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16/9/14 Charles Gave

                           Vivement la faillite !

Il est difficile pour un libéral, en France, d’écrire sur l’Etat tant on attend de lui une condamnation sans appel et sans nuances de ce que sont devenus nos Etats modernes. En définitive, les libéraux français se sont laissés enfermer depuis des décennies dans une espèce de jeu de rôle où on les fait monter sur la scène pendant très peu de temps, en espérant qu’ils sortiront quelques énormités qui permettront de renvoyer la pauvre victime vers le néant des « ultralibéraux » jusqu’à la fois suivante.

Et les volontaires sont nombreux.

Or, pour les penseurs du XVIIIe siècle, le libéralisme n’était que la traduction dans le domaine de la production et de la vente de principes généraux qui inspiraient leurs réflexions dans les autres domaines.

Ils savaient en particulier, et fort bien, que la liberté de chacun peut s’exercer dans trois domaines essentiels à l’épanouissement de chacun.

La liberté politique (droit de vote, élections libres, protection des minorités, sécurité juridique contre l’Etat…).

La liberté sociale (pas de religion d’Etat, liberté religieuse, liberté d’association droit de manifester, liberté de la presse…)

La liberté économique : chacun est libre de vendre son travail au prix où il le souhaite et d’en utiliser les revenus comme il l’entend. Chaque homme est unique propriétaire des fruits de son travail et l’esclavage ne peut exister. Ce qui nous amène directement au progrès technique comme solution unique à la demande d’une hausse du niveau de vie, qui est bien ce que cherchaient les Lumières : « Le bonheur est une idée neuve en Europe » (Saint Just).

Toute notre architecture intellectuelle, sociale, politique, diplomatique, juridique, économique vient de ce qu’il est convenu d’appeler les penseurs des Lumières, qui créèrent ce foisonnement intellectuel incroyable en France, en Ecosse, en Angleterre, aux USA dans le courant du XVIIIe et du XIXe siècle, et c’est de cette source que sortent toutes nos institutions et toutes nos constitutions.

Nous sommes cependant, en France, devant un paradoxe extraordinaire : toute notre société politique et sociale se veut organisée selon les principes des Lumières, et s’en réclame sans cesse, et pourtant nous rejetons avec violence la simple idée que ces principes puissent être appliqués dans le domaine de l’économie, c’est-à-dire que nous amputons les lumières de toute la réflexion économique que ces génies ont menée à bien.

Et c’est là une contradiction totale.

Les philosophes de cette époque savaient, et l’ont dit et redit, que sans le droit de propriété, tous les autres droits ne peuvent exister. Le droit de propriété est pour eux antérieur et supérieur à l’Etat. On prétend donc en France sacrifier sur l’autel des lumières, mais on en refuse tout le fondement économique, en prétendant que l’Etat est supérieur à tout. Nous sommes en pleine schizophrénie intellectuelle, et tous ceux qui le soulignent se font immédiatement anathématiser.

Certes, je pourrais dire comme Raymond Boudon que les élites intellectuelles françaises n’aiment pas le libéralisme en économie parce que s’il existait en France, elles seraient payées à leur vraie valeur, mais il s’agit là d’une boutade. L’explication que je donne est plus inquiétante. Le but de nos grands ancêtres était de faire sortir les religions organisées de l’Etat, où elles n’avaient rien à faire.

Le but ultime était donc un Etat neutre et laïc, exerçant avec majesté et impartialité ses fonctions régaliennes de justice, diplomatie, défense, police et administration du territoire.
Hélas, une nouvelle hérésie de l’ancienne religion qui avait été écartée non sans difficultés des sphères sociales et politiques vit le jour au XIXe siècle sous le nom de socialisme, et elle revendiqua bruyamment son droit à réinvestir l’Etat, au nom de « la justice sociale », remplaçant dans les consciences le salut éternel par cette justice que seuls les clercs de la nouvelle religion pouvaient définir bien entendu.

Le socialisme et les socialistes se virent octroyer le droit d’intervenir dans tous les domaines régaliens et l’Etat laïc disparut. Ma thèse est simple : un nouveau clergé a pris le contrôle de nos Etats. Comme presque toujours, ce clergé nous explique que si nous l’entretenons suffisamment bien, il va nous faire connaître le paradis sur terre, dont nous ne bénéficions pas simplement parce que les méchants et les infidèles (définis, comme toujours, comme ceux qui ne croient pas, eux) les en empêchent. D’où le goulag ou l’impôt progressif… La ficelle est grosse, mais elle marche hélas et à chaque fois.

Le diagnostic du problème est donc posé : une nouvelle religion a vu le jour et son personnel s’est infiltré partout où l’ancienne religion avait sa place, c’est-à-dire auprès des pouvoirs politiques et sociaux, mais aussi dans l’enseignement et les services de santé, qui sont devenus de vrais fiefs où nul ne peut espérer faire carrière s’il n’a pas au préalable fait allégeance à la nouvelle foi.

Et comme cette religion a colonisé l’Etat, elle bénéficie du monopole de la violence dont ce dernier dispose pour lever les fonds nécessaires à l’entretien du clergé. Les manants n’ont plus qu’à payer la dîme et la gabelle. Tout le monde se souvient de la gravure, dans nos livres d’histoire, du tiers état portant sur son dos le clergé et la noblesse. Nous y sommes à nouveau, le tiers état porte a nouveau le clergé et la noblesse sur son dos et on me demande pourquoi ça va mal. Demandez-le à Montesquieu ! En effet, tous ces gens coûtent très cher, ne produisent rien, et le clergé socialiste ou étatique ne peut survivre que s’il continue à distribuer des prébendes aux ordres mineurs, faute de quoi, il pourrait être renvoyé par les électeurs.

Que faire pour garder le pouvoir ? Continuer à acheter les votes de la majorité avec l’argent de la minorité, ce qui veut dire augmenter les impôts. Embêtant à nouveau, car au bout d’un certain temps trop d’impôts tue l’impôt. Comment ne fâcher personne et rester au pouvoir ?

La réponse est simple : s’endetter, puisque, contrôlant l’Etat, je contrôle sa faculté d’endettement. Autrefois, le seul moment où un Etat pouvait s’endetter c’était pendant les guerres, puisque la survie de la nation était en jeu. Rien de semblable bien sûr depuis 1973, dernier budget en équilibre présenté par un premier ministre français, mais un désir irrépressible d’acheter les voix des électeurs force à l’endettement. J’ai appelé ce processus le « social clientélisme », tant il rappelle les pratiques ayant cours en Sicile.

Et plus l’Etat s’endette et croît, plus la croissance ralentit, et plus la croissance ralentit, plus les taux d’intérêt baissent et moins cela coûte de s’endetter. Merveilleux. Le capitalisme finance à bon compte ce qui va le détruire. La dette a en effet triplé depuis 1994 et le service de la dette (la seule chose qui figure dans le budget de l’Etat) est lui resté le même. Et je ne peux pas m’empêcher de penser « Vivement la faillite ! » pour que notre Etat redevienne laïc.

Le plus tôt sera le mieux.

Charles Gave



 
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