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19/10/13 | Charles Gave |
Nous sommes gouvernés par des fous ! Etant en ce moment en France, j’ai le grand plaisir d’écouter de temps en temps les « informations » dispensées sur les chaînes de radio ou de télévision françaises. Récemment, j’ai eu droit à toute une série d’interviews données par le ministre des Finances français, M. Moscovici je crois, sur le fait que la politique économique suivie par le gouvernement actuel portait ses fruits et que la croissance était « de retour », ce dont je ne saurais trop me réjouir. Et pourtant, malgré les qualités éminentes de notre ministre des Finances actuel et en dépit de l’autorité que lui confèrent ses fonctions et de son extrême compétence, j’ai des doutes, et même des doutes fort sérieux, sur ce retour de la croissance en France. Quand le ministre me dit que « tous les indicateurs sont orientés dans la bonne direction », je ne peux m’empêcher de penser au « tous les feux sont au vert » de Pierre Mauroy, en 1982, alors Premier ministre, juste avant que tout ne s’écroule. Essayons cependant de comprendre pourquoi notre ministre nous annonce un avenir radieux. Il tire sa confiance (apparemment) des « prévisions » de l’OCDE qui annonce une reprise de l’activité et une hausse du PIB dans notre beau pays pour l’année en cours, à moins que ce ne soit pour l’année prochaine. On parle de 0,4 % ou de 0,8%, je ne sais plus très bien (pour rappel, il faudrait 2 % pour que le chômage baisse). Voilà qui me paraît intéressant. En effet : L’erreur d’estimation moyenne des modèles économétriques que fait tourner l’OCDE est très supérieure à ce chiffre, ce qui montre à tout le moins que les économistes de l’OCDE ont le sens de l’humour puisque leurs prévisions vont parfois jusqu’à nous donner la deuxième décimale dans le chiffre après la virgule… Ensuite, plutôt que de citer ce chiffre avec contentement en s’appuyant sur la compétence et l’impartialité supposées des économistes de l’OCDE, peut être serait-il bon de faire un petit retour en arrière et de vérifier la qualité des prévisions qu’ils ont faites depuis quelque temps concernant l’activité économique à venir des différents pays sur lesquels ces bons docteurs Diafoirus se penchent. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler les prédictions que l’OCDE a faites sur l’évolution à venir des économies grecque ou italienne il y a quelques années et je vais me contenter d’un exemple beaucoup plus simple et beaucoup plus récent. En avril de cette année, M. Olivier Blanchard, économiste en chef de cette noble institution et grand keynésien devant l’éternel, a pris à partie publiquement le Premier ministre britannique pour expliquer que la politique de contraction des dépenses publiques qu’il suivait était absurde et allait amener la Grande-Bretagne en dépression. Passons sur le fait qu’un fonctionnaire que personne n’a élu se permette de juger le Premier ministre de la plus vieille démocratie du monde, où les fonctionnaires doivent démissionner de la fonction publique s’ils se présentent aux élections, et venons-en aux résultats. Moins de six mois après l’annonce par M. Blanchard de l’effondrement de l’économie britannique, tous les observateurs s’accordent pour dire que l’économie est en plein boom et que, de tous les pays de l’OCDE, c’est celui qui a le plus fort taux de croissance. Réaction de M. Blanchard à une erreur aussi invraisemblable, puisque tout permettait d’annoncer, dès avril ou même avant, que la Grande-Bretagne allait de mieux en mieux ? Un silence assourdissant, bien sûr… En pratique, si la croissance revenait en France, ce serait une grande première dans l’histoire de l’humanité. Mais avant d’expliquer à nouveau ce qu’est la croissance et d’où elle vient, il me faut encore une fois rappeler ce qu’elle n’est pas. Commençons par définir le mot. Si notre ministre sous entend par croissance le fait que le PIB monte, voilà qui ne veut strictement rien dire. En effet, comme chacun le sait, la part de l’Etat dans le PIB français atteint 57 %, ce qui veut dire que le secteur privé représente 43 % de la richesse produite. Or, le système étatique est en cash flow négatif perpétuel (déficit budgétaire depuis 1973). Toute croissance du système étatique se finance donc soit par un accroissement des prélèvements fiscaux sur les 43 % restants, soit par une augmentation de la dette, qui n’est qu’un impôt différé. Imaginons que le PIB augmente de 0,8 % l’an prochain et que nous ayons à la fois une augmentation d’un peu plus de 1% du PIB étatique et une stagnation voire une baisse de l’économie privée. Voilà qui ressemblerait furieusement à une croissance du type Union soviétique dont on sait qu’en général elle se termine mal. La seule croissance qui compte, c’est celle du secteur privé et, à la rigueur, du système étatique s’il n’a pas recours à la dette ni aux impôts pour croître. Un chiffre : l’an prochain le PIB devrait augmenter de 17 milliards d’euros et la dette de 100 milliards. Parler de croissance dans ce cas-là me paraît quelque peu… farfelu. Tout ce qui se sera passé, c’est que le gouvernement aura tiré une traite, une de plus, sur le futur et qu’il aura rajouté cette traite à la croissance actuelle. Du Madoff s’il en est. Venons-en maintenant aux conditions nécessaires pour qu’il y ait croissance économique. Elles sont au nombre de deux et de deux seulement. Il faut que le coût du capital soit inférieur au rendement du capital. Cette phrase un peu obscure veut simplement dire que ceux qui prennent des risques doivent gagner plus d’argent que ceux qui n’en prennent pas, et donc que les taux d’intérêts doivent être inférieurs au taux de croissance des profits. Or, si l’on exclut les grandes valeurs du CAC 40, dont la rentabilité ne dépend plus de l’économie française, les autres entreprises opérant en France ont une marge brute d’autofinancement en chute libre, atteignant et enfonçant des plus bas historiques mois après mois. Cette marge brute d’autofinancement, que le gouvernement voulait taxer encore tout récemment, est à peu près la moitié de ce qu’elle est en Allemagne. Un grand patron d’une société française me disait récemment que son groupe avait deux usines, l’une en Allemagne, l’autre en France et que la rentabilité de l’usine en Allemagne était le double de ce qu’elle était en France. La prochaine usine sera donc bâtie en Allemagne. Comme les taux d’intérêts sont supérieurs au taux de croissance des profits en France, il ne peut pas y avoir d’investissements dans ce pays, et donc la productivité va continuer à s’écrouler et le chômage à monter. Il ne peut pas en être autrement, sauf à penser que les entrepreneurs français sont idiots, ce qui n’est pas le cas. La survie de leurs affaires exige qu’ils investissent partout, sauf en France… ce qu’ils font, et heureusement. Immédiatement, à ce point du raisonnement, tout le monde les accuse de manquer de patriotisme, ce qui est une incommensurable ânerie. Il n’existe pas de patriotisme économique, il n’existe que le patriotisme qui exige que le capital que nous avons reçu de nos parents ne soit pas gaspillé, ce qui n’est pas le cas en France, et depuis longtemps. Ceux qui ne font preuve d’aucun patriotisme, ce sont les élites politiques et non pas les entrepreneurs, qui eux se battent pour transmettre un stock de capital supérieur à celui qu’ils ont reçu. Les entrepreneurs sont de petits être sensibles qui vivent dans
l’incertitude et la crainte, tant le monde dans lequel ils se battent est
concurrentiel. Pout prendre leurs décisions, ils ont d’abord besoin d’une
grande stabilité fiscale et réglementaire, ce qui est loin d’être le cas à
l’heure actuelle, mais surtout ils ont besoin que l’Etat ne fasse pas trop
de bêtises structurelles. Car en plus de faire des erreurs conjoncturelles,
les gouvernements peuvent aussi faire d’énormes boulettes structurelles.
D’après Arthur Laffer (créateur de la courbe éponyme), cinq énormes erreurs
économiques amènent presque toujours à une dépression si elles sont commises
par le gouvernement :
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