La mort des fourmis ou 
	l’euthanasie des rentiers ! 
	 
	Comme mes lecteurs le savent, je vis (et je sévis) depuis plus de trente ans 
	dans les milieux financiers et économiques anglo-saxons. Et depuis au moins 
	aussi longtemps, je me bats dans tous ces pays contre la notion keynésienne 
	qui stipule que maintenir des taux d’intérêts bas, très bas, voire négatifs 
	en termes réels, amène à des résultats favorables pour l’économie en général 
	et pour l’emploi en particulier. Dans la vulgate keynésienne, l’absence de 
	croissance serait due à une insuffisance de la demande et il est donc 
	nécessaire de procéder à « l’euthanasie du rentier », individu malfaisant 
	s’il en fut puisqu’il épargne et vit en dessous de ses moyens. 
	 
	« Mort aux fourmis », tel est le cri de ralliement de tous les disciples du 
	prophète de Cambridge. Tout cela n’est bien sûr qu’un tissu d’âneries et le 
	fait que ce soit enseigné comme une vérité incontournable dans toutes les 
	universités le confirme s’il en était besoin. 
	 
	Démonstration 
	 
	Imaginons qu’un banquier central incompétent (mais si, mais si, ce n’est pas 
	si rare, en particulier aux USA en ce moment) décide de fixer le prix de 
	l’argent (les taux courts) à un niveau beaucoup trop bas. Voilà qui ne 
	manquera pas d’avoir un effet profond sur le taux de change de la monnaie de 
	ce pays, qui baissera beaucoup pour se retrouver a un niveau totalement sous 
	évalué. Cette brillante politique va complètement fausser tout le système 
	des prix, puisque tous les prix dans un système économique dépendent de ces 
	deux prix. Ce qui signifie que les prix ne veulent plus rien dire.
	Or le système des prix n’est rien d’autre qu’un système d’information 
	dont les entrepreneurs se servent pour arriver à leurs décisions. Si l’on 
	bloque les taux de change et les taux d’intérêts, les pauvres chefs 
	d’entreprise se retrouvent un peu comme un navigateur sans aucun instrument, 
	en pleine mer, n’ayant aucune idée de l’endroit où il est et sans aucun 
	moyen de savoir vers où aller. Plus aucun chef d’entreprise ne peut prendre 
	une décision rationnelle. Ils arrêtent donc de prendre des décisions, et 
	comme la croissance économique dépend des décisions qu’ils vont prendre, 
	l’activité se met à stagner, le chômage à monter et l’économie à se 
	ratatiner. Et si par hasard ils en prennent quand même, il est fort probable 
	qu’elles seront mauvaises (trop de maisons en Espagne trop de fonctionnaires 
	en France, trop d’usines en Allemagne…), ce qui ne fera que renforcer les 
	tendances à la baisse du niveau d’activité. 
	 
	J’ai souvent décrit par le passé ce phénomène, au point que nombre de mes 
	lecteurs sont probablement persuadés que je suis obsédé par les effets 
	désastreux des taux réels négatifs. Et pourtant je vais y consacrer une 
	chronique de plus, tant ces taux trop bas me semblent massivement accroître 
	la fragilité de l’économie tout en amenant à des récessions /dépressions de 
	façon quasiment inévitable. Et parce que patience et longueur de temps font 
	plus que force ni que rage. 
	 
	Explication  
	 
	En tant qu’entrepreneur ou dirigeant d’affaires, je peux emprunter pour deux 
	raisons et deux seulement. 
	 
	1. Je peux emprunter pour lancer une nouvelle affaire ou acheter une 
	nouvelle machine outil. J’appellerai ce genre d’emprunt visant à accroître 
	ma capacité de production un emprunt « capitalistique ». Ces emprunts 
	entraînent par solde une augmentation du stock de capital dans le pays. 
	 
	2. Je peux emprunter pour me rendre propriétaire d’un cash flow existant. 
	Par exemple, je peux essayer de racheter mon principal concurrent. Bien 
	entendu, je ne le ferai que si les taux d’intérêts sont suffisamment bas 
	pour justifier cette opération. Appelons ce deuxième genre d’emprunt un 
	emprunt « financier ». Ce deuxième type d’emprunt n’amène en rien à une 
	augmentation du stock de capital dans le pays mais bien plus simplement à un 
	changement de propriétaire et à une augmentation de la dette. 
	 
