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27/2/13 Charles Gave
                  L’or, ou le canari dans la mine !

Ceci n’est pas une recommandation de vente. J’essaye simplement d’expliquer les facteurs qui pourraient m’amener à devenir très pessimiste, en partant du principe qu’un homme averti en vaut deux.

La plupart des gens se souviennent des mineurs de charbon qui gardaient au fond de la mine, dans une cage posée à même le sol, un petit oiseau, souvent un canari. Si la pauvre bête venait à mourir subitement cela voulait dire que du méthane était en train de se répandre et qu’un coup de grisou était probable. La mine était alors évacuée précipitamment. Comme les lecteurs le savent, je n’ai jamais été un grand partisan de l’or en tant qu’investissement, pour toute une série de raisons que j’ai longuement expliquées dans plusieurs articles par le passé. Par contre, j’ai toujours fait très attention aux variations des cours de l’or, qui peuvent donner des indications précieuses sur les mouvements de ce qu’il est convenu d’appeler la « liquidité ».

Pour essayer de faire comprendre ce qu’est la liquidité, je vais utiliser une vieille plaisanterie boursière. En bourse, me dirent des « anciens » dès mon arrivée dans ce métier, « l’essentiel est de savoir s’il y a plus d’argent que de titres ou de titres que d’argent ».Ce que ces chers anciens exprimaient au travers d’une formule imagée décrit en fait un phénomène mis en lumière bien auparavant par Irving Fisher, le grand économiste américain sous la forme d’une tautologie mathématique qu’il exprimait comme suit :

MV = PQ où M est la masse monétaire à un moment donné, P le niveau général des prix, Q la production nationale en volume, PQ étant ainsi le PIB nominal, V la vélocité de la monnaie, le facteur qui permet aux deux parties de l’équation d’être égales à tout moment (ouf !).

V est ainsi, par construction et par définition, un simple résultat qui permet à une tautologie d’exister, et V est toujours calculée « ex post », c’est-à-dire après coup, une fois que l’on a eu les résultats comptables pour M, P et Q et V est donc toujours égal à PQ/M.L’idée simpliste qu’utilisent les banques centrales à l’heure actuelle est que si l’on fait l’hypothèse que V va rester stable et que l’on fasse « marcher la planche à billets » (donc augmentation de M), alors activité et/ou croissance ne peuvent que monter, soit parce que les quantités produites vont augmenter soit parce que l’inflation va réaccélérer, soit les deux à la fois.

En attendant que PQ ne se mette à monter, et à condition que beaucoup de monnaie ait été créée depuis peu, une partie de cette liquidité excédentaire à court terme ira sans doute s’investir dans des actions, des obligations ou de l’or, et il y aura « plus de monnaie que de titre ». Cette hausse de la valeur des actifs facilitera le redémarrage de l’économie (effet richesse).

L’ennui est que V est incroyablement volatile, car ce n’est que l’expression monétaire des craintes, des peurs, des emballements et de la cupidité de chacun d’entre nous. Si les gens ont confiance, la monnaie va tourner à toute allure et la vélocité de la monnaie sera très élevée. Si les gens prennent peur, tout le monde se met à entasser des billets dans son matelas et la vélocité s’écroule … et avec elle l’activité.

Depuis 2008 et Lehman Brothers, nous avons eu droit un véritable effondrement de la vélocité de la monnaie un peu partout dans le monde, que les banques centrales ont essayé de « contrer », ce qui était leur devoir. En effet, si V s’écroule et que M ne bouge pas, MV va s’écrouler et PQ va suivre. Or PQ n’est rien d’autre que le PIB nominal, et nous aurons alors une dépression. C’est ce qui s’est passé dans les années trente, et c’est ce que Milton Friedman reprochait vivement à la politique monétaire conduite aux USA pendant cette période.

En cas de baisse avérée de V, il faut donc que M (la masse monétaire) augmente fortement pour compenser un déclin de V que personne ne sait appréhender « ex ante », le but étant de stabiliser le PIB nominal. Bref, un numéro d’équilibriste « sans filet » tout à fait remarquable puisqu’il s’agit de tenir compte de la variation à venir d’une valeur dont personne ne sait prévoir l’évolution. Si quelqu’un pouvait prévoir les paniques, celles ci n’auraient pas lieu.

