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	  Les assurés-vie sont en 
	train de bouffer leur capital                       
	et personne ne le leur dit ! 
	 
	Quand j’étais enfant, l’histoire du 
	polytechnicien qui arrachait les pattes d’une puce une à une et qui donnait 
	l’ordre à la pauvre bête de sauter me faisait toujours rire. La puce sautait 
	à chaque fois, sauf quand elle n’avait plus de pattes, et la conclusion 
	imparable était qu’une fois toutes les pattes arrachées, la puce devenait 
	sourde. 
	 
	Nous en sommes là, en Europe en particulier. 
	 
	Nous avons arraché toutes les pattes du système des prix au travers de 
	manipulations grotesques et technocratiques des taux de change et des taux 
	d’intérêts, la puce (le système des prix) n’a plus de pattes et les 
	banquiers centraux considèrent que pour qu’elle saute, il faudrait lui 
	mettre un ressort en dessous, avec des taux d’intérêts négatifs, ce qui est 
	totalement idiot, même si c’est ce que leur suggèrent leurs modèles 
	mathématiques dont chacun a pu constater les résultats époustouflants depuis 
	une quinzaine d’années. 
	 
	Car l’économie est une branche de la logique et non pas des mathématiques. 
	Essayons donc de raisonner calmement sur cette idée complètement saugrenue 
	de taux négatifs ou nuls. 
	 
	Des taux négatifs impliquent que le futur est certain et que le passé est 
	incertain, ce qui est d’une imbécillité foudroyante. Personne ne peut rien 
	changer au passé : comme le disait les Grecs anciens : «Sur le passé, les 
	Dieux eux-mêmes n’ont pas d’empire ». Et quant à dire que le futur est 
	certain, on a vu les résultats de cette belle idée avec le socialisme 
	scientifique. Les taux négatifs ne sont qu’un nouvel avatar de l’idée 
	marxiste que le futur est connaissable. 
	 
	En réalité, les taux d‘intérêts permettent l’introduction du temps et donc 
	de l’incertitude dans le calcul économique. Car le futur est porteur 
	d’incertitudes. Les taux d’intérêts sont censés nous protéger contre cette 
	inconnue. Des secteurs entiers de l’économie ont été bâtis pour essayer de 
	gérer cette incertitude, ce qui permet à l’économie de fonctionner tant bien 
	que mal. 
	 
	Essayons de comprendre comment des taux négatifs vont influencer les 
	secteurs de l’économie dont l’existence ne se justifie que par cette 
	incertitude liée au temps. 
	 
	Commençons par le secteur bancaire. 
	 
	Les banques reçoivent des dépôts dont je supposerai, pour la commodité de la 
	démonstration, qu’ils peuvent, en théorie, être retirés à tout moment. Dans 
	la pratique, sauf en cas de panique bancaire, ces dépôts sont assez stables. 
	Le rôle des banques est de prêter cet argent «potentiellement instable» de 
	façon «stable» en prenant un risque de «duration» (prêter de l’argent à cinq 
	ans avec des dépôts au jour le jour), auquel s’ajoute bien sûr un risque de 
	signature. 
	 
	Ce double risque est couvert par le fait que l’argent à cinq ans sera plus 
	cher que l’argent au jour le jour et qu’un débiteur risqué payera plus qu’un 
	débiteur qui ne présente aucun risque. Une grande partie de ce double risque 
	est couverte par le fait que l’argent emprunté par la banque (les dépôts) 
	sera bien meilleur marché que l’argent qu’elle va prêter, ce qui couvre, au 
	moins en partie, le risque que certains débiteurs ne payent pas. 
	 
	Si les taux à cinq ans sont très supérieurs au taux à trois mois pour les 
	obligations d’Etat, une forte partie de la rentabilité de la banque viendra 
	de l’arbitrage entre le 3 mois et le cinq ans, et cette rentabilité 
	permettra à cette même banque d’amortir tout ou partie des pertes qu’elle ne 
	manquera pas de connaître sur la partie des prêts qu’elle aura consentis au 
	secteur privé. Une courbe des taux pentue, comme chacun le sait, favorise 
	les activités de prêts des banques. 
	 
