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4/12/12 Charles Gave
     La Chine propose sa monnaie comme substitut
                                    au dollar !

Comme la plupart des gens le savent sans doute, le dollar US est non seulement la monnaie de réserve du monde mais aussi et surtout la monnaie de transactions pour le commerce international.

Qu’est-ce que monnaie de transactions veut dire au juste ? C’est ce que doit se demander le lecteur, pas toujours au courant des subtilités du système des paiements internationaux, ce qui est bien normal. Cette notion recouvre une réalité toute simple: si la Corée du Sud fait du commerce avec Taiwan (par exemple), les importations et les exportations de chacun des deux pays devront être soldées en dollars américains.

Cette réalité force donc les sociétés de chacun de ces deux pays à garder des dollars dans leurs comptes pour leur fonds de roulements (ou à en emprunter auprès de leurs banques) et bien sûr force les banques centrales locales à avoir des dollars en réserve, au cas où leur commerce extérieur passerait en déficit. Et c’est cette réalité qui fait du dollar US la monnaie de réserve.

Pour que les autres pays puissent se constituer des réserves en dollars, il faut en effet que les USA aient un déficit extérieur, et ce déficit extérieur américain est un peu la source de liquidités qui permet au commerce mondial de se développer plus ou moins harmonieusement depuis des lustres. L’avantage pour les USA est bien sûr que les USA, contrairement à tous les autres pays du monde, n’ont pas de « contrainte du commerce extérieur », ce qui veut dire en termes clairs que les USA ne vont jamais suivre une politique restrictive parce qu’ils auraient un déficit du commerce extérieur.

Ils peuvent en effet « solder » ce déficit extérieur en donnant des dollars, qui, ipso facto, deviendront les réserves de change des autres pays, ce qui permettra à ces autres pays de faire du commerce les uns avec les autres.

C’est ce que Rueff appelait le « privilège impérial ». Encore une fois, on peut aimer ou ne pas aimer ce système, mais c’est comme ca que le monde fonctionne depuis 1945.

Quels sont les risques pour les utilisateurs de ce système?

Il y en a deux.

1. Le premier risque est qu’une crise financière coupe complètement l’accès au dollar, comme cela s’est produit au moment de la faillite de Lehman Brothers. En effet, plutôt que de garder des dollars, les sociétés de Taiwan ou de Corée utilisaient les services de certaines grandes banques internationales (toutes françaises d’ailleurs, SOCGEN, BNP etc.) qui empruntaient des dollars sur les marchés aux USA en émettant du papier commercial acheté par les fonds de trésoreries locaux et se servaient des dollars ainsi empruntés pour aider au financement du commerce entre Taiwan et la Corée. Ce marché s’est complètement bloqué pendant la période qui a suivi la faillite de Lehman, et du coup le commerce entre les deux pays s’est arrêté net, déclenchant une récession locale de très grande amplitude, alors même que tout allait fort bien. Il s’agissait donc d’une récession par manque de moyens de paiement, un cas classique en commerce international.

2. Le deuxième risque serait que les USA rentrent dans une période durable de comptes courants excédentaires et qu’à la place de fournir sans arrêt des liquidités (parfois de façon excessive…) au reste du monde, ils se mettent à en retirer constamment. Cela amènerait inéluctablement à une contraction du commerce international, et peut-être à une dépression mondiale comme dans les années 30… et pour la même raison. Déjà, et comme je l’ai signalé dans plusieurs articles, hors pétrole et hors Chine, les Etats- Unis ont un excédent de leurs comptes courants, et entre le gaz de schiste et la robotisation de l’appareil industriel américain, on peut penser qu’à l’horizon de quelques années, un tel surplus global des USA est loin d’être impossible.

Devant ce diagnostic qu’ils ont parfaitement compris, que font les dirigeants chinois?
Ils sont en train de mettre en place le plan que les Allemands ont eux-mêmes installé à partir de 1972, quand les autorités américaines faisaient (déjà) n’importe quoi avec le dollar. Ils vont voir toutes les banques centrales non seulement en Asie, mais aussi en Amérique latine et en Afrique, et leur tiennent à peu prés ce langage : « Pourquoi facturez-vous vous votre commerce international en dollars? » Réponse : « Parce que nous l’avons toujours fait et que c’est pratique. » Ce à quoi, les autorités chinoises répondent : « Et si vous venez à manquer de dollars, que va- t-il se passer ? » Réponse : « Euh… »

A ce moment de la discussion, les autorités chinoises proposent la chose suivante, toute simple. La Banque centrale de Chine (BOC) est prête à vous ouvrir sans contrepartie des « swaps » où nous vous fournirions des renminbi, vous nous donneriez en échange des dollars taïwanais ou du wong coréen et comme ça vous pourriez régler le commerce entre vous deux en renminbi… Bonne idée, disent les autres, mais nous aimerions bien nous constituer des réserves de change en renminbi, et vous, Chine, vous avez des comptes courants excédentaires et donc je ne peux pas le faire. Qu’à cela ne tienne, répondent les Chinois, je vais constituer un marché obligataire offshore en renminbi où je vais demander à IBM, Air Liquide, etc. ainsi qu’aux grandes sociétés chinoises d’émettre des obligations en monnaie chinoise et vous pourrez utiliser ces obligations pour constituer vos réserves de change en achetant vos obligations avec le trop plein de dollars que vous avez pour l’instant… Dans ce cas de figure certes, le pétrole et les matières premières resteront libellés en dollars, mais le commerce inter- asiatique ou même inter-pays en voie de développement sera facturé en renminbi. Et les grandes banques chinoises seront toutes prêtes à accorder des prêts en renminbi à toux ceux qui le demanderaient.

C’est exactement ce que l’Allemagne fit à partir de 1992.

En 1969, tout le commerce intereuropéen était en dollars. En 1992, tout était en deutsche mark (d’où fureur des technocrates français, invention du Frankenstein financier qu’est l’euro et désastre actuel, mais cela est une autre histoire). Pour que ce mouvement soit crédible, il faut que la BOC soit perçue comme l’a été la Bundesbank, c’est-à-dire qu’il soit établi qu’entre la monnaie et l’économie, la BOC choisira la monnaie et que le renminbi en conséquence sera une monnaie structurellement forte.

Le grand problème de l’Asie a toujours été sa dépendance au dollar.

Trop de dollars, l’Asie boome et les marchés montent. Pas assez, c’est l’effondrement.

L’Asie n’a jamais eu sa source de liquidités indépendante, d’où une extrême volatilité des économies et des marchés financiers. Si la Chine réussit à créer une « poche de liquidités » indépendante du dollar, la volatilité va baisser très fortement et donc les price earning ratios vont monter tout aussi fortement. Mettre tout ou partie de son portefeuille obligataire en renminbi, acheter les belles valeurs asiatiques un peu partout en Asie me paraît très peu risqué aujourd’hui dans la mesure où ces valeurs sont au tapis, ont des dividendes attrayants et que personne n’anticipe une réussite des deux plans chinois, celui qui touche à la consommation interne et celui qui touche à l’internationalisation du renminbi.

Si tout échoue, vous toucherez vos dividendes ou vos coupons.

Si l’un des deux réussit, vous gagnerez beaucoup d’argent.

Si les deux réussissent, nous aurons une superbe bulle.

Charles Gave


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