Nous sommes gouvernés par des fous !
Etant en ce moment en France, j’ai le grand plaisir d’écouter de temps en
temps les « informations » dispensées sur les chaînes de radio ou de
télévision françaises.
Récemment, j’ai eu droit à toute une série d’interviews données par le
ministre des Finances français, M. Moscovici je crois, sur le fait que la
politique économique suivie par le gouvernement actuel portait ses fruits et
que la croissance était « de retour », ce dont je ne saurais trop me
réjouir.
Et pourtant, malgré les qualités éminentes de notre ministre des Finances
actuel et en dépit de l’autorité que lui confèrent ses fonctions et de son
extrême compétence, j’ai des doutes, et même des doutes fort sérieux, sur ce
retour de la croissance en France.
Quand le ministre me dit que « tous les indicateurs sont orientés dans la
bonne direction », je ne peux m’empêcher de penser au « tous les feux sont
au vert » de Pierre Mauroy, en 1982, alors Premier ministre, juste avant que
tout ne s’écroule.
Essayons cependant de comprendre pourquoi notre ministre nous annonce un
avenir radieux. Il tire sa confiance (apparemment) des « prévisions » de
l’OCDE qui annonce une reprise de l’activité et une hausse du PIB dans notre
beau pays pour l’année en cours, à moins que ce ne soit pour l’année
prochaine. On parle de 0,4 % ou de 0,8%, je ne sais plus très bien (pour
rappel, il faudrait 2 % pour que le chômage baisse).
Voilà qui me paraît intéressant.
En effet :
L’erreur d’estimation moyenne des modèles économétriques que fait tourner
l’OCDE est très supérieure à ce chiffre, ce qui montre à tout le moins que
les économistes de l’OCDE ont le sens de l’humour puisque leurs prévisions
vont parfois jusqu’à nous donner la deuxième décimale dans le chiffre après
la virgule…
Ensuite, plutôt que de citer ce chiffre avec contentement en s’appuyant sur
la compétence et l’impartialité supposées des économistes de l’OCDE, peut
être serait-il bon de faire un petit retour en arrière et de vérifier la
qualité des prévisions qu’ils ont faites depuis quelque temps concernant
l’activité économique à venir des différents pays sur lesquels ces bons
docteurs Diafoirus se penchent. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler les
prédictions que l’OCDE a faites sur l’évolution à venir des économies
grecque ou italienne il y a quelques années et je vais me contenter d’un
exemple beaucoup plus simple et beaucoup plus récent.
En avril de cette année, M. Olivier Blanchard, économiste en chef de cette
noble institution et grand keynésien devant l’éternel, a pris à partie
publiquement le Premier ministre britannique pour expliquer que la politique
de contraction des dépenses publiques qu’il suivait était absurde et allait
amener la Grande-Bretagne en dépression. Passons sur le fait qu’un
fonctionnaire que personne n’a élu se permette de juger le Premier ministre
de la plus vieille démocratie du monde, où les fonctionnaires doivent
démissionner de la fonction publique s’ils se présentent aux élections, et
venons-en aux résultats.
Moins de six mois après l’annonce par M. Blanchard de l’effondrement de
l’économie britannique, tous les observateurs s’accordent pour dire que
l’économie est en plein boom et que, de tous les pays de l’OCDE, c’est celui
qui a le plus fort taux de croissance. Réaction de M. Blanchard à une erreur
aussi invraisemblable, puisque tout permettait d’annoncer, dès avril ou même
avant, que la Grande-Bretagne allait de mieux en mieux ? Un silence
assourdissant, bien sûr…
En pratique, si la croissance revenait en France, ce serait une grande
première dans l’histoire de l’humanité. Mais avant d’expliquer à nouveau ce
qu’est la croissance et d’où elle vient, il me faut encore une fois rappeler
ce qu’elle n’est pas.
Commençons par définir le mot. Si notre ministre sous entend par croissance
le fait que le PIB monte, voilà qui ne veut strictement rien dire. En effet,
comme chacun le sait, la part de l’Etat dans le PIB français atteint 57 %,
ce qui veut dire que le secteur privé représente 43 % de la richesse
produite. Or, le système étatique est en cash flow négatif perpétuel
(déficit budgétaire depuis 1973).
Toute croissance du système étatique se finance donc soit par un
accroissement des prélèvements fiscaux sur les 43 % restants, soit par une
augmentation de la dette, qui n’est qu’un impôt différé. Imaginons que le
PIB augmente de 0,8 % l’an prochain et que nous ayons à la fois une
augmentation d’un peu plus de 1% du PIB étatique et une stagnation voire une
baisse de l’économie privée. Voilà qui ressemblerait furieusement à une
croissance du type Union soviétique dont on sait qu’en général elle se
termine mal.
La seule croissance qui compte, c’est celle du secteur privé et, à la
rigueur, du système étatique s’il n’a pas recours à la dette ni aux impôts
pour croître.
