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6/11/12 Charles Gave
         J’aime les Etats-Unis parce que je préfère
                             la liberté à l'Etat !
                                      
De nombreux lecteurs me reprochent de manifester un parti pris constant en faveur des Etats-Unis et d’être très dur avec notre « cher et vieux pays ». Dans la pratique de tous les jours, ce n’est pas faux, mais la raison de cette préférence est profonde et tient aux principes philosophiques qui sous-tendent l’organisation sociale, économique et politique de ces deux pays.

Les lignes qui suivent sont donc une tentative d’explication de ce qui peut apparaître comme un préjugé de ma part.

Toute notre civilisation actuelle vient d’Europe, et pendant des siècles deux idées centrales ont lentement mûri, chacune dans les deux plus vieilles nations de notre continent.

En France, est née l’idée de l’Etat nation.

En Angleterre, l’idée de la liberté individuelle.

A la fin du XVIIème et pendant tout le XVIIIème siècle, nous avons eu une effervescence intellectuelle incroyable dans ces deux pays, qui s’est traduite par trois révolutions politiques.

En Grande-Bretagne, nous avons eu la « glorieuse révolution de 1689 », suivie par les révolutions américaine et française à peu prés un siècle après, la révolution américaine n’étant que la fille légitime de la révolution anglaise.

Les révolutions anglaise - et donc américaine - se sont organisées autour d’un principe philosophique de base, la primauté de la liberté individuelle, antérieure et supérieure au pouvoir de l’Etat (John Locke, Adam Smith et tous les « pères fondateurs » des Etats-Unis). Dans ces deux pays, la liberté prime tout, l’Etat est un mal nécessaire qu’il convient de contraindre par la séparation des pouvoirs et des élections fréquentes. Le principe de base de l’économie est la liberté encore une fois, c’est-à-dire le marché. Le but de l’organisation sociale est que règne si possible l’égalité « ex ante », mais le résultat est qu’« ex post », de grandes différences peuvent exister entre les citoyens en fonction de la façon dont chacun a exercé sa liberté individuelle tout au long de sa vie. En termes simples, chacun accepte l’idée que la société puisse être inégale. Les idées fondamentales sont donc la liberté individuelle comme principe central, la démocratie élective la plus rapprochée possible du citoyen dans le domaine politique, le Marché libre comme principe d’organisation économique, et l’acceptation de l’inégalité comme principe moral, tempéré par une pratique très forte de la charité individuelle pour ceux qui n’ont pas eu de chance.

La révolution française quant à elle s’est organisée de façon de tout à fait différente, la clé de voûte étant la primauté de la nation sur l’individu (guerres révolutionnaires, invention de la conscription, invention du génocide en Vendée, persécutions religieuses). Pour que la nation puisse survivre et prospérer, il faut que l’Etat ait prééminence sur les individus et que la liberté individuelle lui soit seconde. De ce fait, l’organisation politique tend à être technocratique et concentrée dans la capitale - les élections n’ayant guère d’importance, puisque le monde politique a été capturé par le monde technocratique - la séparation des pouvoirs plus formelle que réelle, le système économique aux ordres du système politique. Cette technocratie recherche avec ferveur l’égalité « ex post », puisque toute réussite individuelle anormale est une insulte au pouvoir sans partage de la technocratie. Les principes de base sont donc la suprématie de l’Etat sur l’individu, la technocratie comme moyen politique, le marché « dirigé » comme outil économique et la recherche de l’égalité « ex post » comme principe moral, l’Etat se substituant à toute forme de charité individuelle.

On retrouve ces deux systèmes de pensée dans les grands saints emblématiques que se sont choisis chacun de ces deux pays quand ils veulent raconter aux enfants l’histoire nationale.

En Grande-Bretagne, les deux grands saints sont Thomas More et Thomas Beckett, tous deux martyrisés par le pouvoir politique parce qu’ils soutenaient que la liberté individuelle était antérieure et supérieure à l’Etat.

En France, nous avons Jeanne d’Arc, qui a rétabli l’Etat français en déconfiture, et Saint Louis rendant la justice sous son chêne, symbole puissant de l’Etat en majesté.

De même que les Etats-Unis sont l’enfant légitime de la Grande-Bretagne, de même l’URSS était la fille légitime de la Révolution française, ce qui explique la coupable indulgence de toutes les élites françaises pour ce régime monstrueux et pour tous ses avatars (Cambodge, Vietnam, Cuba…)

Dans l’ADN américain, on repère en premier lieu les gènes de la liberté. Dans les gènes français, sautent à la figure les gènes étatiques. De temps en temps l’un ou l’autre de ces deux pays s’écarte de son patrimoine génétique, mais c’est en général pour y revenir à la première difficulté

Quand le mur de Berlin est tombé, j’ai eu une grande bouffée d’espoir. J’ai pensé que nos élites allaient faire amende honorable et comprendre qu’elles avaient fausse route.

Point du tout.
 

Nos élites ont décidé dans leur grande sagesse que le problème n’était pas que la technocratie ne marchait pas, mais que les technocrates russes avaient été nuls et qu’il était urgent, pour contrer l’essor du pays de la liberté, de créer un autre Etat qui pourrait enfin s’opposer à lui, un Etat européen, bien technocratique et où les individus n’auraient pas plus leur mot à dire que dans la France napoléonienne.

Et en France, nous venons d’élire un gouvernement qui revient aux racines mêmes de l’exception française, prééminence de l’Etat, asservissement des individus (par la pression fiscale), refus du marché, recherche de l’égalité « ex-post ».

La conjonction de ces deux tentatives, toutes deux vouées à l’échec et pour les mêmes raisons, va être intéressante.

La dernière phrase de mon premier livre, « Des Lions menés par des Anes », était la suivante : « Attachez vos ceintures. Le pilote de l’avion est fou. Il pense qu’il conduit une locomotive alors qu’il est aux commandes d’un 747 ».

Voilà donc pourquoi j’ai tendance à dire du bien des Etats-Unis : parce que je préfère la démocratie à la technocratie.

Charles Gave


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