Elections italiennes, ou quand les Oints du Seigneur
se prennent une raclée !
Pour faire simple, il y a trois sortes de personnes dans
la vie.
Ceux qui veulent se débrouiller tout seuls, s’occuper de leurs affaires et
qu’on les laisse tranquilles. De façon générale, quand ils prennent des
risques, ils en assument les conséquences. C’est dans cette catégorie que
l’on peut ranger les « entrepreneurs », et c’est d’eux, et d’eux seuls, que
dépend la croissance économique puisqu’ils sont responsables de la «
destruction créatrice » de ce cher Schumpeter, sans laquelle aucune
croissance n’a jamais eu lieu, nulle part.
Ceux qui veulent que l’on s’occupe d’eux. Catégorie parfaitement honorable,
mais qui ne cultive pas un amour exagéré du risque. On y trouve les
fonctionnaires, les salariés des très grandes entreprises, les rentiers, les
retraités…Vivre dans l’incertitude leur est difficile, leur but étant de
voir leur vie s’écouler comme un long fleuve tranquille.
Ceux qui veulent s’occuper des autres sans vraiment travailler, probablement
parce que leur maman ne les a pas assez aimés quand ils étaient petits. On
les trouve aujourd’hui dans la politique ou dans les médias. Leur processus
intellectuel est toujours le même : ils « diagnostiquent un problème, » ils
« offrent une solution » (qui en général passe par un accroissement des
pouvoirs de l’Etat - et donc de leurs pouvoirs à eux), la solution échoue
(comme toujours quand l’Etat se mêle de quelque chose en dehors des domaines
régaliens), ce qui ne les gêne en rien puisqu’ils ont
une « nouvelle solution » pour régler les problèmes qui n’existaient pas et
qu’ils ont créés de toutes pièces, et surprise, surprise, cela suppose à
nouveau un rôle accru de l’Etat ( et donc de leurs pouvoirs). Ils veulent en
général laisser leur nom dans l’Histoire. Thomas Sowell les appelle les «
Oints du Seigneur » (ou ODS) (annointed, en anglais), pour bien montrer la
nature religieuse et non scientifique de leur discours.
L’idée est toujours que nos « élites » vont intercéder pour nous auprès
de la Divinité, mais que pour que ça marche, il faut
que nous les payions constamment et fort cher. Rien de neuf donc, la base de
tout charlatanisme ayant toujours été l’infinie crédulité des victimes (Voir
« Le Devin » chez Astérix et Obélix, ou le programme
de M. Hollande à la dernière élection pour plus de détails)
Le schéma théorique tel que décrit par Sowell s’est déroulé dans la pratique
de façon impeccable avec l’euro.
Chaque pays était géré selon son pacte social et disposait de sa propre
monnaie. Si un pays était bien géré, sa monnaie montait, s’il était mal
géré, sa monnaie baissait, ce qui fait que tous les entrepreneurs européens
étaient sur un pied d’égalité, les dévaluations et réévaluations ajustant
les différences d’efficacité des systèmes politiques. Ce n’était pas très
élégant, mais ça marchait plutôt bien. Tout allait donc bien en Europe, et
la croissance était à peu prés partout la même puisque tous les
entrepreneurs étaient sur un pied d’égalité.
Pour nos ODS, tout cela était au contraire très, très mal, car l’on ne
faisait jamais appel à leur services et cela voulait dire que le marché (et
non pas eux) déterminait le taux de change et le taux d’intérêt qui
s’appliquaient à chaque pays. Si la politique suivie était stupide, le taux
de change baissait et le taux d’intérêt montait, ce qui est insupportable si
vous êtes sorti premier de l’école et que vous êtes à l’origine de cette
politique stupide. Pour eux, il allait falloir remplacer tous ces systèmes
inefficaces par un bon gros Etat central qui saurait gérer l’Europe au
bénéfice de tout le monde et surtout cacher leurs erreurs le plus longtemps
possible.
Et qui gérerait ce nouveau monstre ?
Quelle question ! Nos ODS bien sûr! Qui d’autre ?
