Hong Kong : que va faire la Chine ?
Dans la formule « un pays, deux systèmes », qui préside aux relations entre
la Chine et Hong-Kong, réside une ambigüité fondamentale. D’où le pouvoir
tire-t-il sa légitimité ? Vient-elle du rôle historique que le PC chinois a
joué depuis cinquante ans, ou vient-elle d’une élection libre ?
Le PC chinois pensait qu’organiser des élections « libres » à Hong-Kong,
avec des candidats que le PC aurait désignés, répondait à cette
contradiction. Le peuple de HK, et en particulier les jeunes étudiants, ne
l’entendent pas de cette oreille tant ils comprennent que si cela était le
cas, l’indépendance de la justice disparaîtrait très rapidement, et avec
elle tout ce qui fait l’attrait de HK, c’est-à-dire d’être une zone de
droit. Avec cette disparition, leur niveau de vie se retrouverait rapidement
à celui du reste de la Chine, HK ayant perdu tout avantage comparatif.
Et là le PC chinois est bien embêté.
Le PC chinois n’a pas assujetti HK depuis1997 à sa loi tout simplement parce
que le vrai but est d’amener Taïwan à rejoindre volontairement l’empire du
milieu, en lui montrant qu’il n’y aurait aucun risque à accepter la
suzeraineté de Pékin tant ils pourraient continuer à gérer leurs affaires
internes librement. A Taïwan, les élections sont libres…
Qui plus est, depuis la crise de 2009, le gouvernement chinois fait tous les
efforts qu’il peut pour transformer le yuan en monnaie de paiement
internationale, afin de faire pièce au dollar US, totalement dominant dans
les échanges inter-asiatiques. Pour cela, ils s’appuient sur le système
juridique anglais laissé en héritage à HK par les Britanniques. Sans
système juridique sûr et indépendant, pas de statut international pour la
monnaie chinoise et échec dramatique pour la Chine.
Devant ces difficultés, faisons une petite analyse «coût/bénéfice» des
options qu’a le PC chinois.
1. Faire une répression du style tien an men à HK, et massacrer
quelques étudiants pour ramener l’ordre. Fin du rêve du retour de Taïwan à
la mère patrie et Taïwan pourrait décider de devenir indépendante. Voilà qui
serait un désastre diplomatique et économique sans précédent et terrifierait
tous les pays asiatiques qui courraient se refugier dans le giron des
Etats-Unis, qui probablement fermeraient leurs frontières aux importations
chinoises (voir l’embargo contre la Russie). Cette option est à la fois peu
probable et pas du tout souhaitable, même pour les membres du PC les plus
obtus.
2. Essayer de laisser pourrir la situation, en espérant que les étudiants
vont se lasser. Voilà qui est probable, mais cela veut dire deux ans et demi
de vide juridique puisque les élections doivent avoir lieu en 2017, avec des
candidats «libres». Et le mouvement étudiant et démocratique aurait de
fortes probabilités de repartir à tout moment, sans aucune possibilité de
contrôle par les autorités de Chine.
3. Décider que le chief executive actuel, plus ou moins nommé par
Pékin est un âne, qui n’a rien compris aux intentions de ses maîtres (alors
qu’il n’a fait qu’appliquer les ordres qu’on lui avait donnés, y compris
probablement en gazant les étudiants, ce qui à HK ne se fait pas, pas plus
qu’à Londres) et que la demande lui soit faite de démissionner. Cela
reviendrait à accepter des élections libres à HK en 2017, avec le risque que
le même genre de demandes ne surgisse à Shanghai ou à Canton. Cela forcerait
sans doute le PC à commencer à organiser des élections «concurrentielles»
mais non libres ici ou là, un peu comme nous en avons eu à Singapour, pour «
habituer » le citoyen chinois aux pratiques démocratiques. Voilà qui serait
immensément bullish pour tous les actifs en Asie. Risque de perte de
face cependant…
Logiquement, les autorités chinoises devraient d’abord choisir l’option
numéro deux et espérer qu’ils pourront imposer in fine le plan
initial de candidats libres mais désignés par le PC chinois.
Si les manifestants ne se laissent pas impressionner ou décourager, il
faudra alors que le PC chinois choisisse entre l’option 1 et l’option 3.
Dans un monde rationnel, l’option 3 devrait être choisie à tous les coups.
Mais en ce centième anniversaire de la première guerre mondiale, il n’est
pas du tout certain que l’option rationnelle sera choisie, et la probabilité
d’un officiel local décidant de prendre la mauvaise option est loin d’être
nulle.
Mon argent est sur l’option 3, mais Dieu sait qu’en ce qui concerne la
politique, je me suis souvent trompé.
La grande malédiction chinoise est de souhaiter à ses ennemis de « vivre
dans des temps intéressants».
A l’évidence, nous vivons tous dans des temps qui deviennent de plus en plus
intéressants.
Charles Gave
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