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21/11/14 Charles Gave
                    La Chine réorganise l’Asie !

Tout le monde connait la réponse de Chou En Lai à Malraux qui lui demandait quelles avaient été, à son avis, les répercussions de la Révolution française. « Je ne sais pas, avait il répondu. Il est encore trop tôt … »

L’Etat chinois existe sous une forme ou sous une autre depuis au moins 4000 ans, ce qui donne un certain recul à ceux qui le dirigent. Et il faut bien comprendre qu’une période se termine en Chine, et qu’une autre commence. Et que donc les autorités sont en train de changer de stratégie.

Pour bien comprendre les enjeux en cours, il faut commencer par un constat, celui de la situation mondiale dans laquelle la Chine va évoluer dans les années qui viennent. Sur le plan technologique, le coût d’un robot dans les usines de Foxconn est en train de passer en dessous du coût du travail en Chine. Or cinquante pour cent des exportations chinoises sont faites par des entreprises européennes ou américaines ayant des usines en Chine et réexportant aux USA ou en Europe. Ces usines vont donc fermer et réouvrir à Buffalo ou à Turin. Ce qui veut dire que le modèle mercantiliste chinois, basé sur un coût du travail bas, une bonne infrastructure et une force de travail docile et bien formée, est obsolète et qu’il faut donc changer de modèle.

Et c’est ce à quoi le nouveau gouvernement chinois s’attelle.

Un certain nombre de grandes directions ont été fixées par Pékin.

• Première direction

La demande extérieure en provenance des USA et d’Europe va beaucoup baisser, à cause de la technologie certes mais aussi à cause de l’appauvrissement de la classe moyenne dans ces zones géographiques, résultat inévitable de politiques économiques et monétaires débiles. Conserver une monnaie sous évaluée ne sert donc plus à rien, bien au contraire. Vendre à des gens qui s’appauvrissent est rarement une bonne idée. La décision a donc été prise de transformer la monnaie chinoise en une monnaie forte et de laisser les taux d’intérêts trouver leur niveau naturel, ce qui est une façon de stimuler la consommation et l’épargne domestique, nouvelles sources de croissance.

Il faut souligner ici l’incroyable flexibilité des autorités de l’empire du milieu. L’ancien modèle ne marche plus. On en prend bonne note et on s’adapte, sans récriminations ni gémissements.

• Deuxième direction

La Chine, en raison de la politique de change précédente, à d’énormes réserves de change, investies en obligations américaines ou européennes qui ne rapportent plus rien. Eh bien, comme la Chine a trop d’épargne, elle va devenir exportatrice de capitaux, et c’est là où les choses deviennent passionnantes tant la stratégie qui se dessine est complexe et brillante. Le premier problème de la plupart des pays asiatiques a toujours été que toutes les transactions entre eux étaient soldées en dollar US.

S’il y avait trop de dollars, nous avions un boom en Asie, pas assez et nous avions un bust.

Aujourd’hui, la banque centrale chinoise va voir les autres banques centrales en Asie, celle de l’Indonésie par exemple, et lui dit : « Vous avez un déficit extérieur parce que vous croissez très vite et que vous faites beaucoup de dépenses d’infrastructure. Donc, vous êtes obligés de freiner votre économie domestique en maintenant des taux d’intérêts trop élevés. Je vous offre de financer votre déficit extérieur en mettant mon bilan en garantie et je vous offre tous les crédits dont vous avez besoin pour acheter- en Chine bien sûr - tous les biens d’équipement dont vous avez besoin. »

« Je vous prête des yuans (autre nom de la monnaie chinoise) et vous me payez en yuans, ou même si vous le voulez, dans votre monnaie nationale (accords de swaps entre banques centrales). » Au lieu d’être financé par des dollars à court terme, le déficit extérieur indonésien le devient par des yuans à long terme, voire par la Chine acceptant d’être payée en monnaie locale. Les crises de balance des paiements qui avaient tué l’Asie en 1997 sont donc une chose du passé. C’est très exactement ce que les USA ont fait dans les années 40 et 50 avec le Plan Marshall…

Du coup, la croissance des pays asiatiques, qui ne sera plus entravée par leur dépendance au dollar, va être à la fois plus stable et plus forte, et ce simple fait suffira peut-être à compenser la baisse des exportations chinoises vers l’Europe ou les USA.

• Troisième direction

Pour qu’il y ait un commerce florissant entre différents pays, il faut que chacun d’entre eux puisse se spécialiser dans les domaines où il a un avantage comparatif (cf. la théorie des avantages comparatifs de Ricardo).

La Thaïlande est le plus efficace producteur de riz au monde. Aucune raison de faire du riz en Chine du Nord s’il peut venir de Thaïlande.

Pour cela il faut que des systèmes de communication s’ouvrent (routes, ports, aéroports, systèmes de télécommunications etc.) Et donc le gouvernement chinois est en train d’offrir à tous les pays de l’ancienne « route de la soie » de financer tous ces investissements qui les relieront d’abord à la Chine mais aussi au reste du monde. Pour ce faire, les autorités chinoises sont en train de créer l’équivalent de la banque mondiale (pour le financement des projets) et l’équivalent du FMI (pour le financement des problèmes de déficit extérieur), et cerise sur le gâteau, ils offrent des parts de ces deux nouvelles institutions à tous les pays de la zone qui le souhaitent, à la grande fureur des Américains et des Européens.