	Le résultat final d’une telle transaction n’est donc pas d’accroitre le 
	stock de capital mais d’accroitre le stock de dette… 
	 
	Première remarque 
	 
	Si un choc exogène vient à frapper cette économie, une économie plus 
	endettée souffrira beaucoup plus qu’une économie moins endettée. 
	L’accroissement du stock de dette sans accroissement de la capacité de 
	production ne peut que fragiliser l’ensemble du système (voir le Japon 
	depuis la bulle qui dura de 1987 à 1990, parce que les taux courts y étaient 
	trop bas. Ils ne s’en sont toujours pas remis). 
	 
	Deuxième remarque 
	 
	Si les taux d’intérêts sont trop bas, c’est-à -dire s’ils sont très 
	inferieurs à la croissance des profits dans les affaires déjà établies, 
	alors les seuls types de prêts que les banques accorderont seront des « 
	emprunts financiers » puisque le risque ex ante apparaîtra beaucoup 
	plus faible que pour lancer une nouvelle affaire par exemple. En tant que 
	banquier, je serais complètement idiot de prêter à un fou qui va 
	probablement se casser la figure en essayant de lancer un nouveau produit 
	plutôt qu’à un homme raisonnable qui veut racheter son principal concurrent. 
	Ce qui veut dire que comme la somme des prêts est limitée à chaque instant 
	par la capacité des banques à octroyer des crédits ( un multiple de leur 
	capital), ceux qui veulent créer de nouvelles entreprises ou acheter une 
	nouvelle machine outil ne trouveront pas un sou. 
	 
	Les emprunts « financiers » marginalisent les « emprunts capitalistes ». 
	 
	Et comme le stock de capital n’augmente plus - puisque l’argent manque parce 
	que les taux sont très bas - la productivité se met à baisser et avec elle 
	la croissance structurelle de l’économie, tandis que le chômage se met à 
	monter -et le niveau de vie des classes moyennes s’effondre. Cet inévitable 
	ralentissement économique fait baisser la rentabilité des affaires 
	existantes, ce qui rend très difficile le remboursement des dettes « 
	financières » accumulées par nos brillants repreneurs d’affaires. Les 
	résultats ex post ne sont pas du tout à la hauteur de ce que les 
	acheteurs d’affaires avaient anticipé. Les profits baissent, mais la dette, 
	elle, ne baisse pas. Il faut donc mettre une partie du personnel à pied, ce 
	qui renforce bien sur la spirale baissière…. 
	 
	Les travailleurs sont bien entendu les premières victimes de ces « 
	dégraissages » (mot affreux s’il en fut). De ce fait, la confiance chez les 
	salariés baisse, leur taux d’épargne se met à monter, et l’économie à 
	plonger encore un petit coup. Derrière tous ces phénomènes désastreux, on 
	trouve le désir d’une classe de privilégiés de transformer des profits en 
	rente en capturant l’argent gratuit que leur fournit la banque centrale. Et 
	dans nombre de pays, cette classe de privilégiés a pris le contrôle des 
	banques centrales. 
	En réalité, dans un certain nombre de pays, une ploutocratie technocratique 
	a pris le contrôle de nos monnaies et de nos démocraties. Pas dans tous, 
	heureusement… 
	 
	Conclusion 
	 
	Comme le lecteur peut s’en rendre compte, les taux bas amènent fort 
	logiquement à un ralentissement économique et à une très grande 
	fragilisation des économies sous-jacentes, créés par un excès de dettes, à 
	une paupérisation du monde du travail et en fin de parcours à une implosion 
	du monde financier qui, lui même, scie avec entrain la branche sur laquelle 
	il est assis, en partant du vieux principe « après moi le déluge ! ». 
	 
	Si, en revanche, les taux courts sont maintenus à un niveau proche du taux 
	de croissance des profits, alors l’incitation à l’emprunt financier 
	disparaît. Prendre du levier, s’endetter ne paye plus. La rente a disparu. 
	L’épargne du pays s’investit alors dans les emprunts capitalistiques, le 
	stock de capital augmente et avec lui la productivité, le plein emploi règne 
	et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. 
	 
	Des taux d’intérêts trop bas favorisent donc non pas les entrepreneurs, mais 
	ceux qu’il faut bien appeler des vautours qui n’ont qu’un objectif : voler 
	les actifs créés par d’autres en profitant du fait qu’ils peuvent avoir 
	accès à l’argent gratuit…parce qu’ils sont en bon terme avec la banque 
	centrale, ayant été dans les mêmes écoles. 
	 
	Des taux normaux favorisent les entrepreneurs. 
	 
	Des taux bas favorisent ceux qui cherchent à se créer une rente non gagnée. 
	 
	En termes simples une politique keynésienne arrive exactement au résultat 
	inverse de celui recherché : le triomphe du rentier sur l’entrepreneur. 
	 
	Et c’est pour ca que votre fille est muette !  
	Charles Gave 
	 
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