C’est moi que je suis l’économiste qu’on vous
a causé !
J’ai commencé dans ce qui est mon métier en 1971.
Les deux ou trois premières années furent tranquilles et puis arriva la
crise pétrolière de 1973.
Et depuis, la France est en crise.
Je me suis beaucoup baladé dans le monde depuis quarante ans et je peux
assurer le lecteur que la France est le seul pays au monde qui ait
été en crise constante depuis 40 ans, du moins si l’on en croit les médias.
Les médecins de Molière ne cessent de s’écrier : « Les poumons, vous dis-je,
les poumons ». Le journaliste économique de base, en France, quant à lui
s’en va répétant à qui veut l’entendre, et ce depuis quarante ans : « La
crise, vous dis-je, la crise », ce qui est bien pratique puisque cela
dispense de toute réflexion et de tout travail personnel.
Reste une question: à quoi attribuer cette imprégnation de l’idée de crise
dans les médias de notre beau pays ?
La première idée qui vient à l’esprit, c’est bien sûr la totale domination
de la vulgate marxiste sur ce que Tocqueville appelait les distributeurs de
culture, par opposition aux créateurs de culture et aux consommateurs de
culture. Pour tout bon marxiste, le capitalisme ne peut être qu’en crise ou
en train de rentrer dans une crise, mais il est hors de question qu’il ne
soit pas en train d’agoniser. Et comme pour la classe des distributeurs de
culture, le marxisme est l’horizon indépassable de la pensée humaine
(Sartre), laisser croire au public que la crise est sur le point de
s’arrêter serait faire œuvre impie. Et comme nous sommes en théocratie,
faire œuvre impie serait dangereux.
Aussi curieux que cela paraisse, là où ce sentiment est le plus fort et
exprimé le plus souvent c’est dans les journaux dits économiques, peuplés de
gens pour qui l’horizon indépassable de la pensée économique est Keynes,
fort apprécié par tout marxiste digne de ce nom. Dans le fonds, le
keynésianisme est au marxisme ce que le coca light est au coca.
Je viens d’en avoir un nouvel exemple en parcourant un magazine qui
s’appelle Challenges. Le keynésien de service nous explique doctement
que d’après des graphiques de la Banque centrale américaine, les inégalités
se sont accrues aux USA, depuis la crise et que donc Piketty a
raison…Quand je me trouve devant un tel discours, je dois avouer que les
bras m’en tombent.
Reprenons les arguments les uns après les autres, si le lecteur le veut
bien, pour essayer de démonter le processus logique que le journaliste
semble avoir suivi et qui n’est qu’une suite de non sequitur,
c’est-à-dire de propositions logiques dont on essaye de vous faire croire
qu’elles sont reliées les unes aux autres alors qu’il n’en est rien.
1. La crise serait bien entendu une crise du capitalisme, si ce n’est la
crise du capitalisme, que tous les vrais croyants attendent depuis 1840.
Dans la réalité, il ne s’agit en rien d’une crise du capitalisme, mais d’une
crise d’incompétence crasse de la part des banquiers centraux en général et
de la FED en particulier.
Dès que la banque centrale US a commencé à imposer des taux réels négatifs,
suivant en cela les recommandations keynésiennes pour procéder à
l’euthanasie du rentier, avec de nombreux autres économistes j’ai avancé
l’idée qu’on ne pouvait faire tourner la machine capitaliste sans un coût du
capital de marché, ce qui n’était pas une idée bien neuve.
Mettre les taux à zéro, c’est bloquer le prix de l’argent, ce qui est à peu
près aussi idiot que de bloquer les loyers pour résoudre une crise du
logement. Mme Duflot et Ben Bernanke, même combat… Quand une banque centrale
traficote le coût de l’argent, elle n’obtient pas plus de croissance, mais
beaucoup moins puisque le capital, ce bien rare entre tous, est investi au
petit bonheur la chance, ce qui mène à de biens regrettables débordements du
style de la crise des subprimes aux USA, créée de toutes pièces par
le système politique local.
La crise dans laquelle nous sommes n’est en rien une crise du capitalisme,
mais une crise créée par des banquiers centraux qui se croient plus malins
que les marchés et qui continuent à le croire et à faire n’importe quoi.
