Les
irresponsables qui ont fait l’euro mettent
en péril la démocratie !
Max Weber est ce sociologue allemand qui est à l’origine de la notion selon
laquelle le développement économique a commencé avec l’éthique puritaine et
protestante qui aurait favorisé l’accumulation du capital à la place de la
consommation immédiate. Cette accumulation du capital aurait été à l’origine
du développement économique.
Cette idée a été à l’occasion de débats passionnés qui ont encore cours
aujourd’hui puisque j’ai lu un article la semaine dernière à ce sujet dans
le International Herald Tribune.
Mais Max Weber, toujours au sujet de l’éthique, a développé une autre notion
particulièrement utile. Selon lui, et dans la mesure où le but recherché est
« l’intérêt général », ceux qui sont amenés à prendre des responsabilités en
particulier politiques s’appuient toujours sur l’une ou l’autre des deux
formes d’éthique qu’il avait identifiées, l’éthique de responsabilité et
l’éthique de conviction.
Essayons de passer au crible de cette notion le débat actuel sur l’euro.
Les partisans de l’euro se sont lancés dans cette politique aventureuse en
sachant pertinemment que cela risquait de ne pas marcher tant ils étaient
persuadés que le mouvement européen avait comme fin ultime la création d’un
Etat fédéral. Ils ont donc agi en fonction d’une
éthique de conviction.
L’établissement d’un Etat fédéral est, selon eux, une chose qui mérite tous
les sacrifices et le mouvement de l’Histoire (avec un grand H) va dans leur
sens.
Ceux qui y étaient opposés ont refusé l’euro tant les chances de réussite
d’un tel projet leur paraissaient faibles et les dangers immenses (voir par
exemple mon livre « Des Lions menés par des Anes » chez Robert Laffont,
2001).
Ils s’appuyaient donc sur une éthique de responsabilité : les risques d’un
échec leur paraissaient beaucoup trop importants pour que l’on se lance dans
un projet aussi dangereux. L’échec très probable de l’euro risquait de
remettre en question tous les acquis européens, ce qui était prendre un
risque beaucoup trop grand.
A l’évidence, l’euro a lamentablement échoué comme le craignaient les
eurosceptiques d’il y a une dizaine d’années.
Et bien sûr les deux camps opposés sont toujours face à face, aussi
virulents qu’il y a 10 ans, même si le camp des opposants s’est quelque peu
renforcé et que je me sente un peu moins seul.
Mais mystérieusement, le combat se fait maintenant à front renversé…
- Les partisans de l’euro se retranchent avec une hystérie certaine
dans l’argument selon lequel si on permet à l’euro d’éclater, cela serait
totalement « irresponsable » et amènerait à une dépression généralisée, à un
effondrement de nos systèmes financiers, à un appauvrissement général. Tout
le monde peut voir qu’ils sont passés de l’éthique de conviction à l’éthique
de responsabilité. Leur argument essentiel est : « J’ai monté une usine à
gaz qui va – peut-être - nous ruiner, mais si vous la détruisez, nous
serons certainement tous ruinés. Ils ont eu tellement tort dans leurs
pronostics passés que je ne vois pas très bien pourquoi ils devraient avoir
raison cette fois ci.
- Les opposants d’autrefois, quant à eux, sont passés à une éthique
de conviction et de convictions très fortes. Non seulement ils sont
certains que le système actuel nous amène dans une dépression, mais en
plus ils voient tous les jours que les procédures démocratiques reculent
partout en Europe au profit d’une technocratie triomphante et non élue qui,
très curieusement, a été à l’origine même des désastres actuels.
Cette constatation intéressante ayant été faite, quelle conclusion
peut-on tirer de tout cela?
1. Il ne s’agit en rien d’un désastre lié « au marché », comme on aime à le
dire en France, mais de tout son contraire. Le marché fonctionne par
définition avec des taux de change et des taux d’intérêts libres. L’euro a
bloqué ces deux prix qui sont les plus importants dans un système
économique, et tout le monde sait depuis l’édit de Dioclétien que bloquer
les prix amène partout et toujours à des dysfonctionnements majeurs. Il
s’agit donc d’un problème créé par des gens qui se pensent plus intelligents
que les marchés et qu’il est convenu d’appeler des technocrates ou des
eurocrates. Le problème essentiel est de fait le déficit démocratique et le
déficit de marché au cœur même des institutions bruxelloises
2. Résoudre ces problèmes en faisant appel à plus de technocratie, à moins
de démocratie et à moins de marché ne peut pas fonctionner. Faire
plus de quelque chose qui ne marche pas, c’est être certain que
la situation va continuer à s’aggraver.
3. Le problème est que ceux qui ont tort, comme tous les bons technocrates
qui se respectent, ont totalement pris le contrôle de tous les rouages de
nos gouvernements, ce qui fait que l’électorat a beaucoup de mal à se faire
entendre.
4. J’en arrive donc à une conclusion toute simple en suivant les méthodes
d’analyse de Toynbee. Les élites ont vocation à régler les problèmes
structurels qui se posent à un pays. Si ces élites n’arrivent pas à traiter
le problème, il faut alors les remplacer. Dans une démocratie, cela se fait
par des élections. Si aucun choix réel n’est proposé aux électeurs, cela se
fait par une révolution (France 1789) et un changement de régime.
En fait la seule solution démocratique est que l’un des deux candidats
sérieux à l’élection présidentielle propose un referendum sur l’euro et
redonne la parole à celui que les Suisses appellent le Souverain,
c’est-à-dire le peuple.
Sinon, il est à craindre que des candidats marginaux et n’ayant pas une
passion débordante pour la démocratie n’enfourchent ce cheval de bataille,
avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir…
Cette crainte a été et reste ma crainte principale depuis les débuts de la
monnaie unique : que l’euro, outil technocratique s’il en fut, ne détruise
nos démocraties.
Charles Gave
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