Un chiffre : l’an prochain le PIB devrait augmenter de 17 milliards d’euros
et la dette de 100 milliards. Parler de croissance dans ce cas-là me paraît
quelque peu… farfelu.
Tout ce qui se sera passé, c’est que le gouvernement aura tiré une traite,
une de plus, sur le futur et qu’il aura rajouté cette traite à la croissance
actuelle. Du Madoff s’il en est.
Venons-en maintenant aux conditions nécessaires pour qu’il y ait croissance
économique. Elles sont au nombre de deux et de deux seulement.
Il faut que le coût du capital soit inférieur au rendement du capital. Cette
phrase un peu obscure veut simplement dire que ceux qui prennent des risques
doivent gagner plus d’argent que ceux qui n’en prennent pas, et donc que les
taux d’intérêts doivent être inférieurs au taux de croissance des profits.
Or, si l’on exclut les grandes valeurs du CAC 40, dont la rentabilité ne
dépend plus de l’économie française, les autres entreprises opérant en
France ont une marge brute d’autofinancement en chute libre, atteignant et
enfonçant des plus bas historiques mois après mois.
Cette marge brute d’autofinancement, que le gouvernement voulait taxer
encore tout récemment, est à peu près la moitié de ce qu’elle est en
Allemagne. Un grand patron d’une société française me disait récemment que
son groupe avait deux usines, l’une en Allemagne, l’autre en France et que
la rentabilité de l’usine en Allemagne était le double de ce qu’elle était
en France. La prochaine usine sera donc bâtie en Allemagne. Comme les taux
d’intérêts sont supérieurs au taux de croissance des profits en France,
il ne peut pas y avoir d’investissements dans ce pays, et donc la
productivité va continuer à s’écrouler et le chômage à monter. Il ne peut
pas en être autrement, sauf à penser que les entrepreneurs français sont
idiots, ce qui n’est pas le cas.
La survie de leurs affaires exige qu’ils investissent partout, sauf en
France… ce qu’ils font, et heureusement. Immédiatement, à ce point du
raisonnement, tout le monde les accuse de manquer de patriotisme, ce qui est
une incommensurable ânerie. Il n’existe pas de patriotisme économique, il
n’existe que le patriotisme qui exige que le capital que nous avons reçu de
nos parents ne soit pas gaspillé, ce qui n’est pas le cas en France, et
depuis longtemps. Ceux qui ne font preuve d’aucun patriotisme, ce sont les
élites politiques et non pas les entrepreneurs, qui eux se battent pour
transmettre un stock de capital supérieur à celui qu’ils ont reçu.
Les entrepreneurs sont de petits être sensibles qui vivent dans
l’incertitude et la crainte, tant le monde dans lequel ils se battent est
concurrentiel. Pout prendre leurs décisions, ils ont d’abord besoin d’une
grande stabilité fiscale et réglementaire, ce qui est loin d’être le cas à
l’heure actuelle, mais surtout ils ont besoin que l’Etat ne fasse pas trop
de bêtises structurelles. Car en plus de faire des erreurs conjoncturelles,
les gouvernements peuvent aussi faire d’énormes boulettes structurelles.
D’après Arthur Laffer (créateur de la courbe éponyme), cinq énormes erreurs
économiques amènent presque toujours à une dépression si elles sont commises
par le gouvernement :
Une guerre, ce qui fait baisser la rentabilité du capital investi.
Une augmentation massive des réglementations (même résultat).
Des législations protectionnistes (idem).
Une erreur flagrante de politique monétaire, tels les taux de change fixes.
L’euro est un merveilleux cas d’école. Le résultat de notre cher
Frankenstein financier étant bien sûr l’effondrement des marges brutes
d’autofinancement dans toute l’Europe du Sud, ce que chacun peut constater
aujourd’hui.
Une augmentation des impôts (ce qui fait baisser bien sûr la rentabilité des
affaires).
Comme chacun peut le voir, à l’exception de la guerre, il n’y a pas une
seule erreur qui manque à l’appel.
Si donc une période de croissance durable s’instaurait en France, il me
faudrait manger mon chapeau et reconnaître que j’ai eu tort, et avant moi
Adam Smith, Jean Baptiste Say, Ricardo, Bastiat, Wicksell, Von Mises, Hayek,
Schumpeter, Sauvy, Rueff … et que Marx et Keynes avaient raison, ce qui est
cependant peu vraisemblable. Il me semble en effet que nous disposons de
suffisamment d’éléments de preuves qui nous ont été fournis tout au long du
XXème siècle pour que j’écarte cette dernière hypothèse.
Bref, ce que raconte aujourd’hui le gouvernement français, président de la
République en tête, me rappelle fâcheusement ce que disait Pierre Mauroy en
1982. Et les résultats vont être les mêmes. Déjà les recettes fiscales
s’effondrent, signe annonciateur des tempêtes à venir.
Einstein disait que la caractéristique de la folie, c’était de faire la même
chose toujours et encore en espérant à chaque fois des résultats différents.
Nous y sommes. Nous sommes gouvernés non pas par des incompétents, mais par
des fous.
Charles Gave
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