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14/5/13 | Charles Gave |
Il
n’y aura pas de croissance en France tant que l’Etat ne respectera pas le droit ! Je vais avoir 70 ans, l’âge où les ombres s’allongent sur le sol, et de temps en temps je me pose la question : « Mais pourquoi est-ce aussi difficile d’être libéral en France ? Qui peut aussi se traduire par : « Mais qu’est-ce que j’ai été faire dans cette galère ? » Voici ce qui pour moi est un début de réponse à ces étranges questions. Tout d’abord, le libéralisme est une philosophie du droit et non pas du tout une série de recettes économiques. Des principes juridiques ont émergé au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, ont été appliqué aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, et à la stupéfaction générale ont amené d’abord au décollage économique de ces deux pays, puis ensuite de tous les autres pays qui ont suivi leur exemple. Le libéralisme n’a donc rien à voir avec l’économie, tout à voir avec le droit L’application des principes juridiques du libéralisme amènent à la croissance économique, mais c’est une conséquence heureuse et non recherchée. Ces principes juridiques définissent d’un côté les relations des individus entre eux et de l’autre la relation entre ceux-ci et l’entité à qui ils ont librement délégué le monopole de la violence légale, je veux dire l’Etat. Le principe fondamental du libéralisme est donc que le droit régit tout et est supérieur à tout. Dans un monde organisé selon une philosophie libérale, le droit est le cœur même du système, ainsi qu’on le voit aux USA où le président, lors de son intronisation, jure de respecter la Constitution des Etats-Unis, cette Constitution étant, comme chacun le sait, la clef de voûte de tout le système juridique, légal et économique aux USA. Et cette Constitution est inchangée depuis son origine, à l’exception de quelques amendements, dont le plus célèbre reste le premier : « Le Congrès des Etats-Unis ne fera pas de loi pour limiter la liberté d’expression », ce qui bien sûr interdit par exemple toutes les stupides lois mémorielles dont nous souffrons dans notre pays. Or dans le subconscient des Français, rien ne peut être supérieur à l’Etat. Et donc nous ne pouvons avoir aucune stabilité juridique puisque chaque changement dans l’Etat amène avec lui des changements dans le droit. Depuis que les Etats-Unis existent, nous avons eu, en France, le bonheur d’avoir cinq constitutions républicaines, deux ou trois monarchies, un ou deux empires, et quelques régimes indéterminés tels le Consulat ou Vichy. Et tous les agents de l’Etat qui avaient juré fidélité à la Constitution précédente n’ont jamais eu aucun problème à continuer à servir quand bien même la Constitution aurait changé, puisque l’Etat et ses serviteurs restaient en place. En France, l’Etat est pérenne, les constitutions - et donc le droit- tout à fait transitoires. Et d’ailleurs, depuis Napoléon, l’Etat a même son droit à lui, ce qui est une monstruosité philosophique puisque cela veut dire que l’Etat et ses agents répondent à des règles différentes du commun des mortels. Dans un monde libéral, le droit est supérieur à l’Etat. En France, l’Etat est supérieur au droit. Et donc prendre le contrôle de l’Etat en France, c’est se retrouver dans la position de Moïse, en contrôle du droit et de l’Etat, c’est-à-dire être à la fois roi et prêtre, et non pas simplement président (temporaire), ce qui est quand même beaucoup plus intéressant que d’être brimé par des textes rédigés il y a deux cent ans. Et donc pour moi, être libéral, c’est vouloir ramener l’Etat sous le contrôle du droit. Et c’est là que les problèmes commencent, bien sûr. Car qui vais-je trouver sur mon chemin dans cet effort ? A peu prés tout le monde… D’abord et avant tout, ceux que j’appelle les « bonapartistes ». Loin de vouloir un Etat neutre et soumis au droit, ils veulent un Etat « fort », c’est-à-dire soumettant le droit à la volonté d’un « chef » qui prendrait le contrôle de l’Etat et le dirigerait en fonction de l’intérêt général, qu’il serait bien sûr seul à même de déterminer. La Constitution de la Vème est organisée selon ces principes. On en voit les résultats heureux tous les jours. Un libéral ne