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1/11/13 Charles Gave
       Les rats ne quittent pas le navire, ils veulent
    nous faire croire qu'ils n'ont jamais été à bord !

        

La semaine dernière, quelques amis anglais ont donné pour mon soixante- dixième anniversaire une petite fête dans la City à Londres, cet anniversaire correspondant peu ou prou au cinquantième anniversaire du moment où j’ai commencé à étudier l’économie à Toulouse, en automne 1963.

Ce genre de fête ressemble un peu à une réunion d’anciens combattants et est fort propice à l’évocation d’anciens souvenirs marqués soit par des victoires éclatantes soit par des retraites piteuses, la réalité étant malheureusement que l’on apprend beaucoup plus lors des déroutes que lors des succès, pour peu bien sûr que l’on soit toujours en vie. Car dans la finance, le but essentiel n’est pas de mener la charge héroïque qui décide de la victoire ou de la défaite, mais bien d’être là, toujours en vie, pour la prochaine bataille.

Entre le maréchal Lannes qui disait qu’« un hussard encore en vie à trente ans est un Jean Foutre » (il fut tué à vingt neuf ans), et Sieyès à qui l’on demandait où il avait été de 1792 à 1794, époque de la Terreur, et qui avait répondu « J’ai vécu », le financier choisira toujours Sieyès. Depuis cinquante ans, j’ai donc « vécu » au travers d’une période qui n’a pas été facile, loin de là. Soyons honnête : je ne connais pas une seule période de cinquante ans dans l’histoire financière qui ait été « facile ». Un financier qui aurait commencé sa carrière en 1913 n’aurait pas vraiment eu la tâche aisée de 1913 à 1963, et je ne pense pas que celui qui aurait commencé en 1863 ou en 1813 se serait particulièrement amusé non plus.

Bref, quelles sont les règles à appliquer pour survivre, comme Sieyès le fit ?

La première des règles, c’est de bien se rendre compte que dans la vie il y a deux sortes de problèmes, les miens et pas les miens.

Par là je veux dire que mon rôle en tant que financier n’est pas de proposer un plan pour que l’harmonie, l’altruisme et la beauté règnent enfin sur terre, mais de gérer l’épargne que l’on m’a confiée pour qu’à la fin de la période elle soit plus élevée qu’au début, et de le faire dans le cadre des lois qui s’imposent à moi.

Mon problème est donc d’analyser ce que proposent tous les gens qui veulent améliorer le monde pour savoir si ce qu’ils vont faire va marcher ou non, et de m’ajuster en conséquence, c’est tout.

J’entends d’ici les hurlements de mes chers « Oints du Seigneur » qui vont immédiatement m’accuser du crime affreux d’égoïsme, mais à cela je voudrais répondre que mon devoir est de transmettre à la génération suivante plus de capital que je n’en ai reçu et que tout système qui prend aux générations futures pour entretenir les générations actuelles dans un confort qu’elles n’ont pas gagné est profondément immoral.

Gaspiller le capital que nous avons reçu de nos ancêtres et hypothéquer celui de nos enfants et de nos petits enfants, qui n’ont pas voté sur ces dépenses, ce qui a toujours été la grande spécialité des Oints du Seigneur, est insupportable à tout père ou grand père (ce que je suis). A ce propos, je réitère la question que j’ai posée il y a un certain temps déjà.

Un grand nombre d’Oints du Seigneur français, inscrits à toutes les associations bidon qui sévissent en France pour y toucher des subventions et professeurs payés par nos impôts (l’un n’excluant pas l’autre), ont signé pétitions sur pétitions pour nous dire que comme ils conseillaient Hollande et qu’ils étaient compétents, il fallait voter pour leur candidat qui ne pouvait mener qu’une bonne politique.

Et la question est donc : Où sont-ils ? Que sont-ils devenus? On ne les entend plus, ils ont disparu des ondes, on ne les voit plus sur les étranges lucarnes. Ayant puissamment contribué à ce que la France retourne à la prospérité et à la paix civile, ce que chacun peut constater, ils ont décidé sans doute de laisser les résultats de la politique qu’ils ont recommandée être assumés par leur candidat et par lui seul.