Depuis un grand moment, les partisans de l’or comme investissement (qui ne sont pas toujours les mêmes que ceux qui sont partisans de l’or comme monnaie, mais les deux sous-ensembles ont tendance à se recouper) soutiennent que cette création de M est d’ores et déjà tout à fait excessive et qu’elle va nous amener à une hyperinflation le jour où la vitesse de circulation de l’argent repartira à la hausse, ce qui d’après eux ne saurait tarder.

Remarquons d’abord qu’ils font de fait une prévision sur l’évolution de la vitesse de circulation de la monnaie, ce que personne n’a jamais réussi à faire. S’ils ont raison, il est tout à fait évident que l’inflation va repartir et que les prix de l’or vont s’envoler. Voilà qui est logique, mais qu’est-ce qui leur permet de croire que leurs prévisions sur V sont meilleures que celles des banques centrales?

Imaginons - horresco referens - que les prix de l’or, au lieu de monter comme tout un chacun semble l’attendre, se mettent à baisser.

Quelle serait la signification d’une telle baisse ?

Comme M est en forte hausse, la première explication pourrait être que le métal jaune est trop cher par rapport à d’autres actifs « réels » (du style immobilier aux USA qui semble redémarrer) et qu’il s’agit d’un repli technique. Je n’aime pas ce mot « repli technique », tant toutes les premières dégringolades dans les grands marchés baissiers sont toujours caractérisées ainsi. De toute façon, nous saurons assez vite de quoi il retourne, les replis techniques étant brefs par nature.

Mais il existe une deuxième explication beaucoup plus inquiétante.

Si l’or baisse, c’est peut être tout simplement que il n’y a pas autant de « liquidités » dans le système économique que l’on veut bien me le dire et que MV est entrain de se ratatiner malgré la hausse de la quantité de monnaie, tout simplement parce que V continuerait à baisser, les banques centrales n’ayant pas du tout réussi à rétablir la confiance.

En quelque sorte, nous aurions une espèce de « trou noir » dans notre système monétaire, qui avalerait la liquidité produite par les banques centrales plus vite que celles ci ne peuvent en créer. Si un tel trou noir existait, l’or à la place de monter se mettrait à baisser (mon canari dans la mine).

Qu’est-ce que je verrais d’autre dans les marchés, si tel était le cas ?

Dans la zone monétaire où le trou noir se trouverait, je verrais le taux de change de la monnaie dominante dans cette zone se mettre à monter fortement (hausse déflationniste du taux de change), chacun de ceux qui le peuvent essayant d’emprunter à l’extérieur pour couvrir ses dettes en monnaie locale. Imaginons que ce trou noir soit dans la zone euro. Tous ceux qui le peuvent vont essayer d’emprunter des dollars ou des yens pour nourrir le trou noir, qui cependant n’accepte que des euros. Les dollars et yen empruntés doivent donc être convertis en euros. Hausse de l’euro, baisse du dollar et du yen s’ensuivent. Avec l’or baissant et l’euro montant, les marchés des actions européens vont se rendre compte à un moment ou à un autre qu’il y a quelque chose qui cloche et vont piquer du nez également, tandis que les écarts de taux entre bons et mauvais emprunteurs recommenceront à se creuser à nouveau, malgré M. Draghi qui n’en pourra mais.

Bref, de façon générale, s’il est vrai que je n’aime pas l’or, j’aime encore moins le voir baisser, tant cela veut - peut être - dire qu’un coup de grisou est à la veille de se déclencher.

En tout cas, si je commence à voir l’euro monter à nouveau, l’or baisser et les actions européennes avoir une sale allure, je me demande si je ne vais pas paniquer un petit coup. Après tout, tant qu’à faire de paniquer, autant être le premier à prendre l’ascenseur vers la surface. Il y a encore des places…

Charles Gave


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