Monnaie : l’étalon or n’est pas la solution !
La monnaie n’est pas un bien comme les autres. Si nous convenons que
l’argent est un bien commun, un bien public, alors le laisser à la libre
disposition du secteur privé ou, pire encore, sous la direction d’une
autorité étatique sans contrôle peut avoir de regrettables conséquences. Les
entrepreneurs sont des navigateurs en haute mer. Leur boussole, c’est le
système des prix. Si des manipulations aussi bien étatiques que d’ordre
privé venaient à changer la valeur réelle de la monnaie, cela entraînerait
des bouleversements importants et non justifiés dans tous les prix, tant
absolus que relatifs. Les entrepreneurs perdraient de ce fait une grande
partie de leurs repères et se révèleraient incapables de gérer leurs
affaires. On leur demanderait de naviguer avec une boussole donnant de faux
signaux, ce qui rend l’arrivée au port hasardeuse.
La question la plus centrale reste, surtout dans nos pays : pourquoi
l’argent a-t il une valeur alors qu’il ne coûte rien à produire ? A cette
question, certains aiment à penser, comme Philippe Simonnot et Charles Le
Lien qui ont publié récemment un ouvrage intitulé « La monnaie, histoire
d’une imposture », que le retour de la convertibilité en or de la
monnaie permettrait de répondre aux deux problèmes majeurs à savoir :
1/ La captation de la création de monnaie par « l’Etat » ;
2/ La valeur intrinsèque de la monnaie qui serait conférée par l’or.
Pour ma part, la vraie question autour de la monnaie reste encore et
toujours : au nom de quel étrange phénomène la monnaie a-t- elle une valeur
? Avec son corollaire : en cas de différend, qui va arbitrer le différend
sur cette valeur et qui en est légalement responsable?
Je prends donc à nouveau le temps de revenir sur les définitions apportées
par :
• Aristote, qui affirmait que la monnaie se devait d’être un bien réel que
tout le monde désire et qui a un coût de production connu. Pour lui, la
monnaie ne pouvait donc être que l’or et l’argent.
• Platon pour sa part affirmait que la monnaie était une simple convention
qui permettait au système de fonctionner et que son fondement n’était que
purement subjectif. Ce qui faisait la valeur de la monnaie, c’était que les
deux parties dans l’échange l’acceptent.
• Jésus pour sa part ne se prononce pas (« Mon royaume n’est pas de ce
monde »), mais nous donne une indication précieuse en affirmant que la
monnaie est du ressort exclusif de l’Etat (Rendre à César ce qui est à
César, sa monnaie. Sans monnaie, pas d’Etat).
A la fin d’une longue vie consacrée à la monnaie sans avoir pour autant
sacrifié au veau d’or plus qu’il n’était nécessaire, je pense que je peux me
permettre de donner mon avis, qui est que si Jésus et Platon ont raison,
Aristote et Messieurs Simonnot et Le Lien ont tort, non pas dans leur
analyse mais sur la solution à apporter. Certes, le point de vue
aristotélicien est très attrayant pour un libéral en ceci qu’une monnaie
fondée sur un étalon or n’a presque plus besoin d’Etat pour fonctionner. Et
je reconnais tout à fait simplement qu’il est fort attrayant également de
résoudre ainsi le double défi actuel qui est:
- sortir la création monétaire des mains qui l’ont captée ;
- proposer un système alternatif indépendant.
En effet, si tout le monde reconnaît la valeur de l’or et que la valeur de
l’or est liée à son coût de production, alors tout le monde acceptera l’or
comme monnaie, même en l’absence de gendarmes qui vous forceraient à
accepter les pièces en paiement. Cette théorie est aussi l’apanage en règle
générale, de l’individu à tendance libertaire ou libertarienne, qui pense
que les gouvernements et les banques centrales toujours et partout échouent
et que moins ces entités interviennent, mieux l’individu en général et
lui-même en particulier se portent.
Retirer à l’Etat le contrôle de la monnaie, voilà une idée majeure pour
quiconque veut assécher les méandres du pouvoir étatique. L’ennui de la
thèse aristotélicienne (et consorts) est que les économistes autrichiens ont
réussi à démontrer il y a près de cent cinquante ans que la valeur était
d’origine purement subjective.
Dans un monde où toutes les valeurs seraient subjectives, nous nous
retrouverions donc avec l’or qui seul aurait une valeur objective liée à son
coût de production, c’est-à-dire à la valeur travail dont on sait
aujourd’hui, fort de l’échec du monde communiste, qu’elle est économiquement
non viable.
Oui, opposent souvent les auteurs, « mais l’or est rare ». A cela, j’oppose
souvent l’Histoire qui, par le passé, a toujours démontré que l’étalon or
rendait les Etats mercantilistes, puisque le succès se mesure au nombre de
tonnes d’or que vous avez dans vos caves à la banque centrale. Un homme
comme Rueff, bon fonctionnaire s’il en fut et qui n’a jamais souffert des
dépressions que sa politique engendrait, a foutu en l’air l’économie
française en 1934 comme peu de gens l’avaient fait avant lui depuis Colbert,
ce qui nous a amené le Front populaire en 1936, lequel nous a laissé sans
défense devant l’Allemagne en 1940.
