, le magnifique pays que le nôtre, où d’un seul mouvement des millions de femmes peuvent suivre la mode. Et comme tout bonheur doit se nommer, on eut tôt fait de baptiser ce nouveau vêtement du joli nom de « sac d’Ariane », en hommage au prénom de sa créatrice. Le quart d’heure warholien d’Ariane dura bien plus que de coutume. Et pour tout dire, il dure encore, comme on le verra plus loin. Fêtée, encensée, la créatrice du sac se montra aussi modeste que charmante. « Ce n’est qu’un simple ruban », répondait-elle à celles et ceux qui la félicitaient de son idée géniale. Et elle mit beaucoup de soin à ne pas changer ses habitudes. Sa boutique, où elle vendait au kilomètre le célèbre ruban rose, ne désemplissait pas, mais elle mettait un point d’honneur à accueillir elle-même les clientes, parce que, disait-elle, « j’aime bien les gens ». Mais c’est dans l’exercice de l’interview qu’elle se surpassa. Bien
qu’elle n’en eût aucune expérience, elle tenait en haleine un pays tout
entier, qui n’en finissait pas de se régaler de ses sourires joyeux, de
ses mots tout droit sortis du langage des enfants, de ses idées
audacieuses que nul n’avait jamais entendu aux étranges lucarnes, comme
celui-ci : « Un pays où chacun n’a pas le droit d’être heureux ne mérite
que de disparaître ! » Il se passa alors quelque chose d’étrange : on laissa passer la date
de l’élection présidentielle, dont plus personne ne se souciait.
Toujours président, mais sans droit de l’être, l’ancien élu ne cessait
de larmoyer « mais alors qu’est-ce-que je fais ? », non sans que
quelques dizaines de millions d’humoristes ne lui rétorquassent « eh
bien tu la fermes ! ». Un jour Ariane fit une confidence qui scella définitivement son alliance avec le peuple. Elle raconta que son père lui avait un jour demandé : « Sais-tu pourquoi nous t’avons appelée Ariane ? » « A cause de Thésée », répondit-elle, toute fière de resservir une charmante remarque de son professeur de grec au lycée. « Non, ma chérie, lui dit son père, c’est à cause du minotaure. C’est un de ces monstres que l’humanité a souvent connus. La seule façon de les vaincre, c’est le courage que l’amour donne aux femmes. » « Tu as raison, papa », dit Ariane, sans bien comprendre l’idée de son père. Et elle ajouta : « Aujourd’hui, j’ai enfin compris. C’est parce que j’aime les Français qu’on m’a chargée de les guider. » Un vieux commentateur de la télévision murmura d’une voix émue : « Et c’est bien la première fois depuis longtemps que le peuple ne s’est pas trompé. » Claude Reichman
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