La première étape vers la création de cet état Européen se fera par la
monnaie, nous dirent-ils, et de ce fait nous aurons une merveilleuse
convergence des économies sur tout le vieux continent. L’euro est créé dans
l’enthousiasme général pour améliorer des choses qui n’en avaient guère
besoin, mais soit.
Attali, Minc, BHL Rocard, Juppé, Sapin, Adler, etc., tous sauf Philippe
Seguin dont il faut relire le discours sur l’euro, nous annoncent une longue
période de croissance ininterrompue, accompagnée par une baisse du chômage
et une convergence des niveaux de vie partout en Europe (relire les
déclarations de tous ces Oints du Seigneur aujourd’hui est irrésistible).
Bien plus, nous assurent les mêmes, politiquement, l’euro permettra de
contrôler l’Allemagne, bien trop puissante après sa réunification et donc
contribuera à la bonne entente entre tous.
Douze ans après, où en sommes nous ?
Cinq ou six pays européens sont en faillite ou en quasi faillite, le chômage
atteint 25 % en Espagne, 50 % chez les jeunes de l’Europe du Sud, nos
systèmes bancaires sont en danger d’implosion et l’Allemagne donne des
ordres à tout le monde. Tout le contraire de ce
qu’ils nous avaient vendu. Difficile de se tromper plus ! Les responsables
de ce désastre, honteux et confus, ont-ils décidé de se faire rare et de
demander pardon aux populations, ce qui serait la moindre des choses ?
Point du tout !
Ces mêmes Oints du Seigneur emplissent les ondes de leurs bavardages
incessants, publient articles sur articles, passent à la télévision sans
arrêt pour nous expliquer que l’euro n’est pas un échec, qu’il faut leur
faire confiance et continuer l’expérience. Je crois voir M. Marchais
pérorant sur le bilan globalement positif du communisme. Qui plus est, nous
disent -ils, ils ont cette fois la solution à tous les problèmes
(qu’ils ont créés) et cela passe parce qu’ils appellent des réformes dans
les pays qui ont été tués par leurs solutions précédentes. Comme les
recettes fiscales se sont effondrées (à cause de leurs politiques débiles),
il faut de toute urgence combler les déficits budgétaires ainsi créés qui
sont en contradiction avec des traités que personne
n’avait respectés jusque-là. La seule solution, pour
nos ODS (et c’est ce qu’ils appellent réforme), est d’augmenter les impôts
sur la catégorie numéro 1, celle des entrepreneurs, selon le bon vieux
principe qu’il faut prendre l’argent là où il est, c’est-à-dire chez ceux
qui ont accès à du capital et qui sont donc « riches ». Nos Oints du
Seigneur français y mettent un zèle tout particulier, mais M.Monti en Italie
a fait au moins aussi bien.
L’embêtant c’est que taper sur la catégorie numéro 1(les entrepreneurs),
cela veut dire assez rapidement chômage, appauvrissement, baisse du niveau
de vie, pas pour les ODS bien sûr, mais pour les personnes de la catégorie
numéro 2, qui du coup ne peuvent plus vivre tranquilles, ce dont les
Italiens se sont rendu compte et ce dont les Français commencent à se rendre
compte également. Et c’est là que les choses deviennent amusantes. La
catégorie numéro 2 (en Italie tout au moins) a parfaitement compris le
manège des ODS qui ne gèrent que pour leur avantages à eux, et donc que les
remèdes proposés par nos charlatans sont en fait bien pire que le mal. Et du
coup ils viennent de voter (à 55%) pour se débarrasser des Oints du
seigneur, dont le représentant, M. Monti, a ramassé une énorme claque.
Concert de lamentations ! Hurlements de désespoirs! Cris de rage ! Ces
Italiens ne sont décidément pas sérieux !
Ils ont osé désavouer M.Monti, pourtant ancien professeur d’économie, ancien
consultant de Goldman -Sachs, ancien de la Commission européenne, et
fonctionnaire toute sa vie, ce qui à l’évidence le désignait comme capable
de réformer une économie pour en assurer la croissance. Rien ne nous a été
épargné, tous les clichés y sont passés
Les Italiens? Des guignols. La construction européenne mise
en danger ! Pensez donc ma pauvre Lucette ! Le futur de l’euro, cette
merveille que le monde entier nous envie et qui contribue puissamment à la
prospérité européenne comme chacun le voit tous les jours, compromis. Le
rêve millénariste d’une Europe « puissance » encore une fois retardé par
cette nuisance considérable qu’est le vote d’un peuple.
