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	Vivement la faillite ! 
	 
	Il est difficile pour un libéral, en France, d’écrire sur l’Etat tant on 
	attend de lui une condamnation sans appel et sans nuances de ce que sont 
	devenus nos Etats modernes. En définitive, les libéraux français se sont 
	laissés enfermer depuis des décennies dans une espèce de jeu de rôle où on 
	les fait monter sur la scène pendant très peu de temps, en espérant qu’ils 
	sortiront quelques énormités qui permettront de renvoyer la pauvre victime 
	vers le néant des « ultralibéraux » jusqu’à la fois suivante. 
	 
	Et les volontaires sont nombreux. 
	 
	Or, pour les penseurs du XVIIIe siècle, le libéralisme n’était que la 
	traduction dans le domaine de la production et de la vente de principes 
	généraux qui inspiraient leurs réflexions dans les autres domaines. 
	 
	Ils savaient en particulier, et fort bien, que la liberté de chacun peut 
	s’exercer dans trois domaines essentiels à l’épanouissement de chacun. 
	 
	La liberté politique (droit de vote, élections libres, protection des 
	minorités, sécurité juridique contre l’Etat…). 
	 
	La liberté sociale (pas de religion d’Etat, liberté religieuse, liberté 
	d’association droit de manifester, liberté de la presse…) 
	 
	La liberté économique : chacun est libre de vendre son travail au prix où il 
	le souhaite et d’en utiliser les revenus comme il l’entend. Chaque homme est 
	unique propriétaire des fruits de son travail et l’esclavage ne peut 
	exister. Ce qui nous amène directement au progrès technique comme solution 
	unique à la demande d’une hausse du niveau de vie, qui est bien ce que 
	cherchaient les Lumières : « Le bonheur est une idée neuve en Europe » 
	(Saint Just). 
	 
	Toute notre architecture intellectuelle, sociale, politique, diplomatique, 
	juridique, économique vient de ce qu’il est convenu d’appeler les penseurs 
	des Lumières, qui créèrent ce foisonnement intellectuel incroyable en 
	France, en Ecosse, en Angleterre, aux USA dans le courant du XVIIIe et du 
	XIXe siècle, et c’est de cette source que sortent toutes nos institutions et 
	toutes nos constitutions. 
	 
	Nous sommes cependant, en France, devant un paradoxe extraordinaire : toute 
	notre société politique et sociale se veut organisée selon les principes des 
	Lumières, et s’en réclame sans cesse, et pourtant nous rejetons avec 
	violence la simple idée que ces principes puissent être appliqués dans le 
	domaine de l’économie, c’est-à-dire que nous amputons les lumières de toute 
	la réflexion économique que ces génies ont menée à bien. 
	 
	Et c’est là une contradiction totale. 
	 
	Les philosophes de cette époque savaient, et l’ont dit et redit, que sans le 
	droit de propriété, tous les autres droits ne peuvent exister. Le droit de 
	propriété est pour eux antérieur et supérieur à l’Etat. On prétend donc en 
	France sacrifier sur l’autel des lumières, mais on en refuse tout le 
	fondement économique, en prétendant que l’Etat est supérieur à tout. Nous 
	sommes en pleine schizophrénie intellectuelle, et tous ceux qui le 
	soulignent se font immédiatement anathématiser. 
	 
	Certes, je pourrais dire comme Raymond Boudon que les élites intellectuelles 
	françaises n’aiment pas le libéralisme en économie parce que s’il existait 
	en France, elles seraient payées à leur vraie valeur, mais il s’agit là 
	d’une boutade. L’explication que je donne est plus inquiétante. Le but de 
	nos grands ancêtres était de faire sortir les religions organisées de 
	l’Etat, où elles n’avaient rien à faire. 
	 
