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20/3/14 Charles Gave
              La France est malade de sa justice !

Autrefois, le Garde des Sceaux (c’est-à-dire celui qui faisait office de ministre de la justice), passait avant le Roi dans certaines cérémonies, le but étant de montrer que sans justice, il n’existait pas de pouvoir légitime et que la justice avait préséance sur le pouvoir, fût -il royal.

Comme je ne cesse de l’écrire, en reprenant l’idée de Renan, une nation se définit comme une « volonté de vivre ensemble ». Pour que cette volonté devienne une réalité, il faut que les citoyens créent un Etat et qu’ils délèguent à cet Etat le « monopole de la violence légitime », pour assurer la protection de la communauté nationale dans deux domaines, la défense contre d’éventuels ennemis extérieurs (diplomatie, armée) et la défense contre les ennemis intérieurs, c’est-à-dire les criminels opérant sur le territoire national (police, justice).

Ces quatre fonctions constituent ce qu’il est convenu d’appeler le domaine régalien, et chacun se rend bien compte que si la justice n’est pas exercée de façon satisfaisante, la violence exercée par l’Etat dans quelque domaine que ce soit ne peut plus être légitime. L’Etat peut rester « légal », il cesse de fait d’être « légitime » si la justice n’est pas assurée.

Nous sommes alors en tyrannie. La justice doit donc être bien sûr indépendante des pouvoirs (exécutif et législatif) et son rôle doit être de « dire le droit », les lois étant faites par le pouvoir législatif tandis que l’exécution des décisions de justice est confiée au pouvoir exécutif.

Telles furent les règles édifiées dans la douleur à la période des Lumières qui commença par « la Glorieuse Révolution » anglaise » en 1689, pour se continuer dans la Révolution américaine qui accoucha de cette merveille juridique que fut et reste la Constitution des Etats-Unis.

Ces règles ne furent jamais vraiment respectées en France tant notre Révolution remplaça le droit divin royal par le droit divin étatique, mais cela fut supporté par la population dans la mesure où l’Etat se présentait comme le défenseur et le garant d’une notion fort diffuse, « l’intérêt général », auquel chacun pouvait se rallier.

Or l’Etat français depuis un demi siècle a été conquis par une Eglise, armée d’une religion dont le rôle est de dire la « morale », je veux parler bien sûr du marxisme, et du coup l’Etat ne défend plus l’intérêt général, mais bien les intérêts, ô combien médiocres, de cette Eglise et de son personnel.

Et bien sûr, la justice a cessé de ce fait d’être indépendante, comme en témoigne l’actualité récente. Deux affaires judiciaires font la première page des journaux en ce moment et vont illustrer mon propos.

Tout d’abord celle des écoutes dont ont été victimes l’ex-président Sarkozy et son avocat. Le motif officiel de ces écoutes est que l’ex-président aurait reçu des subsides de la part de Kadhafi pour aider à son élection il y a quelques années. Fort bien. Voilà qui demandait peut être à ce que l’ex-président soit mis sur écoutes, bien que j’aimerais faire remarquer que M. Sarkozy a attaqué militairement le dictateur libyen et que celui-ci a eu plusieurs mois avant que d’être assassiné, mois pendant lesquels Kadhafi aurait eu tout le loisir de produire toutes les preuves contre celui qui était devenu son ennemi. Rien n’est venu, ce qui est pour le moins étrange.

Mais je ne vois pas pourquoi il fallait mettre son avocat sur écoutes, si ce n’est pour une raison évidente : cet avocat n’a aucune sympathie pour l’Église dominante, et cela vaut crime aux yeux des grands prêtres. Au diable le droit, la fin justifie les moyens : « Vous avez juridiquement tort puisque vous êtes politiquement minoritaires » (Laignel en1981). Tel est le cri de guerre de tout marxiste de base. Tout bon paroissien de cette église sait qu’il n’existe de justice que « de classe » et que toute décision qui est rendue contre tel ou tel membre de l’Eglise socialiste est motivée purement et simplement par le caractère bourgeois de celui qui l’a prise.

La justice n’est donc plus rendue en prenant en compte les faits mais en fonction de l’appartenance ou non à l’Eglise dominante. Venons-en au deuxième symptôme de cette prise de contrôle totale de notre église sur la justice, l’affaire dite du « mur des cons ». La secrétaire générale du Syndicat de la magistrature a été convoquée par le doyen des juges d’instruction pour s’expliquer sur ce qui paraissait être une faute déontologique grave puisque tous ceux qui étaient en photos sur ce mur, s’ils avaient eu affaire à la justice, se seraient rendu compte à leurs dépens qu’en aucun cas ils n’auraient bénéficié d’un jugement impartial. La justice de notre pays n’est donc plus légitime aux yeux de toute une partie de la population, ce qui justifiait à mes yeux amplement de convoquer cette syndicaliste.

Pour le Syndicat de la magistrature en effet, à l’évidence, tous les justiciables ne sont pas égaux, et c’est cela qui rend la justice illégitime et qui donc rompt le pacte républicain. D’un côté, il y a les cons, à condamner toutes affaires cessantes, et de l’autre les paroissiens.

Voilà qui fait froid dans le dos.