La démocratie (pouah ! comprendre le capitalisme) qui se met à gêner la
marche triomphante de la technocratie…. A quoi sert donc d’aller à Davos
chaque année pour communier entre égaux dans la vraie foi si c’est pour
tomber sur un obstacle aussi bas que la volonté du peuple italien ? Et
pourtant, pour les peuples européens, ce qui vient de se passer en Italie
est sans doute la meilleure nouvelle qu’ils aient eue depuis la chute du mur
de Berlin.
Depuis des années, nous vivons une espèce de coup d’Etat larvé mené par des
technocrates non élus (Delors, Trichet, Monti, Prodi etc..) pour capturer la
souveraineté des nations européennes et la transférer bien entendu au profit
de leur « classe » (au sens marxiste du terme). Pour la première fois, un
peuple européen, un souverain a rejeté par plus de 55 % des suffrages
exprimés ce projet liberticide qui a tué toute croissance en Italie depuis
quinze ans.
Les Italiens viennent de rappeler qu’ils étaient maîtres chez eux, maîtres
de leur futur et que ce futur serait déterminé en Italie et non pas à
Bruxelles, Berlin ou Francfort.
Le lendemain de l’élection, la panique dans les rangs des ODS était totale.
Mais heureusement les chefs des ODS en ont vu d’autres ! Très rapidement,
les membres éminents de la classe technocratique firent passer le message
aux médias et à leurs représentants dans les marchés financiers qu’il
fallait agir comme d’habitude, prétendre que rien ne s’était passé, et
suivre la tactique déjà expérimentée lorsque Français, Hollandais ou
Irlandais avaient eu le mauvais goût de voter contre nos chers technocrates.
Etouffer la révolte en n’en parlant pas. Continuer comme si de rien n’était
et faire croire que rien n’avait changé, tel a été le mot d’ordre.
Peut-être les peuples vont-ils se rendormir encore une fois ?
Peut être, mais je ne le crois pas. Quelqu’un,
en Italie, a crié « le Roi est nu », et le peuple l’a entendu.
L’euro est un échec cinglant, inimaginable, et pourtant personne dans les
médias n’a dit ou n’a osé dire que les problèmes de l’Italie, de l’Espagne,
de la France du Portugal venaient de l’euro. Le peuple italien, lui, semble
avoir compris cette vérité.
L’euro est un système dysfonctionnel qui ne peut pas marcher, ni plus ni
moins que le communisme ne le pouvait, et pour les mêmes raisons.
Quand Soljenitsyne a publié « L’archipel du goulag », plus personne, même au
Café de Flore, ne pouvait prétendre qu’il ne savait pas.
C’est ce que Beppe Grillo a réussi à faire en Italie. Il appartient toujours
aux génies, aux enfants ou aux bouffons de dire la vérité.
Je crois que ce qui vient de se passer chez nos voisins est éminemment
important et remarquablement positif. Les ODS, de façon viscérale, haïssent
la liberté et veulent toujours et partout l’étrangler. Nous avons eu une
tentative de capture de la démocratie par un coup d’Etat organisé par des
gens qui la détestent viscéralement, au moins autant qu’ils détestent les
marchés et les monnaies qui ne sont pas sous leur contrôle.
Les Italiens ont commencé à dire « basta cosi » à ce coup d’Etat. Ce
peut être une nouvelle immense…ou un faux départ de plus. Je vais surveiller
la situation italienne et je n’ai pas le moindre doute que des tentatives
vont être faites pour empêcher à tout prix ce retour de la liberté
individuelle. Mais pour la première fois depuis longtemps, très longtemps,
je reprends confiance : non, le monde ne va pas être géré par des
technocrates jusqu’ à la fin des temps. Une lumière vient de s’allumer au
bout du tunnel, en Italie, de l’autre côté du Mont-Blanc.
Charles Gave
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