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24/4/16 | Charles Gave |
Assez de lois, le droit suffit !
J’ai eu le plaisir d’être invité récemment à parler devant une association de jeunes juristes libéraux qui ont eu l’air d’être un peu surpris quand je leur ai rappelé que le libéralisme n’était pas une doctrine économique mais juridique. A la fin du XVIIème en effet, et pendant tout le XVIIIème et le XIXème, toute une série de penseurs en France, en Angleterre, en Ecosse, en Amérique du Nord se sont essayés à « penser » le droit pour limiter le pouvoir des souverains ou des puissants dans ce qu’il avait d’arbitraire. En 1689, à l’occasion de la Glorieuse Révolution en Grande-Bretagne, il fut ainsi décidé que le roi n’aurait plus le droit de lever des impôts si ceux-ci n’étaient pas entérinés par le parlement britannique. Montesquieu suivit en préconisant la séparation des pouvoirs, autre façon de limiter l’arbitraire de l’Etat, en reconnaissant que la justice devait être indépendante et du législatif et de l’exécutif. Tant et si bien qu’un système juridique se développa, empêchant les gros de mettre en esclavage les maigres, les maigres de massacrer les gros lors de leurs inévitables jacqueries, et l’Etat et son personnel de piller tout le monde en abusant du monopole de la violence légale dont ils disposent. Et à la stupéfaction générale, une fois que ce nouvel ordre juridique fut établi, quelques dizaines d’années après commença quelque chose auquel personne, mais vraiment personne ne s’attendait : la croissance économique fit irruption avec l’arrivée de la première révolution industrielle, qui surprise, surprise, se produisit d’abord dans le pays qui avait été le plus loin dans la direction de l’égalité de chacun devant le droit. Et donc le libéralisme est une théorie juridique qui au départ n’avait pas grand-chose à voir avec l’économie et tout à voir avec le droit. C’est tellement vrai que lorsque l’enseignement de l’économie en tant que branche de la logique prit forme, il fut dispensé dans les facultés de droit et non pas dans les facultés de lettres ou dans des écoles soi-disant scientifiques ou spécialisées. De très grands esprits ont signalé cette filiation entre la liberté individuelle fondée sur le droit de propriété et la croissance économique, et ici je peux citer Bastiat bien sûr, mais aussi toute l’école autrichienne en pensant en particulier à Hayek ou Von Mises. Plus récemment un homme tout a fait remarquable, Hernando de Soto a écrit un livre admirable « Le mystère du capital, ou pourquoi le capitalisme triomphe-t-il en Occident et échoue-t-il partout ailleurs », dans lequel il explique que derrière l’émergence de la croissance en Occident il y a la reconnaissance du droit de propriété et donc l’indépendance de la justice vis-à-vis des puissants. Que cet homme n’ait pas eu le prix Nobel d’économie est un vrai scandale. Et ici, je veux revenir sur mon expérience personnelle. Lorsque j’étais jeune et qu’un politicien ou un autre s’essayait à prétendre qu’il était temps, grand temps d’abandonner ces billevesées, il se dressait toujours un juriste éminent, en général professeur agrégé de droit à Toulouse, Aix, Bordeaux, Paris ou Montpellier, pour rappeler que ce principe était intangible et que d’ailleurs, il était inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme. Je me souviens de Marty à Toulouse, de Vedel à Bordeaux et bien sûr de Raymond Aron (qui n’était pas juriste cependant) faisant reculer les politiques tout simplement en invoquant le droit tant leur prestige était immense. En Grande- Bretagne, les juges et les « Lords Justice of appeal » se mobilisent à chaque fois que cela est nécessaire pour rappeler et défendre les principes essentiels de ce qu’il est convenu d’appeler la « Common Law », c’est-à-dire l’ensemble jurisprudentiel qui définit le droit britannique. Aux USA, cette défense est de la responsabilité de chaque juge, mais in fine c’est la Cour suprême qui a la responsabilité de dire si telle ou telle mesure prise par le législatif ou l’exécutif sont conformes ou non au droit. Ce qui veut dire en termes simples que chacun comprend que le droit est supérieur et antérieur à la loi et qu’avoir une majorité politique n’autorise pas à faire n’importe quoi. Tant il est vrai que le droit libère alors que la loi peut asservir. Le droit est éternel, la loi temporaire. Et je ne peux pas m’empêcher d’être inquiet aujourd’hui tant il me semble que le droit est en recul partout devant les assauts de la loi. Depuis 1981 en tout cas et la phrase célèbre et abominable du minuscule Laignel à l’assemblée nationale, « Vous avez juridiquement tort puisque vous êtes politiquement minoritaires », il existe un mouvement profond pour renverser cette prééminence du droit sur la loi et cette tendance va en s’accélérant sans cesse. Prenons l’exemple de la France pour commencer. Quand j’étais jeune, le prestige d’un agrégé de droit enseignant dans l’une ou l’autre des grandes universités françaises était à des années lumières au-dessus de celui d’un haut fonctionnaire, fût-il sorti parmi les premiers de l’ENA ou d’une autre grande école. La réforme de l’université mise en place par Edgar Faure a transformé ce qui était autrefois des seigneurs en vagues instituteurs et leur prestige s’est effondré. Je n’ai pas entendu un seul professeur de