peut pas être d’accord avec de telles inepties, et le vrai adversaire de tout libéral est et a toujours été les bonapartistes, gaullistes, chiraquiens et autres sarkozystes. Les bonapartistes pensent qu’un Etat fort rendra la France forte, et tant pis si les citoyens sont faibles et n’ont guère de droits… Un libéral pense que des citoyens forts font une nation forte, la contradiction est donc totale. Cette forme d’Etat qui a eu (peut être) son utilité dans le passé, pour reconstruire la France après 1945 par exemple, est aujourd’hui complètement obsolète, compte tenu de l’évolution vers une économie de la connaissance. Viennent ensuite les socialistes, tout empêtrés dans leur rêve de justice sociale centrée non pas sur la notion de liberté, mais sur celle d’égalité. Pour eux le but est de prendre le contrôle de l’appareil d’Etat pour assurer par la force une redistribution équitable (à leurs yeux) des ressources. Et si cela les amène à violer le droit, tant pis, on le changera (cf. l’inconstitutionnalité récente de l’impôt confiscatoire au-dessus de 75%). Fondamentalement, ils pensent que le droit est fonction de la majorité du moment, comme l’inénarrable M. Laignel en 1981, et leur cri de guerre reste : « Vous avez juridiquement tort puisque vous êtes politiquement minoritaire ». Voilà qui revient à fonder le droit sur la loi majoritaire du moment, ce qui est une incroyable erreur conceptuelle. Le droit a son fondement dans l’individu et non pas dans la majorité. Fonder le droit sur une erreur intellectuelle amène toujours à un appauvrissement généralisé, et c’est bien sûr ce qui est en train d’arriver en France en ce moment (voir la parabole des vignerons et du maître de la vigne dans les Evangiles, pour plus d’explications). Suivent les « intellectuels français » et autres « oints du Seigneur » locaux qui tous unanimement détestent le libéralisme puisque dans un régime libéral leurs voix ne vaudraient ni plus ni moins que celle d’un charpentier ou d’un plombier zingueur. Comme le disait le regretté Raymond Boudon, « les intellectuels en France détestent le libéralisme parce que dans un régime libéral, ils seraient payés en fonction de leur valeur ». Je ne sais pas pourquoi, je pense immédiatement au CNRS… mais d’autres noms me viendraient assez facilement à l’esprit. Et puis, tout en bas, pas très nombreux mais faisant un bruit fou, une hérésie du libéralisme, les libertaires ou libertariens. Comme en France l’Etat se sent et est de fait supérieur au droit - ce qui est la cause de tout nos problèmes - la solution pour eux est non pas de ramener l’Etat à sa place mais de supprimer l’Etat, ce qui paraît un peu … excessif. Un monde où la violence légitime serait privatisée, où les biens communs n’existeraient pas, où l’affectio societatis disparaîtrait, où les faibles ne seraient pas protégés, aurait tendance à s’organiser selon des principes mafieux fondés sur la force et non plus sur le droit, comme on le voit en Sicile tous les jours. Voilà qui n’est guère souhaitable. Supprimer l’Etat, c’est de fait supprimer le droit, puisque le rôle principal de l’Etat est d’assurer une application égale à tous des règles essentielles, et si nécessaire par la force. Le but du libéralisme est donc simplement de rétablir le contrôle de l’Etat par le droit. Et ce rétablissement aurait des conséquences nombreuses et heureuses. Par exemple, la croissance économique ne se rétablira en France que lorsque nous aurons effectué ce véritable retournement intellectuel, puisqu’il ne peut y avoir de croissance dans l’insécurité juridique et que la prééminence de l’Etat garantit que cette insécurité juridique va durer. Hélas, je ne pense pas que les choses vont beaucoup bouger de mon vivant, ni que j’aurai une grande influence, mais cela ne n’importe guère. Ce qui compte, c’est de porter le flambeau, quelqu’un d’autre le relèvera un jour. Après tout, il n’est pas honteux d’échouer là où Montesquieu, Benjamin Constant, Tocqueville, Bastiat, Raymond Aron, Jouvenel, Revel et tant d’autres ont échoué avant moi. Et comme le disait un grand Français, Pierre de Coubertin, « l’important dans la vie, ce n’est pas le triomphe mais le combat ». Charles Gave
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