La Chine 
	propose sa monnaie comme substitut  
	                                   
	au dollar !  
	 
	Comme la plupart des gens le savent sans doute, le dollar US est non 
	seulement la monnaie de réserve du monde mais aussi et surtout la monnaie 
	de transactions pour le commerce international. 
	Qu’est-ce que monnaie de transactions veut dire au juste ? C’est ce que 
	doit se demander le lecteur, pas toujours au courant des subtilités du 
	système des paiements internationaux, ce qui est bien normal. Cette notion 
	recouvre une réalité toute simple: si la Corée du Sud fait du commerce avec 
	Taiwan (par exemple), les importations et les exportations de chacun des 
	deux pays devront être soldées en dollars américains. 
	 
	Cette réalité force donc les sociétés de chacun de ces deux pays à garder 
	des dollars dans leurs comptes pour leur fonds de roulements (ou à en 
	emprunter auprès de leurs banques) et bien sûr force les banques centrales 
	locales à avoir des dollars en réserve, au cas où leur commerce extérieur 
	passerait en déficit. Et c’est cette réalité qui fait du dollar US la 
	monnaie de réserve. 
	 
	Pour que les autres pays puissent se constituer des réserves en dollars, il 
	faut en effet que les USA aient un déficit extérieur, et ce déficit 
	extérieur américain est un peu la source de liquidités qui permet au 
	commerce mondial de se développer plus ou moins harmonieusement depuis des 
	lustres. L’avantage pour les USA est bien sûr que les USA, contrairement à
	tous les autres pays du monde, n’ont pas de « contrainte du commerce 
	extérieur », ce qui veut dire en termes clairs que les USA ne vont jamais 
	suivre une politique restrictive parce qu’ils auraient un déficit du 
	commerce extérieur. 
	 
	Ils peuvent en effet « solder » ce déficit extérieur en donnant des dollars, 
	qui, ipso facto, deviendront les réserves de change des autres pays, 
	ce qui permettra à ces autres pays de faire du commerce les uns avec les 
	autres.  
	C’est ce que Rueff appelait le « privilège impérial ». Encore une fois, 
	on peut aimer ou ne pas aimer ce système, mais c’est comme ca que le monde 
	fonctionne depuis 1945. 
	 
	Quels sont les risques pour les utilisateurs de ce système? 
	 
	Il y en a deux. 
	 
	1. Le premier risque est qu’une crise financière coupe complètement l’accès 
	au dollar, comme cela s’est produit au moment de la faillite de Lehman 
	Brothers. En effet, plutôt que de garder des dollars, les sociétés de Taiwan 
	ou de Corée utilisaient les services de certaines grandes banques 
	internationales (toutes françaises d’ailleurs, SOCGEN, BNP etc.) qui 
	empruntaient des dollars sur les marchés aux USA en émettant du papier 
	commercial acheté par les fonds de trésoreries locaux et se servaient des 
	dollars ainsi empruntés pour aider au financement du commerce entre Taiwan 
	et la Corée. Ce marché s’est complètement bloqué pendant la période qui a 
	suivi la faillite de Lehman, et du coup le commerce entre les deux pays 
	s’est arrêté net, déclenchant une récession locale de très grande amplitude, 
	alors même que tout allait fort bien. Il s’agissait donc d’une récession par 
	manque de moyens de paiement, un cas classique en commerce international. 
	 