droit s’élever contre l’état d’urgence, ou alors cela n’a pas été repris par la grande presse. Ce rôle fut assumé par le bâtonnier des avocats de Paris, ce qui était bien mais hélas insuffisant pour empêcher cette forfaiture. Quant aux avocats, ils plaident de moins en moins en fonction de principes juridiques quasiment éternels et sont obligés de faire référence à des textes qui viennent d’être votés par le pouvoir législatif, et dont le nombre est tel qu’ils sont forcés de passer les trois quarts de leur temps à se tenir au courant des nouvelles lois ou règlements, ce qui empêche bien sûr toute référence au droit. L’archétype de ces dérives se retrouve dans le code du travail, qui fait plus de trois mille pages, auxquelles s’ajoutent chaque semaine en moyenne une dizaine de pages de plus. J’aimerais rappeler ici qu’il n’y a pas de code du travail en Suisse ou à Hong-Kong, que le droit des contrats s’y applique et que c’est à chaque juge de décider de la solution au cas par cas en fonction du droit existant. Peut- être cela n’a-t-il aucun rapport, mais il n’y a pour ainsi dire aucun chômage ni en Suisse ni à Hong-Kong. Comme me le disait un de mes amis, homme d’affaires américain : « La France est un pays merveilleux. Deux adultes consentants peuvent tout faire l’un avec l’autre, sauf bien sûr travailler l’un pour l’autre. » Mais ce n’est pas tout. Comme chacun peut le voir, la prééminence de la loi favorise l’Etat, et donc défavorise l’individu. Je constate avec une grande amertume que, de plus en plus, le personnel de l’Etat poursuit des individus en s’appuyant soi-disant sur des lois, tout en sachant pertinemment qu’ils ont tort. Je m’explique. Le code fiscal par exemple est tellement compliqué qu’il laisse la possibilité à des agents de l’administration de poursuivre des contribuables alors même que ces agents savent qu’en cas de jugement ils seront déboutés. Mais ces personnes savent aussi que pour se défendre, le contribuable devra engager des dépenses fort importantes et y consacrer une partie exagérée de son temps alors qu’il a sans doute mieux à faire ailleurs. Et donc l’administration fiscale proposera une « transaction » au contribuable, en lui expliquant mezzo voce que cela lui coûtera moins cher de payer que de s’engager dans une procédure longue et coûteuse. On reconnaît la technique de la Mafia qui propose au commerçant de « protéger » son magasin contre une légère contribution, faute de quoi il risquerait de brûler. On m’a signalé aussi l’existence de véritables vendettas personnelles menées par des agents publics contre tel ou tel sans que jamais la hiérarchie n’intervienne… Mais que fait la justice, me dira le lecteur, dont après tout le rôle est de dire le droit en fonction des lois et règlements en vigueur ? La réponse est toute simple : le pouvoir politique ne fournit aucune ressource financière supplémentaire à la justice pour tenir compte de cette inflation législative et réglementaire, ce qui fait que chaque affaire attend des années avant d’être jugée. Voilà qui renforce de façon extraordinaire le pouvoir de l’administration et des gens bien en cour dont les dossiers seront les premiers ou les derniers traités, selon ce qu’ils choisissent. Et ce n’est pas un syndrome simplement français. Passons aux USA. Le premier amendement de la Constitution américaine prévoit que « le Congrès des USA ne fera pas de lois pour empêcher la liberté d’expression », ce qui est fort clair. Or cette loi commence à être tournée en se servant d’une autre loi, celle sur la diffamation. Un esprit libre que j’aime bien, Mark Steyn, a écrit il y a quelques années un article expliquant que l’un des papes de l’écologie locale aux USA était un faussaire et qu’il avait maquillé ses travaux soi-disant scientifiques pour prouver ce qu’il avançait, ce qui était vrai et tout le monde le sait. Cet homme le poursuit pour diffamation et il est soutenu par toutes les grandes organisations écologiques qui payent la note. De l’autre côté, un homme seul qui en est déjà à plusieurs millions de dollars de frais pour se défendre. Où est la liberté d’expression dans cette affaire ? Et faut-il être richissime pour dire ce que l’on pense ? Que faire ? Je ne sais pas trop tant le coup est bien monté. Mais à mon avis, on pourrait commencer par doubler le nombre des juges en embauchant des avocats ayant prêté serment, en prenant par exemple les crédits sur le ministère de la culture, et faire passer une loi exigeant que toute mesure entraînant une augmentation des dépenses de l’Etat ou une nouvelle réglementation du système productif devra être soumise à referendum (comme en Suisse). Peut-être pourrait-t-on aussi envisager de ne voter aux législatives que pour des candidats qui s’engageraient à passer tout leur temps à abroger des lois anciennes et qui ne servent à rien dans le meilleur des cas, au lieu d’en voter de nouvelles. Peut être faudrait-il privatiser tout ou partie des conflits, surtout s’il y a d’un côté la puissance publique et de l’autre des citoyens. Peut être faudrait il que les juges soient élus. Peut-être faudrait-il donner aux citoyens la possibilité de porter plainte nommément contre un agent de la puissance publique pour « harcèlement ». Voilà qui ne coûterait pas grand-chose. On peut toujours rêver ….. Charles Gave
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