Pourquoi l’Etat devrait-il contrôler la monnaie ? N’y a t-il pas là un
non sens libéral me demanderez-vous ?
Dans un système dit de droit, l’Etat a le monopole de la violence. Il est
le seul à pouvoir me mettre en prison si je refuse le paiement par la pièce
qu’il a frappée, et s’il y a divergence dans l’interprétation d’un contrat,
ses tribunaux ont la capacité de régler ce différend, par la violence s’il
le faut.
L’Etat garantit la monnaie et l’exécution des contrats qui la prennent pour
support. La monnaie apparaît ainsi comme un bien commun au même titre que la
justice, la diplomatie, la défense ou la police.
Cela, bien entendu, suppose que les pouvoirs politiques des Etats
n’interviennent pas pour biaiser le jeu, comme la folie technocratique
européenne qui a permis de bâtir un système monétaire entre nations sans
qu’aucune possibilité d’ajustement ne soit présente pour remettre en
équilibre un système qui serait structurellement en train de s’en écarter.
« Le gardien du gardien de la monnaie », c’était l’or, disent alors Simonnot
et Le Lien, en regrettant que désormais il n’existe plus de gardien des
gardiens.
Dans chaque pays, il existe de multiples organismes chargés de surveiller
les banques et les institutions financières. Toutes ces entités publiques ou
parapubliques sont-elle vérifiées par les règles prudentielles édictées par
la loi et trouvant leurs sources dans une pratique millénaire ?
Voyons ce qu’il en est de la plus vieille d’entre elles, l’obligation faites
aux banques de ne pas prêter plus de douze fois leurs fonds propres et de
disposer par conséquent d’un capital égal à 8 % de leurs prêts. Cette règle
trouve sa source dans une constatation très ancienne : dans une récession
sévère, 4% des emprunteurs ne pourront pas rembourser, ayant fait faillite.
Si les fonds propres représentent deux fois cette perte maximale, il est
probable que la banque pourra passer sans encombre la récession. Or qu’avons
nous constaté ces dernières années ?
Lehman en faillite était à 35 fois ses fonds propres.
Fortis en faillite était à 55 fois ses fonds propres,
RBS en faillite était à 60 fois ses fonds propres, HypoVereinsbank, la
grande banque de Munich, était à 70 fois ses fonds propres.
Alors, je vous le demande :
• Où étaient les autorités de contrôle des banques qui existent dans chaque
pays et dont le rôle est de vérifier que les banques sous leur juridiction
ne font pas de bêtises ?
• Où étaient les banques centrales, dont l’un des rôles principaux est de
veiller et de surveiller les banques commerciales ?
• Où étaient les services internes de mesure des risques au sein de chaque
banque ?
• Où étaient les grands réviseurs comptables ?
• Où étaient les agences de notations ?
• Où étaient les agences de régulations des marchés (SEC , FSA, ACMF)
Et enfin :
• Où étaient les autorités politiques ?
Car ce sont-elles qui sont chargées par la loi de contrôler les contrôleurs.
Aucun méfait du libéralisme ici, mais encore une fois un raté de l’Etat dans
son rôle de gardien incorruptible de l’intérêt général.
Mais je le répète, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Oui, la dérive
a eu lieu, et le coupable n’est pas le système monétaire mais bien la dérive
des institutions de contrôle.
L’or est une solution atomique qui permettrait effectivement de sortir le
contrôle de la monnaie du pouvoir de l’Etat, mais ce serait remplacer la
peste par le choléra. Alors, oui, on peut choisir de faire diminuer le taux
de vol à l’étalage en coupant toutes les mains des citoyens, cela
fonctionne, mais j’ai quand même un doute pour la suite….
Je crois en l’individu, pas en la force brutale qu’est l’étalon or.
La réalité, c’est qu’une politique monétaire menée selon des principes sages
et démocratiques permet à l’économie de se développer beaucoup plus
harmonieusement que n’importe quel autre système, toute l’histoire
économique des cent dernières années le prouve. Que les banquiers centraux
et les monnaies soient en concurrence est ce qui assure la discipline bien
mieux que n’importe quoi d’autre, que ce soit un Deus ex machina gérant un
monstre ingérable comme l’euro, ou que nous soyons soumis à une discipline
irrationnelle comme celle de l’étalon or.
Il suffit, pour que le côté « bien commun » soit respecté, que
l’indépendance de la banque centrale soit inscrite dans la Constitution et
que l’on fasse passer d’autres amendements à cette Constitution pour
empêcher l’Etat et les politiques de présenter des budgets en déficit. C’est
ce qui s’est déjà produit en Suède, au Canada, en Allemagne, en Suisse.
Ne laissons pas la démagogie ambiante nous aveugler sur les solutions à
apporter au problème monétaire actuel. Le politique est la cause, l’individu
est la solution.
Charles Gave
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