2. Cette crise serait à l’origine de l’accroissement des inégalités. Là
encore, voilà qui me donne envie de fermer le journal immédiatement.
Imaginons que dans la société nous ayons trois groupes d’individus : les
gens « pauvres » qui vivent du produit de leur travail, les gens « riches »
qui vivent de leurs rentes et qui possèdent de nombreux actifs (actions,
obligations, œuvres d’art etc.), auxquels on peut ajouter les gens qui ne
pourront jamais être virés de leur travail, et enfin les entrepreneurs, dont
le rôle est d’imaginer et de produire les biens et les services dont les
deux autres groupes auront besoin, en se mettant en risque.
Imaginons de plus qu’un banquier central idiot décide de mettre les taux
d’intérêts à zéro. Qu’est-ce qui va se passer ? Eh bien c’est tout simple :
les gens riches vont se mettre à emprunter auprès des banques en donnant
leurs actifs en garantie pour s’acheter des actifs les uns aux autres, et le
prix de ces actifs va monter très fortement.
Tous les prêts bancaires iront aux « riches », qui le deviendront de plus en
plus, et les pauvres entrepreneurs ne trouveront plus personne pour leur
prêter de l’argent, et donc la croissance commencera à baisser très
fortement.
Et tout cela se terminera par un krach, puisque la richesse ne vient que des
entrepreneurs et non pas du prix des actifs soufflé par une politique
monétaire insensée.
Du coup, ceux qui vivent du produit de leur travail n’en trouvent plus et de
pauvres qu’ils étaient, ils deviennent très pauvres, sans très bien
comprendre pourquoi.
L’explication est cependant très simple.
La politique monétaire suivie par la banque centrale est faite au profit des
riches, c’est-à-dire de ceux qui ont des actifs et un emploi garanti (les
fonctionnaires), et au détriment des pauvres et des entrepreneurs.
Il faut bien que le lecteur se rende compte que ce qui a créé l’explosion
des différences de richesse, ce n’est pas le capitalisme, mais une politique
monétaire suivie par des banques centrales dont les instances dirigeantes
ont été capturées par les « rentiers » et qui donc suivent des politiques
favorables aux rentiers c’est-à-dire aux riches et aux fonctionnaires.
3. Le dernier élément qui me fait sauter en l’air, c’est la déclaration de
principe, qui n’est même pas discutée et qui peut être résumée comme suit: «
C’est vrai puisque la banque centrale américaine le dit. »
D’après Saint Thomas d’Aquin, l’argument d’autorité ne doit jamais être
utilisé dans une controverse entre humains, sauf si le débat porte sur des
points de religion, et dans ce cas la seule chose que l’on puisse utiliser
sera les évangiles. Or le journaliste nous explique que la discussion est
close puisque la FED l’a dit. Voilà l’argument d’autorité dans toute son
insuffisance intellectuelle.
Je suis la FED depuis des années, et les économistes de cette noble
institution n’ont jamais rien vu arriver. Ni krach financier, ni
crise immobilière, ni récession, ni chômage. Rien.
Pour qui veut rire un bon coup, qu’il se penche sur les prévisions que la
Fed publie pour l’économie américaine chaque année. Il n’y a guère que le
FMI qui soit aussi mauvais.
Ces gens complètement incompétents à faire quelque prévision que ce soit ont
de plus commis erreur sur erreur dans leur gestion monétaire, et ce depuis
1998 au moins.
Le dernier grand banquier central américain fut Paul Volcker, et il a été
viré en 1988 par ce qu’il était démocrate, pour le remplacer par le
regrettable Greenspan, qui lui était républicain, lequel fut remplacé par
Ben Bernanke dont la charité m’oblige à ne rien dire.
Bref, soutenir que la FED serait l’arbitre de ce qui est vrai ou faux en
économie, ou plus grave encore, soutenir que la FED (ou la BCE) serait gérée
par des gens compétents relève de la plus haute fantaisie ou de la folie
sauvage.
Et monsieur Piketty dans tout ça ?
Tous ses attendus étant faux, il n’y a pas lieu de tirer une conclusion.
Monsieur Piketty confond rentabilité du capital et taux de croissance
des profits dans tous ses calculs. Eût-il été mon étudiant, je lui aurais
mis un zéro pointé.
Charles Gave
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