	Si par contre les taux à cinq ans pour l’emprunteur sans risque (l’Etat 
	local) sont négatifs, la seule solution pour la banque sera de monter 
	massivement les taux d’intérêts sur les emprunteurs à risque puisque la 
	possibilité de subventionner les taux des prêts en jouant la différence 
	entre le 3 mois et le 5 ans sur les prêts sans risque a disparu. Des taux 
	négatifs pour les obligations d’Etat déclenchent donc une hausse des taux 
	réels pour les emprunteurs du secteur privé, et amènent automatiquement à un 
	ralentissement économique. Des taux négatifs brisent en fait la capacité des 
	banques à effectuer leur travail d’intermédiation «temporelle» entre les 
	déposants et les emprunteurs et ne peuvent qu’amener à une baisse des prêts 
	et donc de la rentabilité de la banque, et de là, à un ralentissement 
	durable de l’économie. 
	 
	Le seul gagnant est l’Etat qui, lui, emprunte à un taux négatif, ce qui veut 
	dire que l’épargnant au lieu de financer le secteur privé local subventionne 
	la hausse des dépenses gouvernementales dont chacun sait depuis Keynes 
	qu’elles sont porteuses de croissance, comme l’exemple de l’URSS l’a 
	amplement démontré. 
	 
	Venons-en maintenant à l’épargne longue telle qu’elle est déployée par les 
	compagnies d’assurance ou les caisses de retraites. 
	 
	Contrairement aux banques, dont une grosse partie de la rentabilité provient 
	du levier qu’elles prennent (elles « empruntent » des dépôts qu’elles 
	prêtent avec une forte marge), quand on parle des assurances ou des fonds de 
	pension, on parle de gens qui dans l’ensemble investissent leurs fonds 
	propres ou ceux de leurs clients soit pour indemniser les assurés en cas de 
	catastrophe, soit pour verser des retraites. 
	 
	Dans ce cas de figure, les intervenants ne pratiquent en général que peu 
	d’effet de levier et investissent donc ce qui correspond à des fonds 
	propres. Les « risques » pris sont en général à duration très longue. Si la 
	banque centrale manipule les taux longs pour les amener à un niveau 
	anormalement bas, le modèle économique de tout ce secteur se brise et la 
	faillite de nombreux intervenants est à craindre. 
	 
	Prenons l’exemple de l’assurance vie en France, investie massivement en 
	obligations de l’Etat français. 
	 
	Les taux sur le 10 ans sont à 0,6 %, ce qui ne couvre pas les frais de 
	gestion des contrats. 
	 
	Et pourtant les assurés vont recevoir 2 % cette année. 
	 
	Comment est-ce possible ? 
	 
	C’est tout simple. 
	 
	Les obligations achetées il y a deux ou trois ans à 100 sont à 104 ou 105, 
	et donc les assurés reçoivent leurs 2 %. 
	 
	Mais il faut bien se rendre compte qu’il ne s’agit pas de rentabilité du 
	capital, mais d’un remboursement du capital. Quand le stock d’obligations 
	anciennes sera épuisé, les contrats d’assurance vie « rapporteront » une 
	perte de 1 % au minimum chaque année. En fait, les assurés-vie sont en train 
	de bouffer leur capital et personne ne le leur dit… 
	 
	C’est exactement ce qui s’est passé au Japon ou deux assurances vie viennent 
	de fermer. Et c’est tout à fait normal. L’épargne longue ne peut pas être 
	rémunérée moins que l’épargne courte sans que le système économique 
	n’implose. L’idée centrale du keynésianisme, au pouvoir dans toutes les 
	banques centrales des pays développés, est qu’il faut procéder à 
	l’euthanasie du rentier, puisque tous nos malheurs viennent de l’excès 
	d’épargne dans le système. Forts de cette brillante idée, après avoir 
	monopolisé l’épargne au profit des Etats, qui ne connaissent aucun problème 
	quand il s’agit de dépenser à tort ou à travers, nos gouvernements veulent 
	maintenant la détruire pour que les Etats n’aient pas à rembourser. 
	 
	Voila qui me paraît inquiétant. 
	 
	Dans les marchés financiers sont traités deux sortes de contrats juridiques 
	:  
	 
	- Des parts de propriétés, sur les actions ; 
	 
	- Des reconnaissances de dettes, sur les obligations. 
	 
	Le moins dangereux des deux, aussi paradoxal que cela paraisse, c’est bien 
	entendu des parts de propriété dans des entreprises cotées dans des 
	circonscriptions où le droit de propriété est encore reconnu. Les 
	reconnaissances de dettes m’inquiètent, surtout en Europe et encore plus 
	dans la zone euro. 
	 
	Mais, je ne suis pas sourd. 
	 
	Charles Gave 
	 
	
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