Sommée de s’expliquer sur cette incroyable dérive, notre secrétaire générale, de fort mauvaise humeur paraît-il, à qui l’on demandait les noms de ceux qui avaient créé et entretenu ce mur des cons, répliqua au doyen des juges d’instruction, qu’il n’avait qu’à les trouver lui même et qu’on (le pouvoir bourgeois bien sûr) cherchait à faire payer à son syndicat les efforts qu’il faisait pour promouvoir la justice sociale dans notre pays. Et là, il y a un « hic ».

Le rôle d’un juge n’est pas de promouvoir la justice sociale mais de dire le droit indépendamment de la position sociale de ceux qui sont jugés, et c’est pour cela que toutes les statues de la justice sont voilées. Si notre secrétaire générale veut changer la société, elle doit s’engager en politique et se faire élire à la chambre des députés, où les lois sont préparées et votées. Mais avant tout, elle doit cesser d’être juge.

Ce n’est pas le rôle de la justice que de transformer la société.

Ce juge, en deux phrases, a dit deux monstruosités juridiques.

La première, que sa position à la tête d’un syndicat (c’est-à-dire son appartenance à l’Eglise) la mettait en dehors du droit commun et qu’elle ne reconnaissait pas l’autorité de celui qui la faisait comparaître. On ne saurait mieux avouer que nous sommes de retour à l’ancien régime où il y avait une justice pour le peuple et une autre pour les clercs, qui ne pouvaient être jugés que par les autres membres de l’Eglise.

La deuxième, que la séparation des pouvoirs n’existe plus et que tout juge peut décider de par lui même à qui il va obéir et donc qu’il s’arroge le droit d’interpréter les lois à sa convenance, mais toujours au profit de son Eglise ou de ses membres. Nous sommes dans un monde bien curieux quand les juges décident quelles lois il faut appliquer et quelles lois il ne faut pas prendre en compte.

Ce qui me ramène aux Lumières.

La liberté de chaque individu peut et doit s’exercer dans trois domaines distincts:

1. Le domaine politique. Chacun doit pouvoir se présenter aux élections, qui doivent être libres et contradictoires, et faire entendre sa voix au travers de la liberté d’expression et de réunion.

2. Le domaine social: il doit exister une liberté totale de culte, d’association, d’établissement pour des écoles ou des syndicats auxquels chacun est libre d’adhérer ou non.

3. Le domaine économique. Chacun doit pouvoir s’établir à son compte, embaucher et débaucher librement et ne pas avoir à souffrir de la concurrence d’un tiers qui serait favorisé par l’Etat.

Il y aurait beaucoup à dire sur les points 1 et 2 tant notre Eglise s’est employée depuis des années à en fausser le fonctionnement harmonieux, mais je vais me concentrer sur le point numéro trois pour cet article. Pour que le point trois corresponde à une réalité, il faut qu’existent deux conditions mises en exergue par les philosophes des Lumières (et par le préambule de notre Constitution dans la Déclaration des Droits de l’Homme). Il faut que nous ayons un droit de propriété conçu comme un absolu, sauf en cas d’agression extérieure ou de guerre civile. C’est ce droit de propriété qui est le socle sur lequel repose la liberté économique. Il faut que ce droit (antérieur et supérieur à la loi) soit défendu par une justice indépendante. Or aujourd’hui, le droit de propriété n’existe plus en France, tant il est taillé en brèche par la fiscalité, et la justice n’est plus indépendante mais vendue corps et âme (au moins en partie), à l’Eglise dominante.

Nous sommes donc en train de sortir de la lumière (des Lumières serais-je tenté de dire), pour rentrer dans l’ombre, ce qui est bien sûr une fine allusion à la remarque de l’inénarrable Jack Lang au Panthéon en 1981.Nous sommes en fait passés depuis cette date, lentement mais sûrement, d’une démocratie à une théocratie et nous vivons dans le monde de la « novlangue » , chère à Orwell, où les mots veulent dire le contraire de ce qu’ils disaient autrefois. Ce passage de la lumière à l’ombre s’est déjà produit dans l’histoire, en Italie avec Mussolini, en Allemagne avec Hitler, en Espagne avec Franco et bien sûr en Russie avec les communistes en 1917.

Dans tous ces pays, fut attaquée en premier l’indépendance de la justice. Il faut se souvenir que la définition du fascisme avait été donnée par Mussolini: « Tout pour l’Etat, tout par l’Etat, rien en dehors de l’Etat ». Pour un fasciste ou un communiste, il ne peut pas y avoir d’indépendance de la justice.

Nous y sommes. Dans la réalité, le seul défenseur de l’indépendance de la justice, c’est bien sûr le libéralisme, puisque le libéralisme, ce n’est rien d’autre que les Lumières et que c’est le libéralisme et personne d’autre qui a inventé les notions d’indépendance de la justice et de séparation des pouvoirs. Et bien sûr chacun peut voir que tout ennemi du libéralisme est toujours violemment contre la séparation des pouvoirs. Et mes nouveaux fascistes attaquent le libéralisme tout autant que les anciens fascistes le faisaient. Et ils attaquent les Etats-Unis et la Grande-Bretagne tout autant que Mussolini, Hitler ou Staline le firent.

Nous sommes donc en train de voir émerger en France une espèce de fascisme dont je dois reconnaître qu’il est plutôt « mou », ce que Tocqueville d’ailleurs avait parfaitement prévu. Mais le fait que Tocqueville l’ait prévu ne me console en rien. Nous vivons une régression intellectuelle et juridique épouvantable.

Charles Gave


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