Comme le dit la sagesse populaire, le succès a plusieurs pères, l’échec est orphelin. Si l’on en juge par leur silence assourdissant, nous sommes sans doute en train de connaître l’un des échecs les plus extraordinaires que le système politique français ait connus. Et les rats ne quittent pas le navire : ils essaient de nous faire croire qu’ils n’ont jamais été à bord…

On est content de vérifier une fois de plus que les économistes « officiels » de notre beau pays peuvent être aussi modestes et que leur compétence n’a de pendant que leur courage.

Donc quand un politique, ou pire encore un économiste me dit que ce que je fais est « immoral », voilà un commentaire qui ne m’intéresse pas, mais alors pas du tout. En réalité, entendre les politiciens d’aujourd’hui parler de « morale » est l’une des choses les plus surprenantes auquel le citoyen de base se trouve confronté. Tout ce que leur a jamais demandé le peuple a été de gérer l’Etat de façon efficace, et comme ils n’y arrivent pas, tant ils en sont incapables, ils expliquent que c’est parce que je ne suis pas « moral » et que j’ai fâché les Dieux, selon la bonne vieille technique du bouc émissaire (Voir René Girard).

Voilà une vieille astuce qui ne trompe plus personne depuis Savonarole ou Lénine et les koulaks, mais ça n’empêche pas ces gens pétris de moralité et vêtus de probité candide et de lin blanc, et qui seuls sont désintéressés comme chacun le sait, de nous la ressortir à chacun de leurs échecs.

Il est par contre tout à fait évident que je ne dois jamais faire quelque chose d’illégal, ce qui n’a rien à voir avec la moralité. La morale est affaire individuelle et volontaire, le respect de la loi affaire collective et obligatoire sous peine de sanction.

Et si je ne peux pas gérer mon épargne dans mon pays en respectant la loi, eh bien cela veut dire que je vis dans une tyrannie et que je dois envisager de quitter le pays, pour le bien de mes enfants et de mes petits enfants, ou mieux encore agir politiquement pour renverser ce pouvoir tyrannique.

La deuxième chose que je dois faire c’est de ne jamais prêter la moindre attention aux intentions de ceux qui gouvernent. La seule chose qui compte, c’est les moyens qu’ils vont utiliser.

Comme le disait Aldous Huxley, ce qui définit la moralité, ce sont les moyens utilisés et non pas les buts affichés. Et là, c’est très simple.

Tout pouvoir qui s’appuie sur des moyens qui réduisent la liberté individuelle et sur la coercition doit être considéré avec la plus grande suspicion. « La force injuste de la loi », pour utiliser l’abominable formule de M. Mitterrand, peut tout à fait s’appliquer à moi et me forcer à faire des choses que je n’ai pas du tout envie de faire. La loi peut bien sûr être utilisée pour spolier des biens que j’ai acquis tout à fait légalement et sans que je puisse me défendre. A ce pouvoir-là, il ne faut faire aucune confiance et essayer d’être sans arrêt en avance d’un coup sur ses tendances prédatrices, mais encore une fois, légalement.

En revanche, si le pouvoir en place se met en tête d’accroître ma liberté d’action au niveau individuel, alors, il n’y a aucune raison que je ne lui fasse pas confiance. En termes simples, ceux qui veulent se servir du bâton ne m’intéressent pas, ceux qui veulent se servir de la carotte bénéficient immédiatement d’un préjugé favorable de ma part.

Bref, gérer de l’argent est très facile.

D’abord, je suis convaincu que gérer mon épargne est mon problème et ne regarde personne d’autre.

Ensuite, si les autorités me font confiance, j’ai tendance à leur faire confiance. Si elles ne me font pas confiance, je me méfie. Et comme la croissance économique n’a lieu que dans les sociétés de confiance, pour reprendre l’expression de Xavier Fontanet, mon épargne ne pourra prospérer que dans les sociétés de confiance et nulle part ailleurs.
Dans le premier cas, celui du pouvoir prédateur, je dois essayer de limiter les dégâts. Dans le deuxième, je peux espérer gagner de l’argent et donc augmenter mon capital et rendre service aux générations futures.

Dans cet esprit, et après cinquante ans de pratique, je suis arrivé à la conclusion qu’il y a des gens à qui l’on peut faire confiance, parce qu’ils ont un jugement sûr et qu’ils sont honnêtes, et je me tourne vers ces gens-là quand j’ai besoin d’un conseil.

Quant au reste, il ne s’agit que de détails.

Charles Gave
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