On sait en effet que Banque Mondiale et FMI sont sous le contrôle des USA et que les pays européens sont surreprésentés dans leurs instances dirigeantes. Pourquoi le patron du FMI doit il toujours être un Français par exemple ? Mystère. L’hypothèse de la compétence exceptionnelle peut être écartée au vu des derniers représentants français à la tête de cette institution.

Nous allons donc avoir des lignes de chemin de fer et des autoroutes qui relieront la
Chine à Singapour, à l’Europe, à la Russie, à toute l’Asie centrale, des barrages, des centrales nucléaires construits en Mongolie, au Kazakhstan en Afghanistan, au Pakistan, en Inde, des pipe-lines pétroliers et gaziers reliant la Sibérie à la Chine, des aéroports construits partout, ainsi que des hôtels et des centres d’affaires, tout cela financé par les excédents d’épargne chinois.

Et comme la Chine a des excédents de capacité de production dans tous ces domaines et que c’est eux qui vont financer, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre de quelle nationalité seront les sociétés qui vont emporter les contrats. La plus veille route commerciale du monde, celle reliant la Chine à l’Asie du Sud Est, à l’Europe et au Moyen-Orient, est en train de renaître de ses cendres, trois siècles après qu’elle a disparu, tuée par le transport maritime. Ceci va faire rentrer dans le système mondial des échanges environ 2 milliards de personnes, ce qui est tout simplement prodigieux.

Pour financer tout cela de manière harmonieuse, la Chine a besoin de marchés financiers profonds et stables et d’une monnaie forte, puisqu’elle se transforme en pays exportateur de capitaux. Déjà les autorités ont signé avec la Grande-Bretagne et la Suisse des accords d’internationalisation de la monnaie chinoise, et déjà des émissions obligataires dans cette monnaie ont eu lieu à Londres. Qui plus est, cette monnaie est lentement mais sûrement en train de devenir convertible. Ainsi, la semaine dernière, il a été décidé que les habitants de Shanghai allaient pouvoir acheter librement des actifs à la bourse de Hong-Kong tandis que les habitants de Hong-Kong allaient pouvoir acheter à Shanghai. Or, il n’y aucun contrôle des changes à Hong- Kong, qui d’ici 10 ans risque bien de donner du fil à retordre à Wall Street. Et donc le contrôle des changes pour les habitants de Shanghai est en train de disparaître. Le yuan est en train de devenir convertible, doucement, doucement. Les Chinois ne sont pas pressés.

On voit donc très bien les lignes de force du projet chinois.

1. Soutien financier aux pays en forte croissance en Asie. Financement des infrastructures de communication partout en Asie.

2. Internationalisation du yuan, appuyé sur la place financière de Hong-Kong.

3. Création d’un marché obligataire en yuans, d’abord à Hong-Kong, puis partout dans le monde.

4. Cela requiert une monnaie forte, un abandon des activités à faible valeur ajoutée telles le textile ou les matières premières, un développement de la technologie et des universités, et bien sûr l’émergence d’un état de droit en Chine, ce qui ne va pas être facile, mais les autorités pour la première fois utilisent le mot dans tous leurs discours.

Mais cela veut dire aussi que la Chine retrouve sa place en Asie, c’est-à-dire la première, ce qui a toujours été le cas dans l’histoire.

Pendant des siècles, le PIB chinois représentait 20 % du PIB mondial.

Sous Mao, l’empereur fou, nous étions à 5 %…sous les acclamations de la gauche française.

Nous sommes en train de retourner à 14 %, avec 20% de la population mondiale, en marche vers les 20%.

Voilà qui n’amuse pas les USA, qui manœuvrent aussi mal qu’il est possible en envoyant la Russie dans les bras de la Chine, qui n’en croit pas son bonheur. Favoriser l’alliance des deux puissances qui contrôlent l’ensemble des terres asiatiques est à peu prés aussi idiot que si les Anglais avaient favorisé une alliance entre la France et la Prusse au XIXème siècle.

Voilà qui amuse encore moins le Japon, qui du coup et à tout hasard, dévalue sauvagement pour rester compétitif dans ce monde nouveau qui s’annonce. Le Japon a compris et se dit qu’à tout prendre, il vaut mieux devenir la réserve de haute technologie pour l’Asie que de rester une colonie des États-Unis. Le prochain grand marché haussier, qui a peut être déjà commencé, aura donc lieu en Asie et sera centré sur Hong-Kong et peut être sur Tokyo et Singapour.

Antoine de Saint-Exupéry savait que pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agissait pas de le prévoir, mais de le rendre possible. Je n’ai, pour ma part, jamais rien prévu, je m’efforce juste, encore et toujours, de comprendre les possibles.

Le temps nous le dira.

Charles Gave

 

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