	2. Le deuxième risque serait que les USA rentrent dans une période durable 
	de comptes courants excédentaires et qu’à la place de fournir sans 
	arrêt des liquidités (parfois de façon excessive…) au reste du monde, ils se 
	mettent à en retirer constamment. Cela amènerait inéluctablement à une 
	contraction du commerce international, et peut-être à une dépression 
	mondiale comme dans les années 30… et pour la même raison. Déjà, et comme je 
	l’ai signalé dans plusieurs articles, hors pétrole et hors Chine, les Etats- 
	Unis ont un excédent de leurs comptes courants, et entre le gaz de schiste 
	et la robotisation de l’appareil industriel américain, on peut penser qu’à 
	l’horizon de quelques années, un tel surplus global des USA est loin d’être 
	impossible.  
	Devant ce diagnostic qu’ils ont parfaitement compris, que font les 
	dirigeants chinois? 
	Ils sont en train de mettre en place le plan que les Allemands ont eux-mêmes 
	installé à partir de 1972, quand les autorités américaines faisaient (déjà) 
	n’importe quoi avec le dollar. Ils vont voir toutes les banques centrales 
	non seulement en Asie, mais aussi en Amérique latine et en Afrique, et leur 
	tiennent à peu prés ce langage : « Pourquoi facturez-vous vous votre 
	commerce international en dollars? » Réponse : « Parce que nous l’avons 
	toujours fait et que c’est pratique. » Ce à quoi, les autorités chinoises 
	répondent : « Et si vous venez à manquer de dollars, que va- t-il se passer 
	? » Réponse : « Euh… » 
	 
	A ce moment de la discussion, les autorités chinoises proposent la chose 
	suivante, toute simple. La Banque centrale de Chine (BOC) est prête à vous 
	ouvrir sans contrepartie des « swaps » où nous vous fournirions des 
	renminbi, vous nous donneriez en échange des dollars taïwanais ou du wong 
	coréen et comme ça vous pourriez régler le commerce entre vous deux en 
	renminbi… Bonne idée, disent les autres, mais nous aimerions bien nous 
	constituer des réserves de change en renminbi, et vous, Chine, vous avez des 
	comptes courants excédentaires et donc je ne peux pas le faire. Qu’à cela ne 
	tienne, répondent les Chinois, je vais constituer un marché obligataire 
	offshore en renminbi où je vais demander à IBM, Air Liquide, etc. ainsi 
	qu’aux grandes sociétés chinoises d’émettre des obligations en monnaie 
	chinoise et vous pourrez utiliser ces obligations pour constituer vos 
	réserves de change en achetant vos obligations avec le trop plein de dollars 
	que vous avez pour l’instant… Dans ce cas de figure certes, le pétrole et 
	les matières premières resteront libellés en dollars, mais le commerce 
	inter- asiatique ou même inter-pays en voie de développement sera facturé en 
	renminbi. Et les grandes banques chinoises seront toutes prêtes à accorder 
	des prêts en renminbi à toux ceux qui le demanderaient. 
	 
	C’est exactement ce que l’Allemagne fit à partir de 1992. 
	 
	En 1969, tout le commerce intereuropéen était en dollars. En 1992, tout 
	était en deutsche mark (d’où fureur des technocrates français, invention du 
	Frankenstein financier qu’est l’euro et désastre actuel, mais cela est une 
	autre histoire). Pour que ce mouvement soit crédible, il faut que la BOC 
	soit perçue comme l’a été la Bundesbank, c’est-à-dire qu’il soit établi 
	qu’entre la monnaie et l’économie, la BOC choisira la monnaie et que le 
	renminbi en conséquence sera une monnaie structurellement forte. 
	 
	Le grand problème de l’Asie a toujours été sa dépendance au dollar. 
	 
	Trop de dollars, l’Asie boome et les marchés montent. Pas assez, c’est 
	l’effondrement. 
	 
	L’Asie n’a jamais eu sa source de liquidités indépendante, d’où une extrême 
	volatilité des économies et des marchés financiers. Si la Chine réussit à 
	créer une « poche de liquidités » indépendante du dollar, la volatilité va 
	baisser très fortement et donc les price earning ratios vont monter 
	tout aussi fortement. Mettre tout ou partie de son portefeuille obligataire 
	en renminbi, acheter les belles valeurs asiatiques un peu partout en Asie me 
	paraît très peu risqué aujourd’hui dans la mesure où ces valeurs sont au 
	tapis, ont des dividendes attrayants et que personne n’anticipe une réussite 
	des deux plans chinois, celui qui touche à la consommation interne et celui 
	qui touche à l’internationalisation du renminbi. 
	 
	Si tout échoue, vous toucherez vos dividendes ou vos coupons. 
	 
	Si l’un des deux réussit, vous gagnerez beaucoup d’argent. 
	 
	Si les deux réussissent, nous aurons une superbe bulle. 
	 
	Charles Gave 
	
	 
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