	Le but ultime était donc un Etat neutre et laïc, exerçant avec majesté et 
	impartialité ses fonctions régaliennes de justice, diplomatie, défense, 
	police et administration du territoire. 
	Hélas, une nouvelle hérésie de l’ancienne religion qui avait été écartée non 
	sans difficultés des sphères sociales et politiques vit le jour au XIXe 
	siècle sous le nom de socialisme, et elle revendiqua bruyamment son droit à 
	réinvestir l’Etat, au nom de « la justice sociale », remplaçant dans les 
	consciences le salut éternel par cette justice que seuls les clercs de la 
	nouvelle religion pouvaient définir bien entendu. 
	 
	Le socialisme et les socialistes se virent octroyer le droit d’intervenir 
	dans tous les domaines régaliens et l’Etat laïc disparut. Ma thèse est 
	simple : un nouveau clergé a pris le contrôle de nos Etats. Comme presque 
	toujours, ce clergé nous explique que si nous l’entretenons suffisamment 
	bien, il va nous faire connaître le paradis sur terre, dont nous ne 
	bénéficions pas simplement parce que les méchants et les infidèles (définis, 
	comme toujours, comme ceux qui ne croient pas, eux) les en empêchent. D’où 
	le goulag ou l’impôt progressif… La ficelle est grosse, mais elle marche 
	hélas et à chaque fois. 
	 
	Le diagnostic du problème est donc posé : une nouvelle religion a vu le jour 
	et son personnel s’est infiltré partout où l’ancienne religion avait sa 
	place, c’est-à-dire auprès des pouvoirs politiques et sociaux, mais aussi 
	dans l’enseignement et les services de santé, qui sont devenus de vrais 
	fiefs où nul ne peut espérer faire carrière s’il n’a pas au préalable fait 
	allégeance à la nouvelle foi. 
	 
	Et comme cette religion a colonisé l’Etat, elle bénéficie du monopole de la 
	violence dont ce dernier dispose pour lever les fonds nécessaires à 
	l’entretien du clergé. Les manants n’ont plus qu’à payer la dîme et la 
	gabelle. Tout le monde se souvient de la gravure, dans nos livres 
	d’histoire, du tiers état portant sur son dos le clergé et la noblesse. Nous 
	y sommes à nouveau, le tiers état porte a nouveau le clergé et la noblesse 
	sur son dos et on me demande pourquoi ça va mal. Demandez-le à Montesquieu ! 
	En effet, tous ces gens coûtent très cher, ne produisent rien, et le clergé 
	socialiste ou étatique ne peut survivre que s’il continue à distribuer des 
	prébendes aux ordres mineurs, faute de quoi, il pourrait être renvoyé par 
	les électeurs. 
	 
	Que faire pour garder le pouvoir ? Continuer à acheter les votes de la 
	majorité avec l’argent de la minorité, ce qui veut dire augmenter les 
	impôts. Embêtant à nouveau, car au bout d’un certain temps trop d’impôts tue 
	l’impôt. Comment ne fâcher personne et rester au pouvoir ? 
	 
	La réponse est simple : s’endetter, puisque, contrôlant l’Etat, je contrôle 
	sa faculté d’endettement. Autrefois, le seul moment où un Etat pouvait 
	s’endetter c’était pendant les guerres, puisque la survie de la nation était 
	en jeu. Rien de semblable bien sûr depuis 1973, dernier budget en équilibre 
	présenté par un premier ministre français, mais un désir irrépressible 
	d’acheter les voix des électeurs force à l’endettement. J’ai appelé ce 
	processus le « social clientélisme », tant il rappelle les pratiques ayant 
	cours en Sicile. 
	 
	Et plus l’Etat s’endette et croît, plus la croissance ralentit, et plus la 
	croissance ralentit, plus les taux d’intérêt baissent et moins cela coûte de 
	s’endetter. Merveilleux. Le capitalisme finance à bon compte ce qui va le 
	détruire. La dette a en effet triplé depuis 1994 et le service de la dette 
	(la seule chose qui figure dans le budget de l’Etat) est lui resté le même. 
	Et je ne peux pas m’empêcher de penser « Vivement la faillite ! » pour que 
	notre Etat redevienne laïc. 
	 
	Le plus tôt sera le mieux. 
	 
	Charles Gave 
	 
	
	 
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