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23/10/13 |
Charles Gave |
La France crève du refus de la réussite !
Le capitalisme est-il moral ?
Telle est la question que de nombreux philosophes ou hommes d’église se sont
posée depuis bien longtemps déjà. C’est à mon avis le type même de la fausse
question.
Demande-t-on si un marteau est moral ? Le capitalisme est un outil, au même
titre que le marteau ou la faucille…On peut utiliser un marteau pour
enfoncer la tête de son voisin ou une faucille pour lui couper la gorge, et
cela ne rend pas ces outils « immoraux ».
Le capitalisme est un outil qui existe depuis toujours et pour une raison
toute simple : de tous les animaux, l’homme est le seul à pratiquer
l’échange. Des écureuils peuvent bien mettre des noisettes en réserve pour
l’hiver (et donc épargner), il ne leur vient jamais à l’idée de les échanger
contre un trou plus ensoleillé ou de donner une fête en l’honneur d’autres
écureuils si par hasard ils ont trop de noisettes. L’homme, en revanche,
cherche à se débarrasser de ce qu’il a en trop pour acquérir quelque chose
dont il a besoin, et dans cet échange volontaire, les deux parties sont
gagnantes.
Au début, j’imagine que les transactions se faisaient par le troc à
l’intérieur d’une même tribu, mais assez rapidement une nouvelle classe de
gens astucieux a dû émerger, qui se rendirent compte que la tribu d’à côté
avait trop de viande de bison alors que dans leur tribu il y a avait trop de
poissons, et qui du coup se sont mis à arbitrer avec enthousiasme la viande
de bison contre des poissons. Les premiers entrepreneurs étaient nés.
Immédiatement, ils se sont aussi rendu compte qu’ils avaient besoin d’un
bien intermédiaire pour stocker la « valeur » de leurs ventes, dans le cas
où il y aurait eu une pénurie de poissons ou de bisons, et la première
monnaie était née, sans doute sous forme de coquillages ou de jolis cailloux
brillants.
Et c’est là que les choses se gâtèrent (probablement)…
Comme le dit fort bien Bastiat dans son grand livre « Les harmonies
économiques », il y deux façons, et deux façons seulement de s’approprier du
poisson que l’on n’a pas pêché ou des coquillages que l’on n’a pas gagnés :
- soit on se met au travail et il faut rentrer dans le système d’échanges en
offrant quelque chose que les autres veulent et les convaincre qu’ils en ont
besoin.
- soit on trouve une façon de voler le produit du travail des autres.
Il n’y a pas de troisième solution. Et pour ce qui est de voler,
l’inventivité humaine a été sans limites. La première idée a sans doute été
pour un marchand d’embaucher les plus costauds de sa tribu pour taper sur
ceux qui auraient voulu aller vendre des poissons à la tribu d’à côté, pour
s’assurer un monopole (pratique connue depuis sous le nom de
protectionnisme). Mal lui en a pris. Très vite, l’un des costauds a dû se
rendre compte qu’il pouvait organiser un syndicat des costauds dont il
serait le chef pour capturer la rente ainsi créée. Le premier pouvoir
politique était né, fondé non pas sur l’échange libre, mais sur la
contrainte et la violence et sans doute pour s’approprier les profits créés
par l’échange libre. Le vol devenait un moyen normal pour s’enrichir, pour
peu que l’on ait la plus grosse massue, bien sûr.
Nous voilà passés d’un échange libre fondé sur des prix librement consentis
à des échanges contraints dont les profits iront à celui qui a la plus
grosse massue. Et depuis, il a toujours été plus facile d’envoyer les
gendarmes pour m’obliger à faire quelque chose que de me convaincre de le
faire de mon plein gré. Et donc, depuis toujours nous oscillons entre
contrainte étatique (vol) ou échange librement consenti
(commerce=capitalisme), les plus actifs dans l’organisation légale du vol
étant hélas souvent des anciens entrepreneurs qui veulent transformer leur
profit en rente.
Je suis un entrepreneur et je suis l’objet d’une concurrence insupportable
(axiome : toute concurrence est insupportable puisqu’elle me met en risque,
ce qui est inconvenant). Je vais donc essayer de transformer mon profit -
légitime puisque le résultat d’une transaction librement consentie entre les
deux parties - en une rente. Pour cela, je vais aller essayer de demander le
soutien de l’Etat (qui a la plus grosse massue puisqu’il a le monopole de la
violence légale) pour empêcher mon concurrent de me faire du tort, et je
vais réclamer à corps et à cris sa « protection ». L’Etat, ou plutôt le
personnel de cet Etat, acceptera d’autant plus volontiers d’assurer cette
protection si l’entrepreneur accepte de lui verser une partie de cette
rente.
