La France entre dans des
temps révolutionnaires !
Toynbee, le grand historien anglais, expliquait que le monde était mené par
ce qu’il appelait des « idées missionnaires », c’est-à-dire des idées qui
pouvaient se développer en dehors du terreau dans lequel elles étaient nées.
Et presque toujours ces idées missionnaires avaient une origine religieuse.
M’appuyant sur ce concept, à l’été 1988, j’ai publié une étude pour mes
clients de l’époque que j’avais intitulée « L’Histoire bouge à nouveau ».
La thèse était simple : le monde, depuis le XVIIIe siècle, était en proie à
la lutte entre trois idées missionnaires, celles qui venaient de la
Révolution américaine, celles qui venaient de la Révolution française et
celles qui venaient de la religion musulmane, les deux premières étant bien
sûr des avatars de la religion chrétienne.
• Pour la Révolution américaine, le but était d’arriver à la liberté
individuelle, que seul garantit un état de droit, le moyen était la
séparation des pouvoirs et des élections fréquentes au plus grand nombre de
postes possible, et la traduction économique était l’existence d’un marché
libre et concurrentiel.
• Pour la Révolution française, le but était d’arriver à l’égalité, que seul
permet un droit de l’Etat supérieur à tous les autres droits, le moyen était
la technocratie reposant sur une élite intellectuelle de « sachants » et la
traduction économique était le « contrôle » du marché et de tous les corps
intermédiaires par cette élite.
• Pour la religion musulmane, le but était la soumission de l’individu à la
volonté de Dieu telle qu’elle s’exprime dans le Coran, incréé et éternel
(Islam veut dire soumission, il n’y a pas de mot pour la notion de liberté
en arabe), le moyen était la théocratie et la réalité économique une
inévitable stagnation, puisque les taux d’intérêts étaient interdits, ce qui
interdit toute comparaison entre le futur et le présent et donc tout calcul
économique rationnel.
Ma thèse à l’époque était que l’idée missionnaire issue de la Révolution
française, reprise par l’URSS qui en était devenue le porte drapeau, était
en train d’échouer lamentablement et que donc son pouvoir d’appel allait
disparaître, ce qui allait laisser face à face les idées de la Révolution
américaine et les idées issues de la religion musulmane.
A l’époque, j’en avais tiré comme conclusion que la prochaine guerre aurait
lieu entre les Etats-Unis et le monde musulman, tant leurs points de départ,
liberté individuelle pour les USA et soumission de l’individu à une charia
qui ne peut être changée pour les musulmans, étaient antinomiques.
En revanche, ce que je n’avais pas prévu du tout, mais pas du tout, était
que les élites françaises allaient purement et simplement refuser d’admettre
que leurs idées de toujours avaient échoué comme peu d’idées l’ont fait dans
l’histoire et allaient mener, en France, un grand combat d’arrière garde
pour essayer de prouver au monde entier qu’ils avaient eu raison d’avoir
tort.
Et donc, la France a mis tout ce qui lui restait de pouvoir dans la balance
pour prouver qu’une technocratie pouvait arriver à créer une société
égalitaire ex post en autorisant le poids de l’Etat dans l’économie à
monter sans cesse, au détriment bien sûr de la liberté.
Or l’un des principes de la logique aristotélicienne est que les mêmes
causes produisent les mêmes effets.
De fait, la France est en plein dans ce que l’on pourrait appeler ses années
Brejnev.
Tout le monde se souvient des années Brejnev en Union soviétique, où le
système, lentement mais sûrement, se prenait en masse pendant que toute vie
économique, intellectuelle ou artistique s’arrêtait.
Nous en somme là en France.
Depuis la chute du mur de Berlin en effet, le seul but de nos élites, de
droite comme de gauche, a été de siphonner toute la matière vive de ce qui
restait chez nous comme espace de liberté pour continuer à faire croître le
secteur technocratique, au détriment bien sûr du secteur libre, qui s’est
réduit comme une peau de chagrin..
Et comme cela ne suffisait pas à couvrir la note, ces mêmes élites ont
utilisé les ressources que leur offraient les marchés financiers pour
s’endetter de façon à transférer vers les secteurs étatiques et égalitaires
les ressources qui permettent à ces parties de l’économie, toujours en
déficit, de continuer à survivre.
Que périsse mon pays plutôt que mes idées, tel a été le cri de guerre de
tous ceux qui nous gouvernent depuis au moins 1973.
Nos élites sentent cependant confusément que nous arrivons à la fin des
astuces comptables et n’ont qu’un seul mot à la bouche, réforme, réforme.
Et donc, comme en URSS après Brejnev, nous avons de fort belles déclarations
selon lesquelles, grâce à la perestroïka et la glasnost, nous allons pouvoir
réformer un système dont tout le monde sait cependant qu’il ne peut pas
marcher, pour des raisons de logique interne.
Après tout Von Mises avait montré dès les années 30
que le communisme (la recherche de l’égalité ex post) ne peut
pas marcher.
Nous avons donc une élite incompétente cherchant à prolonger coûte que coûte
les erreurs qui nous ont amenés là où nous en sommes. Ce qui nous ramène à
notre point de départ.
Pour Toynbee, lorsqu’un défi se présente à un pays, le rôle des élites est
d’y répondre.
Si elles n’y arrivent pas, le défi se présente encore et encore.
Si les classes dirigeantes ne trouvent pas de solution, alors on a soit un
changement de régime (la Ve République succédant à la IVe pour régler le
problème de la décolonisation), soit la disparition du pays (URSS), soit
enfin la disparition de la civilisation (Amérique du Sud après l’arrivée des
Espagnols).
Le drame de la France est que le logiciel de base de nos élites est faux et
que donc, dans notre pays, il ne peut y avoir de changement politique
autrement que par une révolution, puisque toutes les élites souscrivent aux
idées issues de la Révolution française.
Imaginons par exemple que le FN arrive au pouvoir en France, compte tenu de
l’inimaginable incompétence de qu’il est convenu d’appeler les partis de
gouvernement, oxymore s’il en fut. Qui croirait une seconde que le logiciel
de ce parti soit porteur de liberté ?
Le FN a exactement le même bagage intellectuel que la gauche de 1936 ou
l’extrême gauche d’aujourd’hui.
Reste un sursaut du peuple et de la société civile, appuyé sur un profond
changement des mentalités consécutif à un effondrement économique, un peu du
style de ce que la Grande Bretagne a connu à la fin des années 70.
Mais il avait fallu d’abord le FMI à Londres et une perte totale de
souveraineté en Angleterre.
Comme je ne cesse de l’écrire, la France est en train de rentrer dans des
temps révolutionnaires.
Mon pari était et reste qu’elle survivra à la génération la plus bête de
l’histoire de France, celle de Mai 1968.
Charles Gave
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