Il faut sacrifier l’euro pour sauver le  
	                            
	Marché commun ! 
	La chute de l’Union soviétique fut la preuve pour tous que la 
	technocratie ne pouvait fonctionner, mais ce message constitua un véritable 
	anathème pour toute la technocratie française, celle-là même qui peuple les 
	couloirs de Bruxelles à Paris. Pour résoudre le problème, ces astres 
	arrivèrent donc à la conclusion que ce dont nous avions besoin était une 
	nouvelle et plus franche source de technocratie afin d’échapper aux dangers 
	du marché libre. 
	 
	Quel était le plus grand danger pour ces gens-là? 
	 
	Le simple fait que l’économie allemande était la mieux gérée de la zone 
	euro, et qu’à terme personne ne conserverait plus de francs français pour 
	son épargne mais bien des marks allemands. L’Allemagne serait ainsi devenue 
	la puissance dominante de la zone euro, d’autant que désormais le Marché 
	commun interdisait le contrôle de changes. Inutile de rappeler que cette 
	monnaie commune était le premier pas vers un Etat européen qui permettrait 
	de créer des tonnes d’emplois pour “nos garçons”, comme aimaient à la 
	rappeler les syndicats britanniques de la grande époque, “nos garçons” étant 
	bien sûr les technocrates français. 
	 
	Cela fut perçu à juste titre par les marchés comme une déclaration de 
	guerre. 
	 
	Après tout, les taux de change ne sont jamais que les prix des marchés, 
	déterminés par des facteurs comme la différence entre l’activité économique 
	des pays, l’attractivité des actifs d’un pays ou la différence de 
	productivité entre le coût du travail et celui du capital. 
	Ce que les politiques et les eurocrates dirent alors, les yeux rivés vers 
	l’horizon et la mâchoire serrée, fut: « Nous, le peuple d’Europe, allons 
	expliquer aux marchés financiers quelles sont les règles du jeu, la leçon 
	principale étant bien sûr que les politiques triomphent de l’économie 
	(comprendre « la finance », qui veut dire dans leur langage « les 
	Anglo-Saxons ».) 
	 
	L’euro devenait ainsi pour les eurocrates un projet politique avant d’être 
	un projet économique afin d’expliquer au monde comment il convenait de 
	dresser la bête sournoise et vile qu’on appelle le marché. Et pour attester 
	du sérieux de leur système, ils construisirent un système sans sortie, bien 
	verrouillé. Du Victor-Hugo, hélas ! 
	 
	Le problème reste que l’euro n’a alors pas fonctionné, qu’il ne fonctionne 
	toujours pas et qu’il ne fonctionnera probablement jamais. Les marchés en 
	ont pris conscience et sans répit piétineront l’euro sans relâche désormais. 
	Ainsi, la guerre commence pour les supporters de l’euro et elle semble en 
	passe de se terminer par une défaite des fonctionnaires qui mettrait presque 
	Azincourt et Crécy au rang des victoires nationales. 
	 
	Quand on arrive face à une telle situation de défaite dans une guerre, on a 
	en général deux options:  
	- Signer l’armistice, ce qui en revient en pratique à dire à l’autre 
	partie « D’accord, vous avez gagné, quelles sont vos conditions ? », puis à 
	discuter de ces conditions, les accepter et passer à autre chose. 
	 
	- Se battre à mort (choix des hommes jeunes en général), et être forcé lors 
	de la signature des traités de paix d’abandonner sa souveraineté nationale. 
	Cela implique généralement de reconstruire de zéro, beaucoup de choses ayant 
	été détruites, et accepter une sorte de protectorat de la puissance 
	dominante (on pense spontanément à Mc Arthur au Japon)  
	Les eurocrates sont en train de perdre cette guerre de façon indiscutable 
	et tout le monde commence à voir que le roi est nu. La vraie question qui 
	saute alors aux yeux du spectateur consciencieux est donc désormais: les 
	eurocrates doivent-ils demander l’armistice ou vont-ils continuer à se 
	battre à mort ? 
	 
	Cette dichotomie de choix nous impose de revenir sur ces deux notions. 
	 
	L’armistice  
	Un armistice commence par une double prise de conscience :  
	- L’euro ne fonctionne pas. 
	- Le Marché commun (tel que défini habituellement) doit être à tout prix 
	sauvé. 
	 
	Ces deux points devraient logiquement conduire à ce qu’une monnaie nationale 
	(la seule solution) soit restaurée, sans trop d’acrimonie et en bon ordre. 
	Cela implique que la dette des Etats serait alors remboursable en monnaie 
	locale du pays et qu’une durée de taux de change flottant entre les nations 
	devrait aussi être observée. Cela impliquerait aussi que quelques 
	institutions du système financier risquent de faire faillite et qu’on doive 
	accepter des nationalisations. 
	 
	Cela implique aussi que le niveau de vie des rentiers locaux (détenteurs 
	d’obligations, retraités, fonctionnaires) diminuera de façon draconienne. 
	Parallèlement, les entrepreneurs locaux commenceront alors à redevenir 
	prospères à due mesure de la sous-évaluation de la nouvelle monnaie locale, 
	ce qui induirait également des taux d’intérêt très bas. 
	 
	Une monnaie sous-évaluée liée à des taux d’intérêt très bas permettrait le 
	retour à une croissance forte et également de résoudre le problème de la 
	trappe à dettes. Dans un monde tel que décrit, le consommateur allemand 
	serait le gagnant, le producteur allemand le perdant, et le système 
	financier allemand serait le premier à faire faillite. 
	 
	Dans ce nouveau système, et si personne ne devient protectionniste, l’euro 
	apparaîtrait alors assez vite comme le cauchemar qu’il est et l’Europe, 
	telle le phénix, pourrait enfin renaître de ses cendres. 
	 
	La capitulation  
	Dans ce second scenario, nous restons dans la donne actuelle, et l’Europe 
	au bord du gouffre fait un redoutable bond en avant. A ce stade, nous 
	pouvons craindre que le bébé ne soit jeté avec l’eau du bain, c’est-à-dire 
	que la victime expiatoire risque fort d’être le Marché commun. 
	 
	Dans ce scénario, que je suis loin d’appeler de mes vœux, il n’y aurait 
	aucun gagnant, que des perdants, il n’y aurait aucun transfert de richesse 
	des rentiers aux entrepreneurs, mais juste une perte de richesse massive et 
	générale. Dans ce scénario, le rentier européen serait littéralement 
	piétiné, avec en prime des baisses de niveau de vie plus qu’importants. 
	 
	Je ne sais pas lequel de ces deux scenarios va prévaloir. 
	 
	La seule chose que je sache est que les10 pays qui sont européens mais qui 
	ne sont pas dans la zone euro, tels que la Suède, la Grande Bretagne, la 
	Pologne etc. auront un rôle prédominant afin de déterminer la moins mauvaise 
	solution à choisir. La France et l’Allemagne ont été les meneurs de l’Europe 
	depuis dix ans et ils ont échoué. A d’autres de passer devant.  
	Louis-Vincent Gave   |