A terme, bien sûr, le personnel de l’Etat exigera la totalité de la rente,
ce qu’avait déjà fait le plus costaud de la tribu bien des siècles
auparavant. Cris d’orfraie du rentier, qui hurle à la spoliation maintenant
qu’il en est l’objet. « Pour dîner avec le diable, il faut une très longue
cuillère », comme le dit la sagesse populaire. Et dès ce moment-là, le
capitalisme devient illégitime et cessant d’être légitime, il devient
inefficace. Les poissons pourrissent par la tête, disent les Chinois, et le
capitalisme aussi.
Soyons clair. Le capitalisme n’est légitime éthiquement que si le surplus
dégagé par l’entrepreneur est le résultat d’un risque pris et assumé et la
contrepartie d’un échec toujours possible. Si l’entrepreneur essaie de
transformer son profit en rente, alors non seulement le capitalisme cesse de
fonctionner, mais en plus son remplaçant, l’étatisme de copinage, est
insupportable moralement. Venons-en à l’époque actuelle, qui se caractérise
par une grande poussée de la légitimité accordée au vol et par la
condamnation morale sans appel de l’échange libre.
Que constatons-nous aujourd’hui en effet ? Le plus costaud de la tribu est
maintenant désigné non pas par la taille de la massue mais par des
procédures démocratiques, le vote, ce qui est certes un progrès. Mais avoir
la majorité ne veut pas dire que l’on a le droit de spolier la minorité : un
vol reste un vol même s’il est sanctionné par une majorité (qui dans ce cas
est une majorité…de voleurs).
L’insécurité juridique que cela crée rend toute croissance impossible, comme
l’exemple des pays socialistes l’a amplement prouvé. Or tout cela est non
seulement nié mais, encore plus grave, complètement oublié dans nos
sociétés. Comme le disait Saint Just, l’archange de la Révolution (bien sûr,
avant qu’il ne prenne le pouvoir), « l’ennemi de la liberté individuelle de
chaque citoyen, c’est bien sûr son Etat », et nous en avons tous les jours
la preuve. Ce qu’il y a de curieux, c’est que la solution à tout cela existe
et a été inventée il y a plusieurs siècles sous le beau nom de libéralisme,
qui n’est que la préférence accordée à la liberté individuelle pour la
protéger contre la spoliation organisée par le pouvoir. Le principe
fondamental est simple. Ce qui assure la liberté individuelle, c’est le
droit de propriété, qui est antérieur et supérieur au droit de la majorité.
L’Etat est cependant un mal nécessaire, sinon on retourne au pouvoir exercé
par celui qui a la plus grosse massue … mais parfois on en vient presque à
regretter ces temps simples où un voleur ne prétendait pas qu’il volait «
pour le bien commun ». Il volait et c’était tout. Il ne se donnait pas la
peine de nous asséner des leçons de morale en sus. Entendons-nous bien, nous
avons besoin d’un Etat dans ses missions régaliennes, mais la question reste
entière : qui nous protégera contre cet Etat. La réponse est, et a toujours
été, le droit.
Comme le disait Milton Friedman la liberté individuelle peut s’exercer dans
trois sphères :
1. Sphère politique, c’est-à -dire la possibilité donnée à chacun de se
présenter aux élections pour exercer les responsabilités à tous les niveaux,
ou encore mieux de voter directement (démocratie directe). Mais ceux qui
détiennent le pouvoir politique ne doivent pas intervenir dans les
deux autres sphères, en aucun cas. Ils n’ont aucune légitimité pour cela.
2. Sphère sociale : pas de censure de la presse ou de la pensée, pas de
religion d’Etat, pas de monopole dans les médias ni à l’école, à
l’université ou dans les associations ou syndicats.
3. Sphère économique : liberté d’entreprendre, d’embaucher, de débaucher, de
vendre, d’acheter, de travailler, de ne pas travailler, de gaspiller son
argent ou de l’investir.
Et tout cela doit être garanti par une justice totalement indépendante des
trois sphères où s’exercent nos libertés, d’où la séparation des pouvoirs.
Entre un pays démocratique qui n’aurait pas de justice indépendante et un
pays non démocratique qui aurait une justice indépendante, Milton Friedman,
encore lui, disait qu’il fallait toujours choisir de vivre dans un pays qui
a une justice indépendante. Bref, le capitalisme n’est ni moral ni immoral.
Ce qui est immoral, c’est la recherche de la rente, c’est-à-dire le refus du
risque, de l’échec et de son pendant la réussite.
Et c’est de ce refus dont la France crève. Et ce refus est profondément
immoral, puisque ce qui compte ce n’est plus de convaincre l’autre, qui peut
prendre sa décision librement, mais de capturer l’Etat pour pouvoir voler
impunément.
Et ça, c’est vraiment répugnant.
Charles Gave
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